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Kiripi Katembo Siku, adieu l’artiste !

Le jeune photographe congolais de 36 ans nous a quitté sans prévenir,  plein de talent et de projets, au moment où tous ses travaux rencontraient le succès. Hommage.

« Kinshasa me donne l’envie de rester, de partir et de revenir encore. C’est une ville qu’il faut regarder au moins deux fois pour vraiment voyager dans ses rues et ses quartiers. Respirer sa chaleur et ses nuits qui dansent », nous confiait le jeune photographe au sujet de sa série emblématique  « Regard », récemment exposée à  la Fondation Cartier à Paris, dans  le cadre de Beauté Congo, Kongo Kitoko. Le jeune artiste, brutalement disparu à l’âge de 36 ans, emporté par le paludisme,  s’était taillé une place de choix dans le paysage de l’art contemporain. Il faisait partie des rares artistes dont on peut dire qu’ils ont un vrai regard, un vrai style qui ne cherche ni à copier ni à reproduire une formule qui marche. La photo lui apporta pourtant une certaine renommée, internationale. Lui aimait plutôt se décrire comme un peintre. « Un peintre qui écrit avec une caméra.» 

C’est d’ailleurs à  la peinture qu’il s’est formé avant de découvrir les pouvoirs de l’image au cours d’un atelier organisé conjointement par l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa et par l’Université des Arts Décoratifs de Strasbourg en 2008. Premier court-métrage (« une voiture en carton »)  premières photos, et immédiatement, c’est le coup de foudre : il troque ses pinceaux pour un objectif.  Mais il a su retenir de ses premières amours un sens de la composition et une profondeur narrative rares qui donne à ses séries de photos un cachet unique. D’une poésie réaliste et onirique à la fois. Dans son cadre renversé où miroitent personnages, détritus et échoppes mêlés, Kinshasa « poubelle » – comme la surnomme ironiquement les Kinois – redevient Kinshasa la belle, sans avoir à mentir sur ce qu’elle est. Avec des titres en forme de verbe qui évoquent le quotidien des Congolais  et ses leitmotivs (subir, rester, survivre),  sa série « Regard » (Prix Fondation Blachère en 2011) raconte la capitale comme un livre ouvert où notre regard  doit terminer l’histoire.  Et c’est ce qui a  séduit les programmateurs du festival d’Avignon en France,  qui avaient fait d’un des tirages de l’exposition « Yango »,  l’affiche du festival de théâtre international. Ses derniers travaux,  « Mutations » où l’on découvre Kinshasa, Brazzaville et Ostende, en Belgique, depuis le toit d’immeubles et « Transmissions » où il est question de la mode des tatouages dans le monde occidental mise en rapport avec la disparition progressive des rituels de scarification africains, témoignent de son désir d’établir des parallèles entre les cultures et les mondes traversés .

L’artiste, né à Goma en 1979,  a continué ses activités de réalisateur à Kinshasa, en partenariat avec des équipes canadiennes notamment. Il a aussi raconté en images le désastre écologique subséquent à l’installation des entreprises d’exploitation du cuivre au Katanga dans la série « Après mine », exposée lors de la 9e Rencontre de la photographie de Bamako au Mali. Mais autre chose lui tenait à cœur : « Il est important de bien développer mes projets, mais aussi ceux des jeunes qui ont du talent. » C’est ce qui a motivé la création d’une biennale d’art contemporain, «  Yango » portée à bout de bras par le jeune photographe malgré les difficultés, et qui a vu le jour en 2014, rassemblant une trentaine d’artistes, dont deux tiers de Congolais. Le thème ? « Avancer ». Le plus bel hommage que les artistes congolais pourraient lui faire serait de continuer, sans lui mais à son exemple. Avancer !

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