Le procès anti-corruption « des 100 jours » et ses multiples rebondissements a tenu en haleine les Congolais pendant de longues semaines. Et la condamnation inédite de Vital Kamerhe à 20 ans de prison ne sera pas sans conséquences politiques.
À chaque retransmission en direct du procès des 100 jours à la télévision nationale, la vie des Congolais s’est arrêtée, scotchés devant leur poste. Le Congo s’est passionné pour ce feuilleton judiciaire hors-norme, entre « Dallas » et « la famille ». Il faut dire que ce procès est historique à plus d’un titre. À la barre, on retrouve tout d’abord Vital Kamerhe, directeur de cabinet et allié politique du président Félix Tshisekedi, une des figures emblématiques de l’arène politique congolaise. Il s’agit ensuite du premier procès anti-corruption de l’histoire de la République démocratique du Congo. Le pays a connu des décennies de gabegies et les Congolais tiennent enfin leur premier procès, qui, sur un plateau, leur offre le coupable idéal.
Vital Kamerhe est poursuivi pour « détournement et blanchiment de fonds publics » pour la coquette somme de 50 millions de dollars. L’affaire se déclenche dans le cadre du programme des 100 jours du président Félix Tshisekedi fraîchement élu fin 2018. Dans l’urgence et la précipitation, le nouveau président lance une série de grands travaux d’infrastructures dont le pays manque tant. Une des mesures phares : la construction de « sauts de moutons », des autoponts qui doivent désengorger le trafic routier de Kinshasa. Les travaux prennent rapidement un retard inquiétant et une enquête est ouverte début 2020.
Mais c’est un autre dossier du programme des 100 jours qui va intéresser la justice congolaise : la construction de 1.500 maisons préfabriquées confiée à un homme d’affaire libanais, Samih Jammal, pour 57 millions de dollars. Le contrat a été passé en 2018, sous l’ancienne mandature et jamais honoré. Mais le projet est repris dans le programme du nouveau président Tshisekedi. La justice découvre une série d’irrégularités : contrat passé sans appel d’offre et la somme décaissée sans l’autorisation de la Direction générale des marchés publics. L’argent est également versé sur le compte personnel de Samih Jammal, et plusieurs dizaines de millions de dollars sont retirés en liquide par les fils de l’homme d’affaires. Vital Kamerhe est alors soupçonné d’avoir été « récompensé » par Samih Jammal pour avoir obtenu ce marché public.
37 millions de dollars en liquide
Pendant plusieurs semaines, témoins, ministres, hauts fonctionnaires et proches des accusés se succèdent sous la grande tente qui sert de tribunal au milieu de la cour de la prison de Makala. On y retrouve Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du chef de l’État et « superviseur » du programme des 100 jours, Samih Jammal, le patron de la société de construction, et Jeannot Muhima, le responsable de la logistique de la présidence. À la barre, l’homme d’affaires libanais fait le show, affirmant ne pas parler correctement français et ne jamais avoir rencontré Vital Kamerhe. L’audience suivante, le Libanais s’emporte dans de longs monologues en français tandis que des photos le montrant aux côtés du directeur de cabinet circulent sur les réseaux sociaux.
Au cours d’audiences fleuves, on apprend que sur les 57 millions de dollars décaissés par le Trésor public, seuls 8 millions ont été utilisés pour le projet de maisons préfabriquées. On apprend également que ce sont 37 millions de dollars qui été sortis en liquide de la banque, lorsque la loi n’autorise qu’un retrait maximum de 10.000 dollars. On découvre aussi que la fille d’Hamida Shatur, la femme de Vital Kamerhe, s’est vu attribuer une parcelle de terrain à Kinshasa par… Samih Jammal. L’accusation dévoile que le couple Kamerhe possède un compte-joint approvisionné de 10 millions d’euros et trois propriétés en France qui intriguent la justice congolaise. Les cadeaux reçus lors du mariage très “people” de Vital Kamerhe avec Hamida Shatur, célèbre pour avoir été l’épouse du chanteur JB Mpiana, ont été largement commentés sur les réseaux sociaux. En tout, les tourtereaux auraient reçu plus de 800.000 euros de cadeaux de mariage, en liquide.
Un procès politique ?
En vrai animal politique, Vital Kamerhe est apparu très offensif pendant les audiences. Le patron de l’Union nationale pour le Congo (UNC) ne s’est pas laissé impressionner et a martelé sa ligne de défense : « Je n’étais pas seul. Nous étions une équipe de supervision, neuf au totals». Ce qui étonne Vital Kamerhe, c’est de se retrouver seul à la barre, alors que le coordonnateur du fameux programme des 100 jours, Nicolas Kazadi, a certes été entendu, mais n’a jamais pas été inquiété.
