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2020 : retour sur une année politique sous haute tension

Entre crise sanitaire, bras de fer avec son allié Joseph Kabila et dégradation de la situation sécuritaire, les 365 jours qui viennent de s’écouler ne se sont pas déroulés comme prévu pour M. Tshisekedi.

Lorsque commence 2020, une année décisive attend le président. Son élection contestée l’a assis sur un fauteuil inconfortable, et dans une drôle d’alternance avec son « partenaire » Joseph Kabila. Dès le début de son mandat Félix Tshisekedi a réussi à imposer une relative décrispation, avec le retour d’opposants en exil et celui des manifestations autorisées. Sur le plan social, les Congolais ont largement salué la mise en place de la gratuité de l’enseignement de base, même si le gouvernement peine toujours à trouver le financement. De nombreux défis restent cependant encore à accomplir, et les attentes de la population demeurent énormes après plusieurs décennies de surplace : relance de l’économie, lutte contre la corruption, sécurisation de l’Est du pays… 

LA PRESSION MONTE 

Toutefois, depuis le début de l’année, les relations entre les deux alliés Tshisekedi et Kabila se dégradent. Autour nouveau chef de l’État, on semble regretter la période de transition lors de laquelle la présidence gérait les affaires courantes. Selon le directeur de cabinet, Vital Kamerhe, le gouvernement avancerait sur un rythme moins soutenu que l’intérimaire. Déjà, face aux blocages du parlement et aux lenteurs gouvernementales, Félix Tshisekedi brandit la menace de la dissolution dans un de ses multiples déplacements à l’étranger : « Si la mission pour laquelle j’ai été porté à la tête de l’État est étouffée, je n’aurai pas d’autre choix que de dissoudre le Parlement ». Au cœur de la discorde, notamment, la confirmation du patron de la très stratégique Gécamines, Albert Yuma, un proche de Joseph Kabila, que Félix Tshisekedi aurait bien voulu écarter.

PREMIÈRES NOMINATIONS DANS LA JUSTICE 

Début février, Félix Tshisekedi tente un premier coup de balai au sein de la magistrature. L’éradication de la corruption constituait l’une de ses promesses de campagne. Le très « kabiliste » procureur Flory Kabange Numbi a été débarqué et remplacé par l’ex-avocat Victor Mumba Mukomo. De nouvelles têtes arrivent également à la Cour de cassation, avec Dominique Thambwe, ou à la Haute cour militaire, avec le Général Joseph Mutombo Katalay. Ces nouvelles nominations seront-elles suffisantes pour s’attaquer au fléau endémique de la corruption ? Pour l’instant, Félix Tshisekedi avance à petits pas.

JANVIER MEURTRIER 

Pendant ce temps, l’insécurité à l’Est gagne du terrain et la promesse de Félix Tshisekedi de pacifier les provinces orientales peine à devenir réalité. Les coups de boutoir de l’armée congolaise contre les groupes armés dans le Nord et Sud-Kivu ont plutôt eu tendance à disperser les miliciens dans des zones géographiques plus vastes et susciter un regain de violence contre les civils. Avec 210 décès violents enregistrés en janvier dans les provinces du Kivu, le premier mois de l’année 2020 devient le plus meurtrier depuis le début des relevés du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST). En octobre 2020, les massacres sans fin continuent. La même ONG relève 811 civils tués dans la seule région de Beni.

DES GÉNÉRAUX DANS LE VISEUR PRÉSIDENTIEL 

Le 28 février, le mystérieux trépas du très puissant patron des renseignements militaires, Delphin Kahimbi, jette le trouble sur la délicate reprise en main de l’armée par Félix Tshisekedi. Le patron des renseignements a été retrouvé mort à son domicile après avoir été suspendu par sa hiérarchie. Le président Tshisekedi, abandonné par son armée, encore largement fidèle à Joseph Kabila, tente d’écarter les généraux les plus gênants, en les faisant convoquer par l’auditorat militaire pour « consultations ». C’est le cas du très redouté général Akili Mundos, que les ONG des droits de l’homme accusent de collusion avec les rebelles ADF, ou du général Fall Sikabwe, soupçonné d’avoir détourné la solde de ses militaires.

