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Ahmed Kalej Nkand, le monsieur loyal de la sous-traitance

Originaire de Likasi, Ahmed Kalej Nkand est licencié en Économie et a fait une grande partie de sa carrière à la Banque centrale du Congo. Ex-Conseiller du Gouverneur du Katanga, il fut également Directeur général de la Gécamines et administrateur de plusieurs grandes entreprises en RDC. Il fut également une des chevilles ouvrières du code minier et de la loi sur la soustraitance. Depuis deux ans, il a créé son cabinet de consultance et a été nommé DG de l’ARSP début 2019, Autorité de Régulation de la Sous-traitance dans le secteur privé, créée en avril 2018. M&B l’a questionné à propos de la notion de sous-traitance, encore confuse pour beaucoup. Interview.

M&B : Il existe une certaine confusion autour de la définition même de « sous-traitance » en RDC. Aussi, avant même d’aller plus loin, pouvez-vous nous en donner votre définition ?

Ahmed Kalej Nkand : De façon très simple, la sous-traitance, c’est le fait d’externaliser en partie ou en totalité une activité qui aurait dû être menée par une entreprise dite principale. Cette activité principale étant inscrite au registre du commerce lors de la création de l’entreprise. C’est donc le fait de faire réaliser tout ou partie de son activité par une entreprise tierce.

M&B : Cette définition correspond en effet à celle des dictionnaires…

AKN : Je tiens ici à parler de l’esprit de la loi, car ce qui est visé par le législateur, c’est de créer de l’espace pour les entreprises congolaises afin de permettre à la classe moyenne de se développer.

M&B : Sur ce point, les choses sont claires et, si ça marche, plutôt louables. Mais, excusez-moi d’insister, peu de personnes ont compris ce qui entre dans le cadre de la sous-traitance et ce qui n’y entre pas.

AKN : prenons l’exemple du secteur minier… C’est le plus connu et le plus structuré. Ce qui est générique dans le secteur, c’est l’exploration, l’extraction et la transformation des substances minérales en métaux commercialisables. Ça, c’est la structure générale. Maintenant, lorsqu’on pratique ce genre d’activités, il y a ce que j’appellerai, les activités secondaires…

M&B : Oui, le bureau d’études, par exemple ?

AKN : Tout à fait, son rôle est essentiel et généralement, c’est une activité qui n’est pas gérée par l’entreprise. Nous considérons toutefois qu’elle tombe sous le coup de la sous-traitance. Ensuite, il faut passer à la phase d’exploitation et mener ce que l’on appelle une opération de découverture. Il faut évacuer des tonnes et des tonnes de terre. Cette opération tombe, elle aussi, dans le cadre de la sous-traitance si elle est externalisée. Enfin, il faut excaver, avec des engins particuliers, dont l’excavatrice. La location de ces engins ou le fait de faire réaliser l’opération par une entreprise prestataire tombe également sous le coup de la sous-traitance.

M&B : Jusque là, je vous suis. Il est évident que nous sommes dans l’activité principale. Même si j’ai une petite réserve sur le bureau d’études, mais passons. Continuons.

AKN : Le site d’extraction n’est pas forcément au même endroit que le site de transformation, il va donc falloir transporter les matières minérales. Cette activité de transport est, là encore, considérée comme de la sous-traitance.

M&B : Nous atteignons ici une limite, non ?

AKN : Pourquoi ?

M&B : Parce que l’activité principale de l’entreprise minière n’est pas d’être transporteur, au même titre que la SCTP ou que les acteurs privés spécialisés…

AKN : Oui, c’est vrai, mais il faut, sur ce chapitre, bien relire la loi qui précise que les activités connexes et les activités annexes sont considérées comme des activités de sous-traitance…

M&B : Nous y voilà ! Alors, définissons ces activités connexes et annexes qui sont, à mon avis, à l’origine des problèmes de compréhension.

AKN : Les activités connexes et annexes sont toutes les activités ayant un lien avec l’activité principale…

M&B : Pouvez-vous me donner un exemple dans le secteur minier ?

AKN : Et bien tous les intrants et réactifs qui sont nécessaires à la transformation du minerai brut pour le transformer en cathode entrent également dans le cadre de la loi sur la sous-traitance…

M&B : Vous voulez dire que les fournisseurs d’intrants deviennent eux aussi des sous-traitants ?

AKN : Oui ! 

M&B : Soit ! Si c’est la loi, continuons…

AKN : Ensuite, les cathodes doivent être acheminées jusqu’au port pour être transformées…

M&B : Ne me dites pas que la société de chemin de fer, si ce transport est ferroviaire, devient également soustraitant de la société principale…

AKN : Non, mais le transport entre l’entreprise et la gare l’est…

M&B : J’imagine que le fait de faire appel à une société de communication, de catering, de gardiennage ou que sais-je encore est considéré comme de la sous-traitance.

