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Les envoûteurs du RING de Gwenn Dubourthoumieu

Son reportage sur les catchs à Kinshasa, que nous vous présentons ici vient de recevoir un prix au festival Sportfolio 2015. Retour sur le parcours d’un photographe passionné et talentueux.
Photojournaliste, Gwenn Dubourthoumieu ne l’a pas toujours été. Amoureux du Congo, en revanche, si. C’est là, en RDC, alors qu’il était travailleur humanitaire, que son intérêt pour l’image et le reportage est né. « J’ai beaucoup voyagé en Afrique lors de différentes missions quand je collaborais avec des ONG de déminage. Notamment au Soudan, en Somalie ou au Kenya. Mais le Congo est le pays qui m’a le plus fasciné. », commente-t-il. Cela fait déjà  plus de deux ans qu’il y vit lorsqu’il décide de basculer de l’univers des ONG vers le monde de la presse avec l’idée de documenter ce pays complexe qui le fascine.

Enfants dits sorciers, exploitation du cuivre au Katanga, et violences faites aux femmes, des sujets souvent très difficiles à documenter et de fait peu traités font partie des reportages qui lui font gagner très vite ses galons de photojournaliste et surtout de nombreux prix.  Dès  2011, il est lauréat de la bourse “Getty Images Grants for Good”, et Prix de l’enquête  au Festival Européen du Journalisme / Scoop et obtient la  mention spéciale du Jury  au Prix Scam Roger Pic. En 2012, il sera lauréat du festival «photoreporter» de la baie de St Brieuc et du Fotografia Etica Short Story Award en 2014.  En France, il s’attaque à des sujets comme les cercles privés du pouvoir, les Roms qui tentent d’intégrer la société qui les rejette. Cette année, il vient de remporter le second prix au festival Sportfolio 2015 pour son reportage sur le catch à Kinshasa que nous publions ici avec un texte de Caroline Six. Bienvenue sur le ring. M.B.

« En RD Congo qui dit catch dit fétiche. N’en déplaise aux puristes qui admirent surtout la technique des « coriaces », le public lui, ce qu’il adore, ce sont les catcheurs – féticheurs. Lorsque, au milieu des accents cuivrés de la fanfare et du crachotis du mégaphone, ces envoûteurs du ring font jaillir les flammes, plus de mille personnes retiennent leur souffle. Face à ces « Copperfield d’Afrique » et autre « docteur en métaphysique », les musclors traditionnels font rarement le poids. Que peut en effet une roulade ou une « matraque » contre les pouvoirs de l’au-delà ? Rien. Les coriaces n’ont plus qu’à danser, ensorcelés et humiliés. Et c’est là toute la saveur du catch congolais. Dans ce carnaval à l’africaine où les rapports de force s’inversent, les puissants de la vie quotidienne cessent de l’emporter et, par la magie des ancêtres, des téléphones portables traversent les âges pour atterrir dans les poches des gamins sans le sou, fascinés.

C’est sans doute pourquoi « ici, après le foot, il y a le catch, résume le jeune Israël avant de reprendre ses acclamations chantées avec la foule. « Le public ce qu’il réclame, c’est les fétiches », explique Sirène, paré d’une perruque bouclée et d’une jupette. Le catcheur sait de quoi il parle. Avec l’aide d’une jeune fille qui ensorcèle ses victimes en roulant des hanches, il vient de mettre KO un géant.

Pour City train, 5 kg à la naissance d’après sa mère, champion d‘Afrique de catch en 2010, et star du Club des guerriers, « le meilleur fétiche du sport, c’est l’entraînement ». A le regarder soulever ses 200 kg de fonte quotidienne, on n’a pas envie de le contredire. Igwe Texas, pourtant, avec sa carrure de jeune fille ne le craint pas : «  il n’y a pas un catcheur qui pourra me battre. J’ai le pouvoir de démolir qui que ce soit. » De fait, c’est surtout son humour et son déhanché qui font le travail. Car il a le pouvoir de « faire danser » qui il veut, brutes épaisses, arbitres et coachs compris.

Beaucoup de féticheurs jouent la carte humoristique. Mais certains manipulent des « histoires très dangereuses ». Ces histoires, ce sont avant tout les apparitions, contrôlées par les ancêtres. Le Champion des catcheurs – féticheurs du Congo, Bijou Kisamvwote, dit « un coup une flamme », a ainsi pour habitude de faire porter un cercueil sur le ring. Grâce à son fétiche Mbengu Mbengu, la demeure de son ancêtre s’emplit de lampes-tempête, d’horloges, de mobiles qu’il lance à la foule galvanisée.

« Tout va changer », « Haut – commandement », « Club des guerriers », … Il existe  des dizaines de clubs à Kinshasa qui se disputent les faveurs du public depuis le retrait du célèbre Edingwe, longtemps champion en titre de RDC. Les professionnels tirent leurs revenus des évènements sponsorisés et de tournois en Angola ou au Congo voisin. Plusieurs partis politiques utilisent aussi la popularité des catcheurs à des fins de propagande, les affublant du drapeau du parti pendant les combats. Comme l’explique Simon, mécène et président d’honneur du club des guerriers de Ndjili : « Les féticheurs prennent possession de votre esprit : c’est comme s’il partait en voyage ». » Caroline SIx

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