Joanne Lebert, Directrice Exécutive d’IMPACT
Chaque année, le commerce illicite de l’or occasionne en moyenne plus de 9 millions de dollars de manque à gagner à la RDC. En effet, selon le groupe d’experts des Nations-Unies en RDC, 253,98 kg d’or auraient été officiellement exportés en 2015 par le pays alors même que la quantité réellement produite est estimée à 20 tonnes environ cette même année. Existe-t-il des moyens efficaces de lutte contre le trafic d’or illicite ? Mining & Business a recueilli l’avis de Joanne LEBERT, Directrice de l’ONG canadienne IMPACT sur la question.
Mining & Business : L’ONG IMPACT est très active depuis quelques années dans le secteur minier en RDC. En quoi, votre action contribue-t-elle à assainir le secteur ?
Joanne LEBERT : L’ONG IMPACT, anciennement appelée «Partenariat AfriqueCanada» opère sur le continent africain depuis près de 30 ans. Nous apportons notre expérience et notre expertise en vue de proposer des solutions durables aux pays dans lesquels nous intervenons en vue d’une gestion équitable de leurs ressources naturelles à moyen et long terme.
En RDC, nous apportons essentiellement un appui technique à l’État. Celui-ci vise une législation minière attractive aux investisseurs et profitable à l’État. En effet, une fiscalité minière lourde et peu transparente favorise davantage les filières illicites ainsi que la corruption. Par ailleurs, nous pilotons un projet dénommé «Or Juste», qui vise une gestion équitable et à améliorer les conditions de vie des acteurs de l’or artisanal. L’on compte dans ce segment de la filière aurifère beaucoup de femmes mais aussi des mineurs qui vivent dans des conditions très précaires.
M & B : Notez vous une amélioration du cadre législatif depuis quelques années ?
J. L : Les efforts réalisés dans ce domaine sont loin d’être négligeables même si beaucoup reste à faire. Le commerce illicite est encore très actif et par conséquent l’effet d’entrainement que le secteur est sensé avoir en matière de réduction contre la pauvreté notamment, reste moindre.
M & B : Dans votre dernier rapport, vous mettez en lumière les effets néfastes de la corruption dans le secteur aurifère mais également les filières de l’or congolais dans le monde. Quelles sont les solutions concrètes qui selon vous pourraient freiner ce fléau ?
J. L : Au-delà de l’amélioration du cadre législatif, il est important que des mesures soient prises tant sur le plan régional que sur le plan international. Sur le plan régional, la coopération entre les États impliqués (RDC, Rwanda, Burundi, Ouganda) doit être renforcée notamment sur le plan sécuritaire. En effet, la contrebande se nourrit beaucoup de l’insécurité et de la porosité des frontières. Des actions coordonnées entre forces de sécurité des différents États de part et d’autres des frontières réduiraient sans nul doute l’ampleur des flux illicites. Sur le plan international, des mesures fortes sont prises pour décourager les acteurs du commerce illicite notamment le principal client qu’est Dubaï. Aujourd’hui, des normes internationales de traçabilité sont imposées pour lutter en aval contre ce fléau. Récemment, la London Bullion Market Association (LBMA), la plus grande instance mondiale du marché de l’or a menacé d’exclure Dubaï de la liste des courtiers internationaux de lingots d’or si ce pays ne se soumettait pas aux normes visant à un commerce de l’or plus juste et plus éthique. Ce genre de mesures coercitives est de nature à influencer autant les pratiques des acteurs en amont de la filière.
M & B : Quel a été l’impact du COVID-19 sur la filière ?
J. L : L’impact de la crise sanitaire du COVID-19 sur la filière est à nuancer. Si la crise a fortement ralenti l’industrie aurifère dans son ensemble, il n’a pas pour autant été un frein à la contrebande qui a plutôt profité du ralentissement du secteur formel. L’impact a particulièrement été négatif sur les artisans illégaux qui ont vu leurs conditions de vie et de travail empirer. Selon des dernières estimations, l’on recenserait aujourd’hui environ 2 millions de personnes opérant dans l’or artisanal en RDC (Source : DELVE).
M & B : Comment voyez-vous le secteur dans les années à venir ?
J. L : Nous nous voulons optimistes. Il faut reconnaitre qu’en 30 ans beaucoup de choses se sont amélioré. En effet, les actions conjointes des divers acteurs étatiques comme ceux de la société civile ont produit des résultats encourageants même si l’on souhaite évidemment que les choses aillent plus vite. Mais nous espérons que tous ces efforts ajoutés à ceux des instances internationales contribueront à essouffler davantage le commerce illicite de l’or.