COVID-19 : LA RDC RÉSISTE 

Mi-mars, le tsunami mondial que constitue l’arrivée de la pandémie de Covid-19 touche également la République démocratique du Congo (RDC). Les premiers cas sont recensés le 10 mars à Kinshasa, et les premières prévisions annoncent une catastrophe sanitaire, avec une mortalité possible de 10 %. L’inquiétude monte d’autant plus que les capacités sanitaires du pays s’approchent du néant, avec seulement 250 hôpitaux et 50 respirateurs pour un pays de plus de 80 millions d’habitants ! Le confinement des grandes villes peine à se mettre en place, notamment à Kinshasa où 90 % d’habitants vivent du secteur informel, et risquent de mourir de faim plutôt de la Covid-19. Fin 2020, la catastrophe annoncée n’aura finalement pas eu lieu. Pour des raisons encore peu connues, la RDC, comme le reste de l’Afrique, aura été peu affectée par la Covid-19, même si l’impact économique s’avère violent. Une chute de 25 % de l’activité économique est attendue au Congo en 2021.

OPÉRATION MAINS PROPRES 

Coup de tonnerre : le 8 avril, Vital Kamerhe, directeur de cabinet et allié majeur du président Tshisekedi, passe sa première nuit en prison, accusé de détournement de fonds publics. Il s’agit d’une première au Congo, et le procès tient en haleine l’ensemble des Congolais, intrigués de voir un des principaux leaders devoir s’expliquer devant la justice. La télévision diffuse le procès-fleuve, et tout le Congo va assister en direct au grand déballage et à des règlements de compte dignes d’un feuilleton…

UN PROCÈS HISTORIQUE 

Très vite, le procès des 100 jours, ce programme d’urgence lancé dans la précipitation par le président Tshisekedi, vire à la mauvaise série américaine. On y retrouve un homme d’affaires libanais peu recommandable à la mémoire très sélective, la famille Kamerhe au grand complet et son train de vie dispendieux. S’y ajoutent un président du tribunal qui décède dans des circonstances troubles, et une guerre intestine, dans laquelle certains proches de Félix Tshisekedi ne semblent pas mécontents de s’être débarrassés d’un allié politique encombrant.

NETTOYAGE » DANS LES ENTREPRISES D’ÉTAT 

Le verdict se révèle lourd pour Vital Kamerhe. Accusé d’avoir détourné 50 millions de dollars, le directeur de cabinet de la présidence doit séjourner 20 ans en prison. Et d’un avenir politique certainement compromis. Le procès anticorruption des 100 jours aura également permis une vaste opération mains propres au sein des grandes entreprises d’État. Deux directeurs, Fulgence Bamaros, du Fonds national d’entretien routier (FONER), et Benjamin Wanga, de l’Office des Voiries et Drainages (OVD) ont été condamnés à trois ans de travaux forcés pour « détournements des deniers publics ». Certains, comme le lanceur d’alerte, Jean-Jacques Lumumba, estiment que ce procès « n’aurait pas dû s’arrêter à Vital Kamerhe », et demandent à la nouvelle agence anticorruption de chercher dans le passé « de la présidence Kabila, jusqu’à Mobutu ».

UN PROJET DE RÉFORME JUDICIAIRE QUI FAIT DES VAGUES 

Après la novela du procès des 100 jours, un nouvel électrochoc secoue la politique congolaise, fin juin. Un projet de réforme, initié par le FCC de Joseph Kabila, vise à placer les magistrats sous le contrôle direct du ministre de la Justice (lui-même membre du FCC). Pour le défenseur des droits de l’homme, JeanClaude Katende, les membres du FCC « ont peur d’éventuelles poursuites judiciaires » à la suite du procès retentissant des 100 jours. Le président de l’ASADHO explique qu’ils craindraient également de perdre les élections de 2023. La réforme doit également porter sur la Cour constitutionnelle, qui contrôle le processus électoral. Résultats, des milliers de Congolais descendent dans les rues, à Kinshasa et en province.

LE MINISTRE DE LA JUSTICE INTERPELLÉ 

Kinshasa s’enfonce alors dans la crise politique. Le ministre FCC de la Justice, Célestin Tunda, se retrouve au cœur de la polémique. Le camp Tshisekedi l’accuse d’avoir adopté le projet de loi judiciaire à l’Assemblée sans être visé en Conseil des ministres. Le ministre Tunda est brièvement interpellé fin juin, avant de devoir démissionner le 11 juillet. En marge, le FCC continue d’avancer ses pions pour tenter de contrôler le prochain scrutin présidentiel, qu’il compte bien remporter. Sa nouvelle cible : la présidence de la Commission électorale (CENI). Ultra majoritaire à l’Assemblée nationale et au Sénat, le FCC réussit à faire entériner par l’Assemblée nationale, début juillet, la nomination d’un nouveau président de la CENI : Ronsard Malonda.

