Exercice imposé, le discours du Président se voulait celui du bilan, « revisiter le chemin que nous avons parcouru ensemble », mais aussi celui des enjeux à venir : « prendre la mesure des défis, aux plans politique, économique et social ». Dans les faits, et à l’exception de quelques annonces à la marge, le Président a choisi de ne pas développer son projet de développement économique au profit d’un discours que l’on pourra qualifier d’historique, centré sur l’humain et sa vision philosophique de la nation. Analyse.
Ce que l’on retiendra peut-être avant tout de ce discours tient dans la façon dont le Président de la République a pointé du doigt, dès l’introduction et à plusieurs reprises, les responsabilités intérieures, « celles des enfants du pays » ou de « cette classe politique versatile, transformée en une sorte de mafia », qui ont conduit la RDC « dans cette descente aux enfers ». Il dénoncera également, en référence à Georges Floyd, ceux parmi « ses concitoyens qui s’indignent lorsqu’il est porté atteinte aux droits et libertés des personnes de couleur sous d’autres cieux (…), mais qui se retrouvent parmi ceux qui attisent le tribalisme et la haine » en RDC. Cette approche est historique, car si le Président insiste sur le rôle néfaste des « convoitises étrangères » et des « pays voisins », ses prédécesseurs à la tête de l’État nous avaient plutôt habitués à une dénonciation sans nuance des seuls étrangers, lorsqu’il s’agissait de faire un bilan économique et social du pays.
Cette affirmation forte du rôle négatif joué par les Congolais eux-mêmes ouvre donc une ère nouvelle dans l’approche historique au plan intérieur, sur laquelle il appelle d’ailleurs les « scientifiques à travailler ». En substance, on sent que le Président invite la population à aller vers l’introspection avant de plonger tête baissée dans la logique victimaire. Cette introspection étant, suggère-t-il, une des clés pour « lutter contre l’impunité, contre la corruption et les antivaleurs, à la base de presque tous les maux dans les différents secteurs de la vie nationale » et qui « constituent les éléments centraux de (sa) stratégie, sans lesquels tout réel espoir de changement est impossible ».
« La réconciliation des deux approches », à savoir celle de Lumumba et celle de Kasa Vubu, entre dans ce même schéma de pensée. Avec cette déclaration et cette élévation du Père de l’Indépendance au rang de Héros national, le Président Tshisekedi réaffirme les liens amicaux, voire affectifs de la RDC avec la Belgique qu’il déclare même être « son second pays de cœur », à l’instar du premier des ses prédécesseurs, lors de son adresse au Roi Baudoin, le 30 juin 1960. Ainsi, et presque à contre-courant, le Président de la République acte le bien fondé de la communauté de destins qui nous lie à l’ancienne puissance coloniale et annonce même vouloir la renforcer « pour garantir un avenir radieux à nos deux peuples ».
Sur le plan de la politique intérieure, on aura noté, après le satisfecit de rigueur sur l’évolution des réformes engagées, le renforcement de la paix à l’Est et la gestion de la crise sanitaire, le tacle sévère au régime précédent, accusé d’avoir commis les « répressions les plus sanglantes, les plus barbares, à la veille des élections de décembre 2018 » (…) « jusqu’à l’intérieur des églises ainsi profanées ». Le « Je n’oublie personne, je n’oublie rien » présidentiel étant probablement à prendre très au sérieux par les caciques de la Kabilie en ces temps « qualifiés par certains de République des juges ». Idem lorsqu’il évoque « l’expérience douloureuse révélée au cours du procès en rapport avec le Programme des 100 jours » qui lui fait penser « aux coulages d’argent public » liés « au projet de Bukangalonzo, aux multiples cessions d’actifs miniers, aux projets de construction d’infrastructures routières, aéroportuaires et j’en passe », dont chacun sait qu’ils ont eu lieu sous la précédente mandature. On aura également souligné le rôle négatif que le Président attribue à demi-mot au FCC dans l’« inutile crise institutionnelle » liée à la cohabitation politique.
Concernant les annonces et les réformes, le Président a laissé entendre que le projet Inga n’est pas enterré et qu’une réforme de l’impôt est dans le pipeline afin de « mobiliser davantage nos ressources internes et (…) soutenir à long terme l’éducation de nos enfants ». Il a également annoncé le lancement d’un « programme multisectoriel d’urgence dont le coût est estimé à 2,6 milliards de dollars américains », en précisant que ce plan sera partiellement financé par des « économies » dans les institutions, douchant au passage les demandes d’augmentation de nos députés.
En résumé, le Président de la République a confirmé avec clarté le cap qu’il a fixé dès son arrivée au pouvoir. Cap basé sur un changement en profondeur de la stratégie pays à l’international, mais aussi à l’intérieur, où il entend replacer l’humain, et les jeunes en particulier, l’État de Droit et le rassemblement national, « sans chasse aux sorcières », mais dans un esprit de rédemption « inspiré par sa foi en Dieu », au centre de sa vision.
Bruno Ziana
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