Depuis le 31 janvier, l’Union Jack ne flotte plus à Bruxelles et Strasbourg. La promesse d’une « nouvelle aube » faite le même soir par le Premier ministre anglais, Boris Johnson, a finalement vu le jour. S’il faudra attendre le premier janvier 2021 pour que le divorce entre le RoyaumeUni et l’Union soit réellement consommé, les accords commerciaux et autres traités, incluant ceux signés avec les pays africains, qui liaient les britanniques au reste du monde via l’UE sont par contre d’ores et déjà caduques et à renégocier. Analyse.
Le 31 janvier dernier, trois ans et demi après le référendum historique lors duquel les britanniques se sont prononcés en faveur du « Brexit », le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Le divorce, dont les détails ne sont d’ailleurs pas définis entre Londres et Bruxelles, est donc scellé pour le meilleur ou pour le pire après quarante sept ans d’un mariage il est vrai, souvent houleux ! Du côté des « Brexiters », majoritairement ruraux et conservateurs, voire d’extrême droite, on se sent libéré du diktat et de la lourdeur technocratique des institutions européennes. On s’imagine même presque en eldorado pour investisseurs pratiquant le dumping fiscal aux portes de l’Europe.
Du côté des « remainers », plutôt urbains et progressistes, et des Européens, on aurait plutôt tendance à manquer d’optimisme. Les premiers craignant la fin de la libre circulation et une facture économique et sociale bien plus lourde que prévu, et les seconds une contamination à d’autres pays de l’Union signant la fin des ambitions communautaires, voire la fin de l’UE tout court. Techniquement parlant, ce 31 janvier aura été plus symbolique qu’autre chose, en tout cas jusqu’à la fin de l’année 2020, a minima.
Les traités économiques signés entre l’UE et le Royaume-Uni, et ceux concernant la libre circulation des biens et des personnes notamment, restant valables tant que les négociations dites « postBrexit » effectuées dans le cadre de la « période de transition » n’ont pas permis d’en conclure de nouveaux. Le Premier Ministre anglais Boris Johnson, BoJo pour les médias, qui affirme que les choses seront « pliées » au 31 décembre 2020, fait preuve d’un rare optimiste lorsqu’on sait que le moindre traité entre l’Union et ses partenaires prend entre trois et sept ans avant ratification.
Dès lors, et jusqu’à nouvel accord, le Royaume continuera à « subir » les injonctions de Bruxelles, sans avoir à cotiser c’est vrai (rappelons toutefois qu’il récupérait la quasi totalité de sa quote-part sous forme de subventions), mais sans avoir non plus son mot à dire, vu que les députés britanniques ont quitté le Parlement de Strasbourg et que les commissaires et autres conseillers de la Grande Ile ont dû rendre la clé de leur bureau à la Commission. Par contre, le Royaume-Uni est « mécaniquement sorti des 600 accords internationaux passés par l’Union au nom de ses Etats membres » le 31 janvier, comme l’a précisé le chef des négociateurs européens, le Français Michel Barnier, et entend bien en profiter. Bojo a déjà fait savoir à l’allié américain qu’il souhaitait consolider les liens.
Le Président Trump ayant pour sa part déclaré qu’un traité « amazing » serait bientôt signé. Idem avec Pékin, le Proche-Orient, le Canada, et, pour ce qui nous intéresse au premier chef, l’Afrique. Impulsé sous Teresa May, le renforcement des relations économiques avec le continent est donc plus que jamais à l’ordre du jour et le premier Sommet Royaume-Uni-Afrique des 20 et 21 janvier, à Londres, en fut certainement l’acte fondateur. Londres a bien compris que sans la solidarité européenne – et la richesse et la puissance qui vont de pair avec elle -, elle va perdre beaucoup en pouvoir d’influence. Les associés d’hier se retrouvent en effet concurrents sur de nombreux terrains d’affaires et, en cas de « Brexit dur », c’est-à-dire sans que des accords de partenariats économiques gagnant-gagnant avec l’UE soient signés, il y a fort à parier que peu de pays hésiteront à se mettre à dos l’UE en préférant du « made in UK ».
C’est donc à une opération de charme sans précédents que le Royaume-Uni se livre depuis bientôt deux ans avec l’Afrique pour tenter de nouer de nouveaux partenariats d’affaires, et compenser une partie des points de PIB perdus sur le marché européen. Un des objectifs de Londres étant de le faire avant que les modalités du divorce avec l’UE soient ratifiées. Opération d’autant plus délicate que l’ex-puissance coloniale n’a gardé que des relations lointaines avec la quasi totalité des pays africains. On se rappelle notamment qu’avant la tournée de Tereza May, en 2018, aucun Premier Ministre n’avait foulé le sol du continent depuis cinq ans, et depuis trente ans pour celui du Kenya, qui en fut la première étape.
Opération délicate donc, mais aussi ambitieuse, car Londres n’entend pas se contenter de renforcer ses alliances historiques avec les anglophones et lorgne avec un appétit à peine dissimulé vers l’Afrique francophone en général, et la RDC en particulier, dont les ressources en matières premières l’intéressent au plus haut point. « Depuis 2018, comme le souligne Alex Vines, le directeur du Think Tank Chatham House, le gouvernement britannique a recruté plus de 400 hommes et femmes spécialisés dans des domaines aussi divers que le commerce international, la sécurité et l’économie du développement pour renforcer son réseau diplomatique africaniste. »
Mais l’avantage comparatif de Londres pour tenter de doubler les pays européens est sans conteste la « liberté retrouvée » face aux « normes et pesanteurs de l’Union » pour aller vers un commerce « agile » et donc plus efficace, comme le souligne l’économiste Jean-Joseph Boillot. Ce dernier rappelant également qu’ « à peu près un tiers des grandes entreprises présentes en Afrique est d’origine britannique : BP, Shell, Barclays, Standard Life, Vodafone, pour ne citer que les plus connues. »Toutefois, et d’après les observateurs, Londres a pêché lors du sommet en proposant de n’accorder que 65 millions au secteur technologique dont l’Afrique a aujourd’hui tant besoin.
La promesse d’investissement globale, proche des 7,5 milliards, est en effet essentiellement destinée à l’extractif ou au secteur financier, or ce ratio dénonce à l’évidence une stratégie centrée sur de vieilles recettes dont l’Afrique ne veut plus.
Enfin, et osons le dire clairement, les Brexiters ont gagné leur bataille électorale en y imposant le thème central de la lutte contre l’immigration africaine notamment, dont l’Europe serait la première complice. Pourtant, renforcer les liens avec l’Afrique se fera difficilement sans une révision de la politique d’attribution des visas, restée l’une des plus strictes.
Cet assouplissement, certes promis par Boris Johnson lors du Sommet est officiellement inscrit à l’agenda mais chacun sait que cette promesse est en totale opposition avec celles faites à l’électorat lors de la campagne du referendum. Il va donc falloir choisir entre les électeurs et les intérêts du Royaume en Afrique, et peu doutent de l’option qui, in fine, sera actée.
Fabrice Lehoux
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