UNE CENI TOUJOURS SANS PRÉSIDENT 

L’actuel numéro deux de la centrale électorale ne plaît pourtant pas à tout le monde, bien au contraire ! La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et les protestants de l’Église du Christ au Congo (ECC) avaient rejeté sa désignation. Ronsard Malonda serait trop proche de l’ancien président Kabila, et a orchestré les élections contestées de 2018. L’opposition et les 40 000 observateurs de la Cenco avaient notamment discrédité ces dernières. Pour l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), ce choix équivaut à une « prime à la fraude électorale ». Le président Félix Tshisekedi a décidé de ne pas valider la désignation de Ronsard Malonda à la tête de la CENI. Un blocage qui perdure jusqu’à ce jour, laissant la CENI sans nouveau patron.

REMANIEMENT DANS L’ARMÉE 

En plein bras de fer avec Joseph Kabila, Félix Tshisekedi profite de l’été 2020 pour continuer à trier l’armée congolaise. Le président remanie la chaîne de commandement en plaçant sur la touche le général John Numbi, un cacique du camp Kabila sous sanctions internationales. En revanche, deux autres généraux, Gabriel Amisi « Tango Four » et Akili Mundos, également sanctionnés, restent en poste. Félix Tshisekedi avance à pas feutrés dans sa volonté de s’émanciper de la tutelle kabiliste. Il ne semble, néanmoins, pas encore prêt à franchir certaines lignes rouges, qui apparaîtraient comme un casus belli pour son partenaire de coalition, Joseph Kabila.

RETOUR DE LA RÉPRESSION ? 

Plus la situation se tend, plus la liberté d’expression paraît de nouveau en péril. Après l’embellie de 2019 avec l’arrivée de Félix Tshisekedi, Human Rights Watch (HRW) s’inquiète de la restriction des droits, en particulier depuis l’établissement de l’état d’urgence sanitaire, « prétexte pour limiter les manifestations politiques ». Selon l’ONG, « des dizaines de personnes ayant critiqué le gouvernement, y compris sur les réseaux sociaux, ont fait l’objet d’intimidations et de menaces, de passages à tabac, d’arrestations et, dans certains cas, de poursuites judiciaires ». À Kinshasa, Henri Magie, vice-président de la ligue des jeunes du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila, a été arrêté le 16 mai pour « outrage » à M. Tshisekedi. Il a été condamné à 18 mois de prison en juillet pour avoir, entre autres, suggéré lors d’une interview, que Félix Tshisekedi « n’avait pas gagné les élections de 2018 ».

TSHISEKEDI À LA RECHERCHE DE « L’UNION SACRÉE » 

Paralysé par des institutions entièrement contrôlées par le FCC, Félix Tshisekedi cherche, en automne, à se débarrasser de son encombrant partenaire. Si le président fait mine de découvrir aujourd’hui qu’il ne s’entend plus avec son allié et que celui-ci lui met des bâtons dans les roues, Félix Tshisekedi semble avoir enfin trouvé la solution. Dans un discours à la Nation millimétré, le chef de l’État a sorti de sa poche la formule magique que tout responsable politique congolais dégaine en cas de difficultés : la « consultation nationale », que l’on appelle en fonction des circonstances, « concertation », ou « dialogue ». Il s’impose de renverser le rapport de force, pour créer une « union sacrée » et un nouveau partenariat gouvernemental. Pendant plusieurs semaines, le président consulte.

UN « NEW DEAL » AVEC KABILA

Cela dit, la marge de manœuvre du président s’avère mince. Avec ses 341 députés sur 500, le FCC devrait rester maître de l’Assemblée nationale, même si la plateforme CACH de Félix Tshisekedi réussit à rallier quelques députés Lamuka, et des débauchés du FCC et de l’AFDC de Modeste Bahati. Le compte ne s’y trouvera sans doute pas. À défaut, Félix Tshisekedi pourra peut-être renégocier son « partenariat » avec le FCC, à la faveur d’un nouveau gouvernement. Mais les consultations nationales de Félix Tshisekedi scindent plus qu’elles ne fédèrent, notamment au sein de l’opposition. Difficile dans ces conditions de convoquer de nouvelles élections, alors que la CENI reste pour l’instant proche de Joseph Kabila, et sans président. Un « new deal » avec Joseph Kabila constitue sans doute le seul espoir de Félix Tshisekedi pour augmenter sa marge de manœuvre, et éviter de trop décevoir les Congolais en 2021. Si Joseph Kabila se fait parfois bousculer par Félix Tshisekedi dans cette guerre de tranchées institutionnelle, l’ancien président n’en demeure pas moins le maître des horloges. 

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