AKN : Oui, tout à fait !

M&B : Vous me dites que la loi concerne tous les secteurs de l’activité, donc autant dire aux investisseurs de quitter le pays !

AKN : Pas du tout ! Il n’est pas question de quitter le pays… Les investisseurs étrangers peuvent créer leur entreprise et en être propriétaires à 100 %. La seule chose qu’ils ne peuvent faire, c’est de sous-traiter avec des étrangers.

M&B : Donc, si j’ai bien compris, les investisseurs peuvent s’implanter sous réserve que le produit qu’ils fabriquent ou que le service qu’ils rendent ne soit pas destiné aux entreprises locales…

AKN : Pourquoi ?

M&B : Parce que dans ce cas, l’entreprise principale détenue par l’investisseur étranger devient sous-traitante, et les entreprises locales ne peuvent donc plus acheter son produit ou son service…

AKN : Exact. Dans ce cas, il faudra donc que l’investisseur étranger se mette en conformité avec la loi en ouvrant 51 % de son capital social à des Congolais…

M&B : Admettons que ceux qui sont là depuis longtemps souhaitent y rester et acceptent de vendre 51 % de leurs parts, quid de ceux qui auraient envie de venir investir ?

AKN : S’ils viennent créer des activités pouvant tomber sous le cadre de la sous-traitance, ils ne peuvent très clairement pas être actionnaires majoritaires de la société créée en RDC.

M&B : Prenons le cas réel d’un industriel congolais qui veut construire un barrage. Il a sélectionné une entreprise étrangère, EIFFAGE pour ne pas la citer, experte dans ce domaine… Comment peut-il faire ?

AKN : S’il parvient à prouver que l’expertise de cette entreprise n’existe pas en RDC, il peut faire appel à cette entreprise étrangère pendant six mois.

M&B : Mais construire un barrage prend trois ans !

ANALYSE ANALYSIS

AKN : Alors dans ce cas, la société Eiffage va devoir créer une société appartenant à 51 % à des intérêts congolais pour avoir ce marché.

 M&B : On ne risque pas de créer des hommes de paille vrais-faux actionnaires de ces entreprises étrangères ?

AKN : C’est un des dangers en effet… Et sur ce cas, je dis aux Congolais sollicités d’y aller ! La loi leur donnera raison et leur restituera leurs parts sociales !

M&B : On a peu parlé des sanctions encourues…

AKN : Elles sont claires : amende pour l’entreprise principale qui fait appel à une entreprise étrangère pour sous-traiter et rupture du contrat.

M&B : Un exemple récent ?

AKN : Une des majors du mining détenue par des intérêts chinois a commandé 250 logements d’habitation à une société d’origine sud-africaine. Nous leur avons fait savoir que c’était impossible, que cela tombait sous le coup de la loi et avons cassé le contrat. Cette société devra faire appel à une société congolaise.

M&B : Le Président de la République fait le tour du monde en quête d’investisseurs. Est-ce bien le moment de mettre en place des lois aussi contraignantes ? Ne craignez-vous pas que cela devienne un épouvantail à investisseurs ?

AKN : Non, car les activités principales représentent une part majeure de l’activité et des investissements en RDC, de l’ordre de 80 %. Avec la loi sur la sous-traitance, on ne se concentre que sur les 20 % liés aux activités de sous-traitance.

En clair, les télécommunications, le bâtiment, l’extractif, et tous les secteurs majeurs nécessitant de gros investissements restent ouverts aux entreprises détenues par des étrangers à 100 %, sachant, en outre, que l’État peut faire appel à ces investisseurs, car la loi ne concerne que le secteur privé. Le législateur a, en quelque sorte, fait le choix de mener une politique de discrimination positive pour les PME afin de favoriser l’émergence d’une classe moyenne. Nous restons convaincus que c’est ce « boosteur » qui favorisera une appropriation de l’économie par les nationaux.

M&B : Souhaitons-le ! Ce numéro 28 de M&B est partenaire officiel de Indaba ? Quel message souhaitezvous adresser à ces investisseurs ?

AKN : Qu’ils ne soient pas inquiets et qu’ils soient rassurés sur le fait que l’activité principale de l’entreprise n’est pas remise en cause… Ils peuvent donc en être propriétaires à 100 % ! Leur seule obligation étant de soustraiter avec des Congolais. Ils restent dans tous les cas bienvenus en RDC !

Propos recueillis par Fabrice Lehoux

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