Malgré une légère claudication de naissance, il arrive à notre rendez-vous « en mode boss ». Gros 4X4, mais extrême courtoisie, humilité et regard affûté. Aussi affable que modeste, Jean-Claude Masangu a pourtant signé nos billets de banque pendant presque 20 ans !
Malgré une légère claudication de naissance, il arrive à notre rendez-vous « en mode boss ». Gros 4X4, mais extrême courtoisie, humilité et regard affûté. Aussi affable que modeste, Jean-Claude Masangu a pourtant signé nos billets de banque pendant presque 20 ans ! Discussion à cœur ouvert avec une légende de l’économie congolaise, un banquier qui signa des milliards de francs sous deux présidents, un père et son fils.
Mining and Business Magazine : Monsieur le Gouverneur, je crois savoir que vous avez eu un véritable destin ! Accepteriez-vous de nous en parler ?
Gouverneur Masangu : (Sourire…) Permettez-moi alors de vous raconter en détail les quelques semaines qui ont changé ma vie !
M&B : Je vous écoute
GM : Nous sommes en 97, à cette époque DG de Citibank, je suis dans un avion pour la Côte d’Ivoire… Après une longue escale à Douala, j’atterris à Abidjan où l’on m’apprend que Mbuji-Mayi vient de tomber aux mains de l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo). Puis Lubumbashi tombe et je suis toujours à Abidjan… Soudain, je prends conscience de ce qui se passe et décide de rentrer en urgence. Je dois aider mon pays ! Je finis par trouver un avion pour Brazzaville… via Genève, traverse au Beach et me prépare à la prise de Kinshasa.
M&B : Combien de temps entre votre arrivée et l’arrivée de l’AFDL à Kin ?
GM : Finalement presque un mois ! Les « Kadogo », jeunes soldats marchaient à pied, ne l’oubliez pas ! Très vite après la prise de Kinshasa, je suis contacté par les nouvelles autorités qui me demandent de recruter quelqu’un pour diriger la Banque centrale ! J’envoie une note interne à tous mes compatriotes de la Citibank œuvrant à l’étranger et qui pourraient être intéressés. Ça disait en gros ceci : qui veut ? Moi je suis ici, à Kinshasa, prêt à coordonner, mais ne suis pas intéressé.
Peu de temps après, j’informe New York qui me répond que le siège soutiendra le candidat. Mais figurez-vous que personne n’était partant ! Un à un, tout le monde se désistait. Or, les nouvelles autorités me pressaient de donner un nom et je ne savais plus quoi leur répondre…
M&B : Et c’est là que la Côte d’Ivoire intervient ?
GM : Exactement, l’histoire est romanesque ! Mon patron régional Afrique, Bob Thornton, basé en Côte d’Ivoire quitte Abidjan pour Kinshasa et on rend visite à l’Ambassadeur des États-Unis. Celui-ci, sans hésitation aucune, soutient la thèse de tenter la Banque Centrale, car cela ne peut être qu’à l’honneur de l’école américaine puisque j’y ai été formé. Peu de temps après, une équipe d’experts zaïrois est arrivée à Kin et m’a fait préparer mon entretien avec le Président Laurent Désiré Kabila. Voilà comment j’ai atterri à la Banque Centrale !
M&B : Mais je crois savoir que vous étiez déjà tombé dans la banque par hasard et que vous êtes ingénieur en mécanique !
GM : Oui c’est exact ! Je suis né à Likasi, au Katanga, jadis appelé Jadotville. J’ai fait mon secondaire en Suisse, et mes études universitaires aux États-Unis en nucléaire d’abord en passant par le civil avant de terminer en mécanique.
M&B : Et comment passe-t-on de la mécanique à la Banque ?
