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Émergence, or not émergence ?

Pour « Le Monde », Thierry Vircoulon, enseignant à Sciences Po Paris, interroge la notion d’émergence en Afrique.   D’après lui, « le concept, mis à toutes les sauces, a remplacé le terme de développement. Sans parvenir à définir la diversité de situations sur le continent ». Morceaux choisis.

Depuis quelques années, le terme émergence a remplacé le mot développement (…) Au XXe siècle, l’Afrique subsaharienne se développait. Au XXIe siècle, elle émerge. Ainsi, sur 54 pays africains, 37 ont lancé un plan visant à devenir un émergent à moyen terme.

L’émergence signifie que des mutations socio-économiques profondes sont à l’œuvre. L’urbanisation est rapide et change les modes de vie. Une classe moyenne fait son apparition. Les perspectives de croissance des économies africaines (…) sont prometteuses et pérennes. Les entrepreneurs africains innovent et créent de nouveaux biens et services grâce aux technologies numériques qui connectent les Africains à d’autres mondes. Les femmes africaines luttent pour améliorer leur statut dans la société.

L’émergence se caractérise par :

– un taux de croissance à deux chiffres ;

– la formation d’un marché de consommation et de son corollaire sociologique, une classe moyenne ;

– un regain d’investissements privés importants qui signale l’attractivité des marchés ;

– l’accès d’une part grandissante de la population aux nouvelles technologies de la communication.

Entre 2001 et 2010, six des dix pays avec le taux de croissance économique le plus élevé au monde étaient africains : l’Angola (1er), le Nigeria (4e), l’Éthiopie (5e), le Tchad (7e), le Mozambique (8e) et le Rwanda (10e).

Les nouvelles technologies se répandent à un rythme soutenu en Afrique avec un taux de pénétration de l’Internet mobile qui devrait passer à 38 % en 2020. 

(…) En 2017, un cercle de réflexion d’experts africains, l’Observatoire pour l’émergence en Afrique, a rendu publique la première édition de son « Index de l’émergence en Afrique ». 

L’index de l’émergence en Afrique établit ainsi une classification des pays africains en les qualifiant « d’émergents », de « seuil », de « potentiel », ou « autre ». Selon cet index, il n’y aurait que 11 pays émergents en Afrique sur 54. 

En 2018, que reste-t-il de la croissance pérenne et des champions de l’émergence d’il y a dix ans : parmi eux, le Rwanda est le seul à confirmer dans la durée ses bonnes performances. (…) Le Mozambique est en pleine crise de surendettement. L’Angola est passé d’un taux de croissance du PIB de 20 % en 2006 à 1 % (…). Le Nigeria — entré en récession en 2016 (-1,6 %) — n’en sort que très timidement (+0,8 %). L’Éthiopie connaît une crise politique complexe. Et le Tchad, producteur de pétrole, fait la manche auprès des pays du Golfe (…).

En ce qui concerne les classes moyennes africaines (…), la BAD considère qu’un Africain appartient à la classe moyenne lorsque son revenu quotidien est compris entre 2,2 et 20 dollars. Mais appartenir à la classe moyenne ne signifie pas seulement être capable de se nourrir, de se loger et de se vêtir (…). Et, il est donc plus exact de mettre la barre monétaire de la classe moyenne à partir d’un revenu de 12 dollars par jour. Soit un Africain sur dix au lieu de 1 sur 3. 

 (…) Des trois facteurs clés de la croissance économique (technologie, capital et travail), deux viennent d’ailleurs. Les inventions de la troisième révolution industrielle (…) n’ont en pas eu lieu en Afrique. De même, les transferts financiers des migrants, les investissements directs étrangers et l’aide publique au développement représentent 2,5 fois le montant des capitaux privés investis. (…) Enfin, l’aide étrangère continue d’assurer une part substantielle des budgets nationaux et donc de la viabilité financière des États africains. (30 % pour le Rwanda et 50 % du budget burundais par exemple).

Par ailleurs (…), les pays producteurs de matières premières n’ont pas profité de la décennie des cours élevés pour diversifier leur économie et restent prisonniers de l’évolution cyclique du marché. Les accès de nationalisme des gouvernants quand les cours remontent dissimulant mal les rentes personnelles qu’ils retirent de cette servitude volontaire.

(…) Selon le FMI, huit pays sont en situation de surendettement et autant présentent un risque élevé d’y basculer. La dette publique en Afrique subsaharienne représentait 45 % du PIB fin 2017, en hausse de 40 % en trois ans ! (…)

Ainsi, L’émergence apparaît simultanément comme une actualisation du vocabulaire (…) et comme un coup de marketing par définition éphémère. Car elle est avant tout un rattrapage. Et si le continent africain émerge, c’est aussi le dernier à le faire. (…) Mais, compte tenu du fait que le reste du monde évolue économiquement et technologiquement de plus en plus vite, la course sera longue. (…) Et la question de la gouvernance publique reste centrale (…) à l’instar de celle de la formation de la main-d’œuvre qui devrait être une priorité réelle au lieu d’être un engagement cosmétique des gouvernements.

Après avoir été l’arrière-cour des puissances européennes et de leurs rivalités, l’Afrique est au XXIe siècle l’arrière-cour des puissances émergentes et de leurs rivalités. (…) La Chine, le Brésil, l’Inde, la Turquie et la Corée du Sud ont développé de nouvelles relations multidimensionnelles avec les pays africains, y compris pour certains d’entre eux des relations militaires. (…) Dès lors, l’Afrique est le lieu où les vrais émergents (asiatiques et arabes) projettent en premier leur nouvelle puissance et s’offrent de nouvelles clientèles dans le cadre d’une compétition acharnée. (…) À ce jeu, la Chine reste en tête. (…) Sa croissance l’a rendu avide de matières premières africaines et elle est désormais le premier partenaire commercial et premier bailleur bilatéral du continent.

Ainsi, et paradoxalement, ce qui émerge derrière l’émergence de l’Afrique, c’est avant tout la puissance chinoise. Or, dans un continent très dépendant financièrement, la position dominante chinoise n’est pas sans conséquence politique pour les Africains, y compris en termes de politique intérieure. 

Pratiquée par les Occidentaux et l’URSS pendant la guerre froide, la diplomatie du portefeuille et du clientélisme a encore de beaux jours devant elle dans une Afrique qui émerge… (TROP) lentement.

HIGHLIGHTS

Au XXe siècle, l’Afrique subsaharienne se développait. Au XXIe siècle, elle émerge. Ainsi, sur 54 pays africains, 37 ont lancé un plan visant à devenir un émergent à moyen terme.

En 2018, que reste-t-il de la croissance pérenne et des champions de l’émergence d’il y a dix ans : parmi eux, le Rwanda est le seul à confirmer dans la durée ses Ainsi, L’émergence apparaît simultanément comme une actualisation du vocabulaire (…) et comme un coup de marketing par définition éphémère. Car elle est avant tout un rattrapage bonnes performances

Dès lors, l’Afrique est le lieu où les vrais émergents (asiatiques et arabes) projettent en premier leur nouvelle puissance et s’offrent de nouvelles clientèles dans le cadre d’une compétition acharnée.

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