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Il y a 30 ans, la fin d’un monde

Considéré comme un des grands politistes français, Bertrand Badie a donné une série de conférences en RDC, en octobre.

Considéré comme un des grands politistes français, Bertrand Badie a donné une série de conférences en RDC, en octobre. Pour ce Professeur à la Sorbonne, la chute du mur de Berlin, dont on célèbre les 30 ans, a marqué un tournant définitif dans l’histoire du monde. Il nous a fait l’honneur d’accorder un entretien à M&B.

Mining & Business Magazine : Vos recherches se concentrent sur l’impact majeur de la chute du mur de Berlin. En quoi l’évènement fut-il capital ?

Bertrand Badie : Parce que la chute du mur a marqué le passage définitif et réel d’un monde partagé entre les puissances du Nord à un monde vraiment globalisé. La bipolarité et la guerre froide avaient en quelque sorte gelé la domination des anciennes puissances et cette rivalité alimentait l’ordinaire de l’actualité internationale. Une fois cette rivalité disparue, le monde a enfin pris toute son ampleur.

M&B : La fin du clivage est ouest ?

BB: Oui, tout à fait. Et la « crise du Congo », en 1960, avait d’ailleurs été un moment majeur de projection de la bipolarité Est Ouest dans le monde tout récemment décolonisé du Sud.

La disparition du mur aura mis en évidence le caractère artificiel des alignements entre les « vieilles » puissances et les pays du Sud. Cela a permis de lever les équivoques, et c’est une mondialisation pleine et entière qui a pris place.

M&B : Vous affirmez souvent que les anciennes puissances dites « westphaliennes » sont entrées dans des relations d’interdépendance avec les autres pays, mais qu’elles ont du mal à le comprendre. Pouvez-vous développer ?

BB: Le vieux monde westphalien, c’est-à-dire celui qui est né du traité de Wesphalie, en 1648, qui fut l’acte de naissance des puissances européennes, est encore nostalgique. Nostalgie d’un temps révolu où il était véritablement seul au monde et où les autres étaient rejetés dans un statut d’infériorité, de domination, voir d’inexistence.

A cela, il faut ajouter la peur de voir ce régime mondial tout à fait favorable pour les puissances du nord disparaitre peu à peu.

M&B : Vous allez jusqu’à parler de cécité stratégique…

BB: Oui, tout à fait. Et cette cécité stratégique vient du fait que les grandes puissances veulent résolument continuer à faire comme hier, c’est-à-dire décider seules, en l’absence de l’autre, et bien trop souvent, se substituer à l’autre dans la gestion de ses conflits ou dans la gestion de ses affaires intérieures.

M&B : L’Afrique est-elle le prochain continent sur la liste de l’émergence ?

BB: En Afrique, les inégalités entre États restent encore profondément marquées, mais surtout, la notion même d’émergence est une notion en évolution permanente. L’émergence, c’était les nouvelles économies asiatiques, puis latinoaméricaines, qui venaient défier la prédominance économies européennes et nord-américaines.

Aujourd’hui, émergence signifie d’avantage la substitution d’un monde ancien vers un monde nouveau sans que forcement les performances économiques soient le critère dominant. D’autres critères vont entrer en ligne de compte. Le critère démographique par exemple fait que l’Afrique a de plus en plus une position centrale.

Le critère des ressources naturelles également. Il ne faut oublier que l’Afrique, c’est quand même plus de 30 % des ressources naturelles dans le monde.

M&B : La mondialisation est, pour vous, un des critères essentiels, n’est-ce pas ?

BB: C’est exact, mais dans la vision nouvelle de ce que peut être la mondialisation. Et c’est en effet dans cette dernière idée que se trouve le ressort le plus remarquable de forme nouvelle d’émergence. Nous assistons à une reconstitution de l’agenda international autour d’acteurs nouveaux, de pays

nouveaux, de puissances nouvelles, mais aussi, on va repenser les grands enjeux internationaux en fonction de paramètres nouveaux.

M&B : Quels sont ces grands enjeux ?

BB: La sécurité humaine, alimentaire, sanitaire, environnementale… Et sur ces différents sujets, l’Afrique construit de plus en plus un paysage nouveau qui est assez inédit en termes d’émergence.

M&B : Vous revenez de RDC. Avec ce que vous avez vu, vous avez une vision plus précise sur l’avenir du Congo. Cet avenir se joue-t-il dans son sous-sol, avec ses terres arables ou avec son eau douce ?

BB: On a toujours tendance à considérer que l’avenir d’un pays se joue essentiellement à partir de ses ressources humaines… Et bien, concernant le Congo, et hors ses capacités à contrôler les grandes ressources dont industrie a besoin que chacun connaît, ce qui m’a le plus frappé, c’est l’extraordinaire dynamisme de la jeunesse congolaise.

M&B : Sans transition quel est votre avis sur le rôle de la chine a Congo et ce que vous en avez vu en Afrique en général.

BB: humm ! J’ai été auditionné par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française et 4/5 ème des questions ont porté sur la Chine dans le monde. C’est l’obsession actuelle ! Moi, ce que j’ai pu voir, c’est une présence chinoise assez banale en RDC. Je m’attendais à ce qu’elle soit plus visible.

M&B : Pouvez-vous nous dire deux mots de votre relation à l’Afrique ?

BB: J’ai un rapport particulier à l’Afrique qui remonte à très loin. L’art africain m’a toujours fasciné. Il y a toujours eu chez moi une intuition qui me conduisait vers l’Afrique… Ma double origine persane et française m’a toujours conduit à m’intéresser à l’altérité. Et, pour moi, l’art africain est un ressourcement face à ce principe d’altérité auquel je suis très attaché. C’est aussi la fascination pour une humanité beaucoup plus expressive que représentative…

M&B : Vous publiez votre 19ème livre, vous nous en dites deux mots ?

BB: Le 19ème écrit seul… et le 40ème si on prend en compte ceux écrits en collaboration. Il s’appelle « L’hégémonie contestée » et est un peu le prolongement de ses précédents. La thèse que je défends, c’est que notre époque moderne a pu donner au temps de la guerre froide l’illusion d’une hégémonie accomplie à travers l’hégémonie américaine… Mais depuis la chute du mur, on voit que cela ne fonctionne plus… Les États-Unis ne gagnent plus les guerres, ne parviennent pas à imposer l’ordre international dont

ils rêvent, la culture occidentale est remise en cause… D’autres cultures et d’autres modèles s’affirment et se montrent plus résistants et plus visibles que ceux qui sont portés par la puissance. C’est ça, en quelque sorte l’argument du livre.

M&B : Bertrand Badie, merci.

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