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A Kinshasa, les chantiers des neuf nouveaux ponts piétinent, les Kinois aussi

A son élection, le président Tshisekedi avait promis un ambitieux « plan des cent jours » pour désengorger la capitale congolaise. Le remède semble pire que le mal.

Les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Le 31 janvier, une foule a ouvert à la circulation un pont urbain flambant neuf, le « saut de mouton » du quartier Pompage, à Kinshasa. Cette « inauguration par le peuple », comme s’en réjouit une vidéo devenue virale, est le résultat d’un rendez-vous manqué. Annoncé pour le 30 janvier, le président de la République, Félix Tshisekedi, n’est pas venu, en dépit du tapis rouge déroulé pour lui. Et les habitants de cette mégapole tentaculaire de 12 millions d’habitants n’ont pas eu la patience d’attendre plus longtemps.

Politiquement, c’est un camouflet, car les « sauts de mouton », comme on les appelle ici, font partie des mesures phares de l’ambitieux « plan des cent jours » du président Tshisekedi. Il s’agissait sur le papier de désengorger les grands axes de Kinshasa, chaque jour congestionnée par les bouchons, en construisant neuf ponts urbains. Une modernisation bienvenue, même si, dix mois après le début des travaux, la simple évocation de ces ponts fait bondir les Kinois, qui n’en peuvent plus des chantiers paralysant les avenues et réduisant la largeur de circulation à une seule voie.

« Pas de planification »

A Kinshasa, se déplacer est devenu un cauchemar. Mélanie qui habite le quartier Jamaïque, au sud-ouest du centre-ville mettait une heure pour se rendre à son travail. Depuis le début des travaux, elle a multiplié ce temps par trois. Son bus, immobilisé pendant de longues minutes, l’oblige à faire appel aux motos- taxis. « Je dépensais 4 000 francs congolais (2 euros) pour faire l’aller-retour, maintenant les chauffeurs me font payer jusqu’à 6 000 FC (3 euros). Parfois ils ne veulent même plus s’arrêter pour nous prendre. En fait, ils font ce qu’ils veulent, et moi je suis épuisée à la fin de la journée », désespère la jeune femme.

Ecoliers ou travailleurs, tout le monde se lève désormais à l’aube pour arriver à l’heure. Et aux heures de pointe, de longues colonnes humaines longent le boulevard du 30-Juin sous le soleil brûlant afin d’éviter les embouteillages. Pour rejoindre l’aéroport, qui n’est qu’à 20 kilomètres du centre, il faut compter jusqu’à quatre heures.

Les chauffeurs de taxi, comme Aimé, pestent contre les travaux : « On ne s’en servira même pas de ces ponts ! On ne changera pas nos habitudes, et en plus ils relient des axes secondaires en mauvais état ». L’état de ces routes, c’est aussi l’argument de la présidence pour justifier son report de l’inauguration du « saut de mouton » de Pompage : « Les environs sont trop sales et mal aménagés, on ne peut pas inaugurer dans ces conditions », a justifié Nicolas Kazadi, un conseiller de Félix Tshisekedi.

Les travaux ont commencé en mars 2019, et les premiers sauts de mouton auraient dû être inaugurés à l’automne. Mais les retards se sont accumulés et certains chantiers semblent à l’abandon. Des parlementaires de Kinshasa ont visité l’ensemble des sites les 4 et 5 février et ont « constaté sur un certain nombre de chantiers une vraie léthargie. Les travaux sont cosmétiques, les ouvriers sont juste là pour que la population ne s’énerve pas en voyant qu’il ne se passe rien », explique Ados Ndombasi, député de l’opposition. Et, pour deux des neuf « sauts de mouton », les travaux n’auraient même pas commencé.

« Pression financière incroyable »

A la présidence, on pointe un manque de fonds, et un budget trop ambitieux par rapport aux recettes réelles de l’Etat. « Le déploiement de l’école gratuite a coûté très cher, car nous avons décidé de l’appliquer à tout le pays d’un coup, et non par paliers. Ce qui nous a mis sous une pression financière incroyable », explique Nicolas Kazadi.

En plus, le coût de projet urbain a quasiment doublé, passant de 25 millions de dollars (22,8 millions d’euros) à 45 millions de dollars. Selon Valéry Madianga, de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) : « Il n’y a pas eu de planification. Les études de faisabilité, qui ont été menées trois mois après le début des travaux, ont conduit à un recadrage budgétaire complet. » L’ODEP affirme que 19 millions dollars ont déjà été décaissés.

Députés, présidence et société civile sont d’accord sur un point : tous veulent que les fonds manquants soient débloqués pour que les travaux reprennent au plus vite. Mais tous réclament aussi un audit solide de l’Inspection générale des finances pour comprendre où les erreurs ont été commises, et où est passé l’argent, d’autant que plusieurs sources évoquent des surfacturations manifestes. En attendant d’y voir plus clair, les Kinois, eux, sont priés de continuer la marche à pied ou de ne pas perdre patience dans les bouchons.

Source : Le Monde

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