Si le confinement s’est avéré catastrophique pour l’économie mondiale, l’expérimentation forcée à grande échelle du télétravail pourrait au contraire en favoriser la relance. Les patrons comme les salariés se sont en effet aperçus qu’au-delà des idées reçues, cette nouvelle forme d’organisation peut, sous réserve d’une légère remise en question de part et d’autre, sérieusement booster l’activité de l’entreprise. Analyse et décryptage Monde, Afrique et RDC.
Le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle une tâche qui aurait pu être exécutée dans les locaux de l’employeur est effectuée par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire, et en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Les sociologues ont coutume d’en voir l’origine avec l’expérience menée par l’architecte Norbert Wiener qui, en 1950, va utiliser avec succès tous les moyens technologiques imaginables à l’époque pour superviser depuis ses bureaux basés en Europe la construction d’un immeuble aux États-Unis. C’est dans les années 70, avec la démocratisation du téléphone automatique et l’arrivée du fax, que le « téléwork » se développe, puis à partir des années 90, avec l’avènement des NTIC, qu’il s’impose comme nouvelle méthode de travail. Pour parler chiffres, l’étude réalisée début 2019 par Calexa Group, spécialiste de l’intelligence collective, révèle que le nombre de salariés évoluant en télétravail de façon régulière est en constante augmentation ces dernières années, mais que les disparités en fonction des pays sont importantes. Ainsi, au premier rang mondial 54% des Brésiliens déclarent travailler à distance, alors qu’avec ses 8 % de télétravailleurs, le japon représente l’un des parties du monde, hors pays en développement, où le taux de travail à distance est le plus bas. Étonnant ? Pas vraiment, car à l’instar de ce qui se passe sur le continent africain, et nous y reviendrons, le « présentéisme » est, au pays du soleil levant, une des valeurs très fortes de l’entreprise.
Aux États-Unis, pionniers du travail à domicile à grande échelle depuis plus de trente ans, l’Agence Fédérale pour le Déploiement du Télétravail, récemment mise en place, affichait 36 % de télétravailleurs à temps complet ou partiel en 2019. Mais rappelons que la population active des USA est à 80 % issue du tertiaire. En Europe, selon l’Observatoire du Télétravail, on constate une grande disparité entre États. Ainsi, 46 % des Suédois télétravaillent régulièrement contre 29 % des Français et seulement 3 % des salariés de Roumanie, pays pourtant couvert à 100 % par des réseaux internet de qualité dans les zones urbaines et périurbaines. En Inde, qui conserve une image de pays émergent, ce chiffre est proche des 43 % alors qu’en Chine, pays réputé pour son avancée technologique, les estimations d’experts tablaient, faute de données officielles, autour des 15 % avant la crise liée à la COVID-19.
’il semble qu’un pays fasse ou non le choix du télétravail en fonction de logiques politiques et culturelles, il n’en est pas moins vrai que la structure même de l’économie reste un facteur déterminant. En effet, des pays comme le nôtre, dont l’activité est centrée sur l’extractif et l’agriculture, auront plus de difficultés à généraliser la culture du télétravail que des pays comme la France, où les services représentent presque 80 % de l’activité. Ceci dit, permettre par exemple aux mères de famille travaillant dans l’administration publique de faire une partie de leur travail à la maison, un ou deux jours par semaine, ou proposer cette option aux personnes habitant loin du bureau afin de leur éviter la fatigue des transports pourrait d’ores et déjà faire partie des acquis sociaux en RDC, comme c’est le cas ailleurs.
Le mythe, largement véhiculé par les Africains eux-mêmes, qui laisserait entendre que « sans chicotte », et donc sans présence d’un chef, le salarié africain aurait du mal à travailler correctement, est très certainement à l’origine de ce manque d’ouverture du patronat congolais sur le télétravail. Mythe par ailleurs corroboré par la faible performance des entreprises africaines, dont une vingtaine seulement figure au classement des 2 000 firmes les plus performantes du monde, d’après le Forbes Global 2000. De nombreux chercheurs en sciences sociales ont évidemment exploré cette théorie et parviennent à une toute autre analyse. Pour Mansour Dia, référence mondiale en la matière, « un management déficient » et un « mal-être au travail » en sont les causes principales. L’éminent sociologue sénégalais alerte d’ailleurs dès 1991 les cadres dirigeants africains sur le fait que « la motivation des ressources humaines est négligée alors que les pays développés suivent de très près cette thématique ». Il ressort en effet des nombreux entretiens réalisés par les chercheurs qu’une réelle souffrance au travail (brimades, autoritarisme, absence d’échanges constructifs, etc.) est clairement exprimée par les salariés africains, et en particulier par ceux d’Afrique centrale. Souffrance qui serait à la source du manque de motivation, et donc du manque de performance incriminé. Ajouté à cela des salaires permettant à peine de survivre, lorsqu’ils sont versés régulièrement, et le mythe est créé !
Parmi les obstacles mis en avant par les entreprises, les difficultés d’accès des salariés à un courant stable dans les quartiers populaires, le fait qu’ils n’ont pas d’ordinateur personnel ou les coûts de l’internet sont généralement avancés pour justifier l’impossibilité de mettre en place une offre télétravail. Ce n’est pas faux, mais cette approche n’est pas convaincante. Sur la question de l’électricité par exemple, des solutions existent (petit groupe électrogène ou panneaux solaires). Sur celle de l’accès aux équipements, on peut tout à fait imaginer que l’entreprise fasse un prêt à l’employé, sur quelques mois, afin que ce dernier puisse s’acheter un PC. Cette option, source de motivation supplémentaire pour le salarié, étant intéressante à plus d’un titre. Enfin, sur la question des coûts de l’internet, ils peuvent être en partie compensés par les frais de transport qui, évidemment, ne seront pas versés les jours de télétravail. De plus, n’oublions pas qu’aller au travail coûte cher ! Entre la garde des enfants et le repas pris en ville, sans omettre les transports, le cirage des chaussures ou les frais de pressing, l’addition de ces petites sommes peut s’avérer impressionnante à la fin du mois. Bref, penser mise en place d’une politique de télétravail au sein de l’entreprise, c’est d’abord repenser la relation direction – salariés. Cela consiste en premier lieu à impliquer l’agent dans les choix qui seront opérés et dans la recherche des solutions pratiques. Et si cette option demande, il est vrai, une certaine créativité de la part des ressources humaines, il semble que ça en vaille le coup ! Les études du cabinet SD Works observent par exemple une chute de 51 % de l’absentéisme dans les sociétés qui mènent une politique de télétravail. Des gains de productivité à deux chiffres, entre 12 et 17 %, essentiellement liés à une plus grande motivation des salariés et au fait qu’ils sont moins fatigués sont également vérifiés. Enfin, résister à ce qui sera, immanquablement, le monde du travail de demain ne peut être une option, que l’on soit en Afrique ou ailleurs, et s’y préparer dès aujourd’hui s’avèrera certainement payant à terme !
Fabrice Lehoux