GM : En fait, j’ai eu un accident du travail pendant mon stage professionnel et ai été gravement brûlé. C’était à l’usine Consolidated Aluminum Corporation, aux USA. J’ai eu les pieds et les mains brûlés au troisième degré par du charbon granulé. Je n’ai jamais autant souffert ! J’ai même pensé au suicide à l’époque. Je me voyais handicapé, pieds et mains brûlés, à 25 ans… On a voulu me faire des greffes de peau, et je ne savais pas si je pourrais un jour me servir à nouveau de mes mains. Vous imaginez ? J’étais une vraie plante, que l’on nourrissait et que l’on abreuvait au besoin, la vie n’avait plus de sens !
M&B : En combien de temps avez-vous pu retrouver l’usage de vos mains ?
GM : Des mois et des mois… Et pendant ce temps, comprenant que ma carrière d’ingénieur était fichue, j’ai fait une maîtrise en Finance pour me permettre de changer de métier. Voilà comment on passe de la mécanique à la banque. En rentrant à Kinshasa en 81, j’ai été engagé à la Citibank et vous connaissez la suite ! J’ai gravi tous les échelons et suis devenu DG pendant 17 ans !
M&B : Comment se fait-il que la prestigieuse Citibank de New York n’ait jamais eu envie de mieux s’implanter dans l’intérieur du pays et soit restée discrète, pour ne pas dire, une petite banque ?
GM : C’était notre stratégie. La Citi s’est focalisée sur les très gros projets, la clientèle corporate et la Banque Centrale. À titre d’exemple, nous avons financé la ligne haute tension Inga Shaba, comme on l’appelait, l’aéroport de Goma et les gros avions d’Air Zaïre. La Citi faisait de très très bonnes affaires et n’avait pas besoin de changer de cap. Ce qui est amusant, c’est que lorsqu’elle a voulu se retirer après l’effondrement de l’économie, c’est moi qui ai fait pression en tant que Gouverneur de la Banque Centrale pour que la Citi reste au pays. Je leur ai rappelé qu’ils avaient voulu que je prenne ce poste et qu’ils ne pouvaient donc pas me lâcher ni lâcher la RDC, quelques années plus tard ! J’avais surtout peur que leur retrait du pays soit un mauvais signal pour les autres investisseurs étrangers.
M&B : Justement, revenons à ces années à la BCC, 16 ans ? C’est cela ?
GM : de 1997 à 2013
M&B : Quelles sont les grandes étapes ?
GM : Le premier gros challenge fût la réforme monétaire. À l’époque Laurent Désiré Kabila voulait changer la monnaie et passer du Zaïre au Franc congolais, en trois mois. Ce fut d’ailleurs notre premier désaccord ! J’ai de suite expliqué qu’il ne suffisait pas de changer les billets ! Que les choses étaient beaucoup plus complexes que ça ! Il n’était pas content, et se demandait surtout comment il pouvait annoncer cela à la population, aux Forces armées, à qui il avait fait cette promesse. Je lui ai suggéré de se décharger sur moi et que j’allais assumer puisqu’à l’époque où la promesse était faite, il n’avait pas encore nommé un gouverneur de Banque Centrale. Il a notamment fait passer des lois en urgence pour restructurer les banques, et de mon côté, j’ai constitué une équipe de choc qui a fait un travail de terrain incroyable. J’ai également fait appel à d’anciens Gouverneurs et Vice Gouverneurs pour mieux comprendre ce qui avait marché et ce qui n’avait pas marché lors des précédentes réformes. Ils ont d’ailleurs fait un travail exceptionnel !
M&B : Pourquoi ?
GM : N’oubliez pas qu’il y avait quatre monnaies dans le pays à l’époque. Lorsque Mobutu a introduit le nouveau Zaïre, il y a eu ce que l’on a appelé à l’époque la rébellion monétaire. Et plusieurs provinces notamment les deux Kasaï ont gardé l’ancien Zaïre tandis que d’autres ont refusé d’utiliser des billets à valeur faciale élevée, car craignant d’importer l’inflation par manque de petites coupures.
M&B : Ça s’appelait comment cette monnaie ?
GM : Za