Après une dizaine d’années à des postes de direction à la Citi Bank, et autant à la Standard, Félicité Singa Boyenge tâchera en vain pendant trois ans de sauver la FiBanK, dont elle est nommée directrice générale en 2012. Forte de ce parcours d’exception, cette experte du secteur financier congolais, vice–présidente de l’ACB pendant 3 ans, crée en 2016 le cabinet-conseil EMAC, Executive Management Advisory & Consulting. Fondatrice en mai dernier du Club des banquiers «The Bankers Club DRC», elle livre son analyse sur les perspectives 2020 du secteur bancaire en RDC et, mois de mars oblige, sur l’entrepreneuriat au féminin. Interview.
Comment s’annonce 2020 pour le secteur bancaire en RDC?
On doit en premier lieu noter la bonne santé du système bancaire. Il y a eu un vrai « jump » sur les cinq dernières années, et notamment sur 2018/2019. Le total du bilan des banques a atteint 8.5 Bn us dollars, dû principalement à l’augmentation des dépôts à un peu plus de 6 Bn us dollars et des opérations bancaires ayant ainsi positivement impacté le chiffre d’affaire et le profit net des banques. Ce qui est encourageant. En 2020, on risque par-contre de voir certaines banques peiner pour atteindre le seuil des 50 millions de capital minimum exigé par la BCC, sachant que plusieurs d’entre elles ont déjà eu du mal à atteindre les 30 millions. Une attention toute particulière est cependant à porter sur la détérioration du portefeuille crédit dans certaines banques, ce qui risquerait de plomber les efforts enregistrés jusqu’ici.
L’Association Congolaise des Banques va demander un délai, non?
Oui, elle va probablement demander un recul de l’échéance à fin 2021…
50 millions de capital minimum, ça donne quoi par rapport aux autres pays ?
Peu par rapport aux économies avancées telles que celle du Nigéria où on est sur des valeurs en capital pour les banques avoisinant les 200 millions, mais 50 millions, ça reste dans la bonne moyenne en Afrique Centrale. C’est toutefois trop faible par rapport aux besoins de financement des grandes entreprises comme les miniers notamment. Ça les oblige à aller chercher des financements à l’extérieur alors qu’il serait préférable que les banques locales soient en mesure de financer des projets importants avec des ressources locales.
Vous tablez sur une progression de combien sur 2020?
En termes de total bilan, entre 10 et 15 %… En partie en raison de l’application de la loi obligeant les miniers à rapatrier une bonne partie des recettes d’exportation et aussi au vu du développement du secteur des assurances dont le potentiel, à moyen terme, est d’environ 800 millions, alors qu’il est à moins de 400 aujourd’hui. Cependant, la croissance des banques est dépendante de la santé de l’économie qui elle-même est dépendante de la situation politique et sécuritaire. Je n’invente rien en disant cela.
Et côté conjoncture internationale?
Si certains pays avancés risquent d’être négativement impactés par la crise financière à venir (je fais référence aux prévisions annoncées dans les média internationaux), les pays de l’Afrique sub-saharienne en général et la RDC en particulier pourraient être épargnés du fait de la faible exposition de leurs engagements extérieurs, comparativement aux continents européens, américains et asiatiques. Quant à l’audit du Trésor américain sur les flux de capitaux en dollars en RDC, il permettra, nous l’espérons tous, de lever l’équivoque sur les soupçons de blanchiment de capitaux et l’épée de Damoclès qui est suspendue sur notre pays depuis quelques années. Sur ce point, je fais confiance aux institutions du pays et je suis sereine.
D’autant que le nouveau pouvoir est plutôt bien vu par Washington…
Oui, le Président de la République a fait un vrai travail de changement d’image. Nous sommes même redevenus fréquentables aux yeux de certains !
Que pensez-vous de la politique de bons du Trésor lancée par la BCC fin 2019? L’État peut-il créer de la dette?
La politique de bons de trésor est un levier de financement intéressant pour les grands projets… et dans le même temps un outil de stabilisation du Franc congolais. Je regrette peut être que la communication n’ait pas été au rendez-vous de l’attractivité particulière de ces produits financiers. Quant à la dette intérieure, l’état peut effectivement créer de la dette avec les bons du Trésor. Si ça finance la gratuité de l’école par exemple, pourquoi pas !
Et que pensez-vous du fonds pour les générations futures et la mise en place de la ZLEC au 1er juillet. Pure utopie?
Les fonds pour les générations futures, là, je suis moins optimiste ! Le dossier est sur la table des décideurs, mais je crains que ça ne traine… Ceci dit, et pour mettre une dose de positif, le simple fait qu’on y travaille vraiment est déjà un grand pas. Quant à la ZLEC, il faudra bien ouvrir les frontières un jour ou l’autre, de toute façon. Je pense que la RDC n’est pas encore prête, si je puis m’avancer, on n’a pas su planifier (administrativement, juridiquement et sécuritairement) contrairement à certains pays frontaliers par exemple.
The Bankers club existe depuis un an maintenant, un bilan?
Nous avons organisé notre second « breakfast meeting » en février au cours duquel nous avons, entre autres, échangé autour d’un sujet d’actualité à savoir « le blanchiment des capitaux en RDC » avec les représentants de la Banque Centrale du Congo, de l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Assurances et de la Cellule Nationale de Renseignements Financiers, l’Association Congolaise des Banques ainsi que les dirigeants des banques, des sociétés d’assurance et devant un parterre d’acteurs économiques de divers secteurs d’activité. Côté bilan, le club se structure et se pose comme une plateforme d’échange, de réflexion et de formation de premier plan à travers ses forums et conférences débats pour les cadres des institutions financières.
Femme dans le secteur bancaire en RDC, vous avez maintes fois déclaré ne pas avoir été freinée dans votre progression, est-ce exact ?
Oui, tout à fait… Peut-être un peu, au départ, il y a 26 ans, mais c’était une autre époque. Je pense par-contre que la carrière dans le milieu professionnel et l’entrepreneuriat au féminin n’est pas assez encouragé alors que je suis convaincue que la femme peut également et valablement participer au développement du pays. Elle en est peut-être même la clé ! J’encourage la parité et à compétence égale, change égale donnée aux femmes.
Allez plus loin…
Pour le développement de la femme, nous devons réfléchir à des formules allant bien au-delà des coups de comm’ de certaines banques de la place où des nombreux séminaires d’information organisés à travers le pays. L’octroi d’un crédit de trésorerie ne suffit pas. Il faudrait pourvoir financer des projets qui génèrent une valeur ajoutée dans l’économie. Je pense que le problème majeur réside dans l’accompagnement, il faut en effet un réel accompagnement lors de la phase d’opérationnalisation. On pourrait envisager une structure de mise à niveau professionnel, sous forme de cours du soir par exemple, pour ces femmes qui sont déjà dans les affaires et qui souhaitent parfaire leurs compétences.
Un dernier mot ?
Soyons résolument optimistes ! La RDC s’est engagée sur de bons rails !
Propos Recueillis par F. Lehoux