En marge des Journées Makutano 5, tenues du 6 au 7 septembre Kimpinski Fleuve Congo Hôtel de Kinshasa, Albert Yuma, le président de la Fédération des Entreprises du Congo, a été un des invités de l’émission “Le Débat africain” de Rfi en partenariat avec VoxAfrica.
Répondant aux questions d’Alain Foka, l’animateur de l’émission, Albert Yuma est revenu sur ses convictions profondes pour l’émergence de la RDC. Il estime que la RDC est à un moment de son histoire où il a un avantage comparatif par rapport au reste du monde. Le pays a le cobalt et plus de 60% des forêts du Bassin du Congo. Ainsi, le patron des patrons invite les dirigeants à reprendre le contrôle tant du cobalt que de la gestion des forêts au profit des intérêts du peuple Congolais. Entretien.
Alain Foka: On dit du Congo que c’est un pays béni de Dieu, que c’est un pays à fort potentiel. Quand est-ce qu’on sort du potentiel pour entrer dans le réel ? Quand est-ce que le Congolais va être content d’appartenir à un pays riche ?
Albert Yuma : L’expression n’est pas fausse. Le potentiel est là. Oui, le Congo est un don de Dieu. Oui, c’est une réalité. Ceci dit. Il faut qu’on arrête de parler de potentiel. La question c’est comment on arrête de parler de potentiel pour parler des vraies richesses. Je vais être provocateur. La première condition c’est que l’extérieur, l’étranger, je ne dirai pas les occidentaux, arrête de nous mettre des obstacles. C’est la première condition.
Est-ce que les Congolais ne sont pas suffisamment grands pour contourner ces obstacles ?
Laisse-moi continuer. Arrêter de nous mettre des obstacles. Je l’ai dit hier (Ndlr: lors de la première journée au Makutano 5), de prendre notre destin en main. Vous l’avez dit, je suis dans les mines. Pourquoi est-ce que les mines ne bénéficient pas aux Congolais ? Le secteur minier a été géré, préparé, formaté pour ne servir que l’extérieur. C’est le premier obstacle. Les mines on doit les gérer, les utiliser pour que ça sert l’intérieur. La première condition c’est que les dirigeants se décident de reprendre souverainement la dignité et la donner au peuple. Nous allons gérer les mines en regardant les besoins du peuple Congolais. En prenant en main ce que nous avons, l’outil de contrainte vis-à-vis de l’étranger. C’est nous qui possédons les mines. Nous ne voulons plus qu’on partage avec vous l’exploitation. Acceptez qu’on cogère pour l’intérêt de notre peuple.
Êtes-vous en train de dire que les mines du Congo ne sont pas gérées par les Congolais, et que ça ne leur appartient pas ?
Je vais dire quelque chose qui n’est peut-être pas politiquement correcte. Quand je suis arrivé à la Gécamines début 2011. La première chose que j’ai dite. La première erreur est d’avoir saucissonnée la Gécamines et de donner des concessions aux étrangers. Ça été une erreur politique grave. Il faut revenir là-dessus.
Qu’est-ce qui empêche qu’on revienne dessus. Est-ce que les dirigeants ne peuvent pas faire le libre choix et faire ce que vous dites. Vous êtes quand même le président du Conseil d’administration de la Gécamines ?
Cher Alain, je pense que tu suis l’histoire de la Gécamines ces dernières années. Les différentes histoires racontées par les ONG ne sont dues au fait que moi président du Conseil d’administration j’avais dit “ça suffit”. Nous allons récupérer l’exploitation de nos minerais. Nous allons renégocier les partenariats parce que depuis 15 ans qu’on les a cédés. Vous nous avez promis en 2010, vous FMI et Banque mondiale, que la Gécamines est en faillite et doit être fermée. Le président Kabila a dit non. Et on a prouvé aujourd’hui qu’elle ne pouvait pas être mise en faillite. Mais, pendant 15 ans d’exploitation, on a reçu ni dividendes de l’Etat ni impôts sur le bénéfice. On a donné nos ressources. Ils nous ont dit que nous allons gérer pour vous et nous allons vous donner des ressources. Ça n’est jamais arrivé. Aujourd’hui, la responsabilité de nos dirigeants c’est de dire oui ça suffit. Nous allons suivre non seulement la Gécamines mais aussi d’autres secteurs selon la volonté du peuple qui nous élu : faire son développement. Et ça passe par un développement autocentré et couper le pont quand il y a lieu avec les partenaires extérieurs.
Est-ce que l’environnement des affaires est propice ? Les investisseurs craignent peut être la corruption ?
L’environnement des affaires ne se limite pas seulement à la corruption. C’est un vaste chantier où tout est mêlé à tout. Et c’est ma deuxième condition pour qu’on passe du potentiel à la richesse. On prend notre destin en main parce que le développement du Congo, ils l’ont pensé pour leur propre intérêt. Qu’on mette en place de façon volontariste une administration autonome, intègre et structurée. Autant il faut créer des champions dans le secteur privé, autant il faut créer des champions dans l’administration. C’est une condition absolue. Au lieu de prendre des critères de Doing Business, créons par notre volonté politique une culture politique administrative qui convienne aux intérêts de notre économie.
