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L’indignation intacte de la romancière sénégalaise Aminata Sow Fall

L’une des écrivaines majeures de la francophonie continue de scruter, à 77 ans, sa société à travers les abus des puissants et les stratégies de survie des pauvres.

Il lui fera sa déclaration lors de la leçon inaugurale au Collège de France en mars 2016. Alain Mabanckou la considère comme « la plus grande romancière africaine ».  Mais Aminata Sow Fall ne mesure sans doute pas l’empreinte qu’elle a laissée chez des générations 

d’écrivains africains. Son dernier livre, L’Empire du mensonge, publié en 2018, raconte le parcours de trois familles issues d’un quartier populaire et dont le destin bascule suite à des inondations.

Le Revenant, son premier livre faillit ne jamais être publié. Publié en 1979, La Grève des bàttu, son deuxième roman, lui ouvre les portes des salons littéraires. Le temps de l’intrigue, Aminata Sow Fall renverse les « équilibres » de pouvoir entre riches et pauvres. Cette fois encore, l’écriture A ses

«  AS SES yeux, l’émergence économique pour tous promise par les dirigeants successifs n’a pas comblé le fossé entre pauvres et riches. »

part d’une révolte intérieure et questionne la condition humaine. Son talent est salué par ses pairs. Elle obtiendra le prestigieux Grand Prix d’Afrique noire en 1980. Traduite en plusieurs langues, dont le mandarin, elle est portée à l’écran en 2000 par le cinéaste malien Cheick Oumar Sissoko.

« La pauvreté n’est pas un délit »

Elle est une pionnière. Une écrivaine « incontournable », selon Mame-Fatou Niang, professeure de littérature française et francophone à l’Université Carnegie-Mellon de Pittsburgh, aux Etats-Unis. « C’est l’une des rares écrivaines africaines à être classée dans la littérature française et non pas francophone dans beaucoup d’universités américaines », précise-t-elle.

En 45 ans de carrière, cette Sénégalaise, née dans une vieille famille de notables de Saint-Louis, a publié une dizaine de romans et de recueils devenus des classiques étudiés dans les écoles africaines et au-delà. Son écriture est sans concession. Sous sa plume acerbe, Aminata Sow Fall fustige les puissants, cette « bourgeoisie politico-financière » avide de pouvoir et d’ascension sociale, coupable d’avoir torpillé les espoirs nés de la décolonisation. Et, dans le même élan, elle offre sa voix aux laissés-pour-compte du développement. « La pauvreté n’est pas un délit », répète-t-elle, assise dans le salon cossu de sa villa.

L’ancienne professeure de lettres jure qu’elle ne rêvait pas d’une carrière littéraire. L’écriture est née d’une urgence, à 32 ans. En 1973, après sept ans d’études à La Sorbonne, elle rentre au Sénégal. Mais la joie du retour a vite laissé place à l’écœurement. « La bourgeoisie qui s’est installée après l’indépendance avait renversé nos valeurs. Les riches exhibaient leur argent et méprisaient ceux qui n’en avaient pas. Pauvres, vous n’étiez plus rien », se souvient-elle.

 « J’ai grandi dans une famille heureuse et unie. Ma mère nous a élevés dans la bienveillance, sans nous brimer. Ses valeurs morales suffisaient à nous guider. »  

Le refus de se définir comme féministe

Aux  nouveaux riches, Aminata Sow Fall préfère la pudeur bourgeoise dans laquelle elle a été élevée. Son père, trésorier général pour la Banque de France dans le Sénégal colonial, meurt quand Aminata a 8 ans. Sa mère, première épouse, deviendra la cheffe de famille. « J’ai grandi dans une famille heureuse et unie. Ma mère nous a élevés dans la bienveillance, sans nous brimer. Ses valeurs morales suffisaient à nous guider. » Un « cocon » dans lequel Aminata Sow Fall s’épanouit. Dans un Sénégal encore sous administration coloniale et conservateur, elle brise certains clichés car elle échappe aux tâches ménagères pour mieux se plonger dans la lecture.  « Personne ne trouvait anormal que je lise autant », précise-t-elle.

Le succès de l’écrivaine coïncide avec l’émergence d’autres auteures africaines sur la scène littéraire francophone comme Mariama Bâ, auteure d’Une si longue lettre, disparue en 1981. Mais Aminata Sow Fall place sa focale sur d’autres thèmes que l’excision ou la polygamie, sujets attendus par la critique et refuse de se définir comme féministe. « Au lieu de demander aux femmes de scander “Je suis l’égale de l’homme”, il faut d’abord leur apprendre à organiser leur vie, à soigner leur enfant, à acquérir des connaissances. Il faut leur donner les moyens de se défendre », affirme-t-elle.

Une indignée, toujours Même défiance à l’égard de la négritude. Au pays de Léopold Sédar Senghor, son attitude détonne et elle s’en amuse. « Au Sine Saloum [région d’origine de Senghor], les gens n’ont pas le besoin de revendiquer leur négritude car ils la portent en eux. Senghor s’adressait plutôt aux philosophes racistes pour qui l’Afrique n’a pas de civilisation », se justifie-t-elle. 

La doyenne des lettres sénégalaises mène une vie discrète à Dakar. Elle sort peu, comme pour se protéger de la violence sociale ambiante.

A ses yeux, l’émergence économique pour tous promise par les dirigeants successifs n’a pas comblé le fossé entre pauvres et riches. Bien au contraire, il s’est creusé. Aminata Sow Fall à 77 ans est toujours plus indignée.

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