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Paul DERREUMAUX

«Le FCFA a montré récemment sa capacité d’évolution, qui renforce les avantages pouvant être retirés de cette monnaie commune »

À l’heure où tous les pays du monde sont confrontés à la crise économique due à la pandémie du Coronavirus, la planche à billets tourne à plein régime. Rarement dans l’histoire les pays se sont autant endettés. Qu’en est-il des pays africains la plupart très endettés avant la crise ? Mining & Business aborde le sujet avec Paul Derreumaux, économiste de formation, ancien PDG et fondateur du groupe bancaire africain Bank Of Africa.

Mining & Business : Depuis le début de la crise sanitaire du Coronavirus et de la crise économique qui s’en suit, la planche a billets tourne à plein régime partout dans le monde. Plusieurs plans d’aides sont mis à exécution pour soutenir les économies. L’on annonce notamment 2200 milliards de dollars par la FED aux États-unis ou encore plus de 1000 milliards d’euros par la BCE. Quelle est votre appréciation en tant qu’économiste de ces plans d’aides ? Ne défient-ils pas les principes mêmes de la création monétaire ? 

Paul DERREUMAUX : Ces plans d’aide étaient indispensables et leur ampleur s’est encore accrue récemment. La situation est en effet inédite d’une contraction brutale, simultanée et considérable de l’offre et de la demande dans les principaux pays. Face à cela, les pouvoirs publics ont partout une double urgence: apporter une aide optimale à la partie importante de la population qui a perdu un emploi ou subi une forte baisse de ses revenus ; mettre en place les financements au profit des entreprises, qui leur permettent de supporter la période d’arrêt ou de ralentissement et de faciliter un redémarrage sans doute progressif. Contrairement à la crise de 2007, où la question majeure était celle de la liquidité et de la survie des systèmes bancaires, l’acteur central doit bien être ici l’Etat. Il assume ainsi ses deux fonctions de redistribution de revenus au profit des moins favorisés et de garant en dernier ressort pour des financements qu’il considère comme vitaux pour la nation. C’est donc bien le retour au premier plan du rôle de l’« Etat providence », qui s’insère aussi dans le grand mouvement de «démondialisation » engagé depuis fin 2018. C’est également une évolution rendue possible par la faiblesse des taux d’intérêt qui rend l’accroissement de l’endettement des Etats presque indolore en termes de charge annuelle de remboursement. Enfin une conséquence de l’évènement est que le dogme sacrosaint de la maîtrise de la dette extérieure et de la limitation des déficits budgétaires a été terrassé par quatre mois de Covid-19.

Avec 365 milliards de dollars, la dette des pays africains est actuellement au centre d’âpres discussions entre les créanciers des pays concernés et la task force mis en place par l’union africaine. Le FMI a d’ores et déjà annoncé la suspension temporaire du service de la dette de 25 pays africains à hauteur de 500 millions de dollars. Entre suspension temporaire, rééchelonnement (un moratoire comme le propose le Président Emmanuel Macron) et annulation pure et simple, quelle option vous semble la plus équitable pour ces pays?

Il règne pour l’instant beaucoup de confusion en la matière. D’abord en termes de chiffres : les montants les plus astronomiques s’alignent sans qu’il soit encore possible de faire un diagnostic sérieux des besoins réels ; de plus, on ne parle guère des modalités de financement de ces sommes comme si ce point était secondaire ; en outre, il serait intéressant de distinguer ce qui relève d’engagements antérieurs à la crise et ce qui constitue des engagements nouveaux. Enfin, la rapidité des déboursements sera-t-elle à la mesure des attentes alors qu’elle est souvent un point de blocage? 

De même, pour la dette existante, les approches possibles sont multiples. Certains demandent une annulation pure et simple. Beaucoup proposent une restructuration ou un moratoire sur les intérêts ou les échéances en capital, pour une durée d’ailleurs variable. Il est sans doute trop tôt pour trancher entre ces options, mais plusieurs principes seront sans doute respectés. Ainsi, les allègements ne seront vraisemblablement pas les mêmes pour tous les bailleurs ni pour tous les emprunteurs, et devraient être fonction de négociations au cas par cas. A chaque fois, l’urgence imposera que les décisions à prendre soient les plus généreuses possibles et interviennent vite pour être les plus efficaces. Il parait aussi équitable que les allègements tiennent compte de l’utilisation des financements accordés pour qu’il n’y ait pas de prime à la mauvaise gouvernance passée. 