Albert Yuma…?
Je voudrais attirer votre attention sur ma troisième condition qui sont les moyens financiers. Il faut se décider de se donner les moyens. Chaque pays, à un moment de son histoire, profite d’un avantage comparatif. Aujourd’hui, les États unis d’Amérique ont l’avantage technologique. Nous avons aussi aujourd’hui un avantage unique qu’ont eu nos frères arabes il y a quelques années avec le pétrole. Nous, nous avons le cobalt et le bassin du Congo. De façon volontariste, je demande que le gouvernement décide de prendre le contrôle du cobalt pour créer un fonds souverain basé sur ces recettes-là de façon que ce soit le Congo qui décidera. On produit combien cette année. On exporte combien. Avec ça, on peut mettre un fonds qui peut servir de levier à avoir un financement extérieur. On peut se créer en une année 10 milliards de dollars qu’on donne à l’Etat les moyens budgétaires de sortir du cercle infernal du secteur minier pour aller vers l’agriculture, l’éducation de base, etc. C’est une condition. L’argent ne manque pas. Nous pouvons le créer nous même si on prend notre destin en main.
On paye trop d’impôts. Est-ce qu’on paye ici trop d’impôts?
Oui, nous disons dans le monde des affaires que la fiscalité est foisonnante. Elle n’est pas réglementée. Elle n’est pas incitative. D’où, nous avons parlé de pacte entre le public et le privé pour revoir les points essentiels du climat des affaires. À part le système judiciaire c’est le système fiscal. Nous avons 320 intervenants dans la chaîne de la recette pour une des assiettes fiscales les plus faibles. Ça doit changer. C’est une question de véritable dialogue. C’est pourquoi j’ai aimé le terme de pacte avec l’Etat. Ça revient à une de mes conditions : une administration autonome, intègre et structurée.
Est-ce qu’on n’a pas trop focalisé sur le potentiel minier et on a oublié le reste. Est-ce que ce n’est pas ça l’erreur qui fait qu’on reste un peu dans le rêve ?
Je l’ai dit et je le redit : “Il faut enlever cette idée simpliste qu’il suffit de développer les mines pour développer ce pays». Ce paradigme a été fait par le colonialiste parce que ça le bénéficiait. Il faut arrêter ça. Les mines sont épuisables. Aujourd’hui, les populations voient des camions partir avec des minerais et on leur laisse des trous. Non, les mines seules ne suffisent pas. La première chose qui est importante dans un pays c’est assurer l’autosuffisance alimentaire et l’éducation des populations. Mais, ça passe par le fait que, excusez-moi, il ne faut pas qu’on continue à nous imposer par la force de système qui ne permette pas qu’on construise une administration forte qui comprenne où sont les besoins et les priorités. Les administrations fortes qu’on admire en Europe, elles se sont faites sur des siècles ou en Asie par des régimes autoritaires.
Seriez-vous pour un régime fort, autocratique ou éclairé ?
Non, ce n’est pas ce que je dis. Je dis simplement que les administrations se construisent de deux manières. Sur le long terme, ça a été fait en Occident à travers souvent de guerre. Ou par des systèmes forts, éclairés qui mettent une administration qui permette après d’imposer des règles démocratiques.
Est-ce que les investisseurs peuvent vraiment venir en RDC. Les gens s’interrogent, il y a deux têtes. Est-ce que..?
J’ai dit au Makutano, la première conviction quand je parle aux Congolais c’est qu’ils ont un espoir qu’enfin avec la transition qui vient de se passer le Congo peut travailler de façon unifiée et unitaire. C’est à dire un ancien président se met ensemble avec un entrant pour travailler en coalition pour faire avancer le pays. Parce que, je l’ai dit ici, il ne faut pas qu’on comprenne que je suis contre les étrangers. L’unité du Congo n’a jamais été voulue, non pas par les Congolais, mais par l’extérieur. Aujourd’hui, on peut prouver que le Congo est unitaire et qu’on peut faire fonctionner ce pays.
Est-ce que la loi sur le local content vous convient-elle vous qui avez besoin des capitaux étrangers ?
Nous cherchons l’équité. Le combat que la Gécamines a mené c’était tout simplement pour l’équité. Pourquoi on ne peut pas tirer bénéfice des concessions minières que nous avons cédées. Excusez-moi, je vais utiliser une expression que j’emploie souvent. C’est parce qu’on pense que le palais du Congolais ne peut pas manger de beefsteak. Mais, si on peut aussi manger le beefsteak. Partageons équitablement le beefsteak. Une dernière précision. On parle de local content, les gens s’inquiètent. Mais, la plupart des pays qui nous environnent ont mis ça en place et ça n’a inquiété personne. Les pays asiatiques ont mis ça en place. Ça n’inquiète personne. Pourquoi ça doit inquiéter quand il s’agit du Congo. Quand Trump dit “américain first” on trouve ça normal.
Entretien retranscrit par Amédée Mwarabu/DESKECO