Le directeur de cabinet a longuement attendu les preuves du : « Je voudrais que le Procureur puisse démontrer ici comment j’ai détourné les deniers ? Quel jour et par quel document on m’a remis à moi les 47 millions de dollars que j’ai détournés ? » Vital Kamerhe a aussi joué la carte politique : « Je suis intervenu au nom du Président de la République pour que ces travaux se fassent (…) Ce n’est pas moi qui suis attaqué, mais c’est le Président de la République ! » Avant de conclure à un « procès politique ». Une ligne de défense qui a agacé le procureur: « De temps en temps, le prévenu Kamerhe a tendance à se cacher derrière le Chef de l’État ».
La mort du juge
Le procès Kamerhe prend une nouvelle tournure le 27 mai lorsque l’on apprend avec stupeur la mort mystérieuse du juge-président Raphaël Yanyi. Très vite, la confusion règne autour de la cause de son décès. La police parle d’abord de crise cardiaque, puis une première autopsie révèle des traces de produits toxiques, enfin une seconde autopsie évoque « des coups donnés sur la tête», et une « hémorragie cérébrale ». Une enquête pour meurtre est alors lancée par les autorités. Le problème, c’est que la famille du juge ne croit pas une seconde au rapport de la dernière autopsie.
Depuis le procès Kamerhe, le juge ne sortait jamais sans un garde du corps et un chauffeur. Ses proches se demandent quand, où et par qui le juge aurait été agressé ? La famille a demandé une nouvelle autopsie indépendante pour valider ce qu’elle croit être un empoisonnement.
La mort du juge n’a pas perturbé la suite des audiences. Et le samedi 20 juin, la sentence est tombée pour Vital Kamerhe et ses co-accusés. Et elle est lourde. Le principal allié politique du Président Tshisekedi, écope de la peine maximale requise : 20 ans de travaux forcés et 10 ans d’inéligibilité. L’homme d’affaires libanais Sammih Jammal, qui a acheté les maisons préfabriquées, a également été condamné à 20 ans de prison et sera expulsé du pays. Jeannot Muhima, le responsable de la logistique de la présidence, qui devait rapatrier les maisons de Turquie, a été condamné à 2 ans de prison.
Guerre intestine à la présidence
Ce procès historique aura d’abord permis de révéler au grand jour le dysfonctionnement généralisé de l’État congolais : des dépenses publiques hors de tout contrôle, des millions de dollars qui sortent en liquide des banques, des marchés publics sans contrat, une multitude d’intermédiaires… Une gestion anarchique de la chose publique qui ouvre obligatoirement la porte à la corruption et à tous les excès. Mais le procès Kamerhe a aussi démontré les limites des alliances politiques contre-nature et le climat délétère qui règne entre des partis politiques supposés alliés. L’alliance de circonstance entre l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe s’est transformée en guerre de pouvoir larvée au sein de la présidence de la République.
L’arrivée de Vital Kamerhe dans le premier cercle de Félix a été mal vécue par nombre de caciques de l’UDPS, qui se voyaient ainsi ravir un poste stratégique et une connexion directe avec le nouveau Chef de l’État. D’un autre côté, le clan de l’ancien président Joseph Kabila n’a toujours pas digéré le passage de Vital Kamerhe dans l’opposition. Souvent qualifié de « traître » par les membres du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, Vital Kamerhe a payé cash ses nombreuses inimitiés dans la classe politique congolaise. Car sans accord tacite du FCC et de la présidence, il est impossible que la machine judiciaire ce soit emballée à ce point contre Vital Kamerhe.
Tshisekedi sur orbite pour 2023
La condamnation de Vital Kamerhe aura d’abord pour effet direct de l’éliminer de la course à la présidentielle de 2023. À cette date, un accord politique de coalition signé à Nairobi en 2018 prévoyait que Félix Tshisekedi s’efface et laisse Vital Kamerhe se présenter seul à la magistrature suprême. Mais le procès des 100 jours, même si Vital Kamerhe fait appel de sa condamnation, signe son arrêt de mort politique pour 2023.
D’un autre côté, Félix Tshisekedi ne sort pas complètement gagnant de la mise hors-jeu de Vital Kamerhe. Il perd un allié politique de poids, notamment dans le Sud-Kivu, et doit se chercher de nouvelles alliances pour peser face à un FCC sur-dominateur. Le parti de Modeste Bahati, l’AFDC-A, est sur les rangs.
Enfin, ce procès n’aura pas donné la meilleure image de la justice : audiences souvent décousues, procédures expéditives, accusation approximative, défense laborieuse. Pour le président du réseau panafricain de lutte contre la corruption, Unis, Jean-Jacques Lumumba, « Il ne faut pas que la justice s’arrête à Vital Kamerhe ». Il appelle la justice congolaise à aller plus loin dans la traque anti-corruption et notamment à remonter jusqu’aux anciens régimes Kabila et Mobutu. Une ligne rouge que la justice n’a pas encore osé franchir.
Christophe Rigaud @afrikarabia
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