Enfin, pour le futur, les nouveaux financements devraient tenir compte de la qualité des programmes d’actions qu’ils servent à réaliser.

Plusieurs voix s’élèvent de plus en plus sur le continent pour dénoncer le supposé cynisme de la dette africaine. Existe-t-il selon vous une solution à moyen ou long terme pour les pays concernés de s’affranchir de cette dette?

La situation présente est, heureusement, une exception. Dans les circonstances plus « normales », le niveau optimal de l’endettement global dépend à la fois de l’impact de celui-ci sur le rythme de croissance économique et du poids que ses échéances de remboursement annuel représentent dans le budget de l’Etat. Deux ratios identiques d’endettement peuvent donc être plus ou moins supportables selon leur effet sur le développement du pays et la structure de coût de la dette. Il faut aussi distinguer l’endettement intérieur de l’Etat et son endettement extérieur en devises étrangères qui ajoute l’inconnue du taux de change. Il n’y a donc pas de règle absolue. Dans tous les cas, les pouvoirs publics doivent avoir pour objectif d’accroitre la richesse intérieure et de justifier la mise en place d’équipements publics de bonne qualité pour faciliter l’accroissement des ressources fiscales, pour lesquelles l’Afrique est très en retard. Certains pays peuvent aussi rechercher une mobilisation accrue et mieux ciblée des ressources de la diaspora comme l’a montré en 2019 l’emprunt obligataire de la Banque de l’Habitat du Sénégal.

Un autre sujet brûlant qui a beaucoup agité le continent ces derniers mois est celui du FCFA. Vous avez durant plusieurs années dirigé le groupe BOA. Pensez-vous aussi que le FCFA est un frein au décollage économique des pays concernés ? À l’industrialisation en Afrique ?

Il n’y a pas de monnaie parfaite, mais le FCFA a montré récemment sa capacité d’évolution, qui renforce les avantages pouvant être retirés de cette monnaie commune. Les retards dans l’industrialisation résultent de nombreuses causes qui ne peuvent être ramenées à ce facteur monétaire. 

Dans la crise actuelle, la BCEAO a montré une rapidité de réaction qui impressionne et l’accord donné pour l’émission par les Etats de bons Covid-19 à court terme garantis par la Banque Centrale est un témoignage de solidarité qui montre la cohésion de cet espace économique et monétaire bien intégré. L’Union Européenne pourrait d’ailleurs s’en inspirer. La situation de l’Afrique Centrale francophone est beaucoup plus difficile à cause du cas particulier du pétrole, en plein chaos depuis mars dernier. 

Qu’est devenu Paul Derreumaux depuis son départ du groupe Bank Of Africa en janvier 2011?

J’ai poursuivi mes mandats dans les entités du Groupe BANK OF AFRICA en y mettant fin progressivement au fur et à mesure qu’ils venaient à échéance, jusqu’au premier semestre 2019. Depuis lors, je reste Président d’Honneur du Groupe BANK OF AFRICA. J’exerce depuis 2010 des missions de Président du Conseil, d’Administrateur ou de membre du Comité d’Investissement dans des sociétés de divers secteurs : de la banque à l’hôtellerie en passant par des sociétés de télécommunications et des fonds d’investissement. Je garde aussi à ce jour une activité opérationnelle dans une société familiale de promotion immobilière en Afrique de l’Ouest. Surtout, je passe de plus en plus de temps à l’écriture sur mon blog Regard d’Afrique. Je viens de publier mon second livre de chroniques intitulé Ombres et Lumières d’Afrique et je prépare deux autres ouvrages.

Michée Darée pour M&B Magazine

Michée Darée est journaliste économique basé à Abidjan. Il écrit pour plusieurs médias de la presse écrite tels que Ressource Magazine, AfriMag, Forbes Afrique et Jeune Afrique. Il est auteur de centaines d’articles dans les domaines comme l’économie, l’énergie et la défense. Il intervient également comme panéliste ou modérateur pour des conférences ou colloques à travers le continent et au-delà. 

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