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Ecologie vs développement ?

Le projet de Sombwe délivrera une puissance estimée à 160 mégawatts. La centrale comprendra un barrage de 90 mètres de hauteur construit en partenariat avec PowerChina.

M&B avait assisté au lancement de Sombwe. D’ordinaire, ce type d’ouvrage peut prendre jusqu’à 10 ans et certes, la pandémie de covid-19 a ajourné bon nombre de projets en RDC. Mais pourquoi le programme de production d’énergie verte dont les populations du grand Katanga ont tant besoin démarre-t-il si lentement ? 6 ans après la création de la société Kipay, pourquoi le gouvernement ne donne-t-il pas un coup de pouce à Sombwe, premier barrage privé d’envergure construit depuis les années  70? Pourquoi dans un pays où seuls 9  % des habitants accèdent au courant, seule la réhabilitation par les miniers des usines hydroélectriques avance-t-elle ? Tentative d’explication.

Sombwe en quelques lignes 

Le projet de Sombwe délivrera une puissance estimée à 160 mégawatts. La centrale comprendra un barrage de 90 mètres de hauteur construit en partenariat avec PowerChina. Le raccordement au réseau nécessitera une ligne à haute tension de 205 km entre Sombwe et la sous-station de Fungurume. Les villages de Kalera et ceux situés le long de la route d’accès bénéficieront de cette électricité, ainsi que d’autres consommateurs de l’ancienne province du Katanga. La période de construction s’étendra sur quatre années. Le barrage sera édifié le long de la rivière Lufira dans le nord du Haut-Katanga, à 40 kilomètres en aval des chutes de Kiubo, dans une zone très peu peuplée de la réserve de chasse des communautés locales, tout près de la frontière du parc d’Upemba. Depuis 2015, une première Évaluation d’Impact Environnemental et Social (ESIA) a été menée. En 2019, le projet a obtenu le permis environnemental de l’Agence Congolaise de l’Environnement. Actuellement, Kipay met à jour son ESIA, avec le soutien d’une société spécialisée sud-africaine. En raison de la pandémie de covid-19, la livraison du rapport final a été retardée à mai 2021.

Quelles sont les perceptions face à ce projet? 

Une telle construction peut légitimement faire l’objet d’oppositions, c’est normal et plutôt sain. Contrairement, à ce qui se passe dans le monde, les riverains voient le barrage d’un bon œil. Les autorités congolaises jusqu’au Président de la République sont, elles aussi, des supportrices des travaux. Les critiques viennent de beaucoup plus loin avec, semble-t-il, un peu de désinformation de mystérieuses «ONG internationales»…

VRAI / FAUX ? Malgré toutes les autorisations du gouvernement congolais, les représentants de l’Union européenne font grise mine. La raison : le barrage serait construit à l’intérieur du parc de l’Upemba.

FAUX Après vérification auprès de l’ICCN, nous pouvons confirmer que le projet se trouve sur un cours d’eau encaissé qui fait la frontière entre le Parc et le domaine de chasse réservé par un décret de 1959.

VRAI / FAUX ? Le lac de retenue de Sombwe inonderait 40 % du Parc et les célèbres chutes de Kiubo.

FAUX Exagération? Là encore, après analyse, il s’avère que le barrage se situe à 40 km des chutes et qu’elles ne peuvent donc pas être abimées. Le réservoir sera contenu dans les ravins de la rivière et les spécialistes de l’OEMS, Office for Environmental and Mining Studies, nous ont démontré que la retenue endiguée par les gorges de la Lufira ne sera que d’environ 2000 hectares sur 30 km, le long de la rivière à 10 km en amont des chutes. Par mail, ils confirment : «Il ne s’agit pas à proprement parlé d’un lac de retenue, mais plutôt d’un élargissement du lit actuel du cours d’eau, en amont du barrage, soit moins de 0,2 % de la superficie de l’Upemba». Le lac tant décrié ne serait donc pas dans le Parc.

Les enjeux pour l’investisseur 

Joint par WhatsApp, l’investisseur américain, Yamandou Alexander ne comprend pas : «Certes, l’Union européenne est dans son rôle en tant que bailleur de fonds de la RDC et de l’ICCN. C’est normal d’être attentif au respect de la nature. Mais sommes-nous en train de construire une mine, une centrale thermique au charbon ou de forer des puits de pétrole ?» Il poursuit : «La RDC a un déficit énorme en électricité qui nous maintient dans un sous-développement mortifère. Pourquoi des Européens devraient-ils nous bloquer sous prétexte que le barrage va modifier, à la marge, la biodiversité de 30 km de gorges?» Il précise : «Un barrage, c’est clair, ça modifie la biodiversité. Des rongeurs, des reptiles, des batraciens et des crocodiles vont être impactés. Mais vous savez, la nature reprend très vite ses droits et la création de nouvelles zones humides peut au contraire développer de la biodiversité. Enfin, pourquoi deux poids deux mesures ? Dans le parc National des Virunga, l’UE aide à construire 6 barrages hydroélectriques, bravo! Nous sommes prêts à copier ce cercle vertueux avec bien sûr un financement privé d’une partie des écogardes. À l’instard des Virunga, nous pouvons aider le Parc à mieux protéger l’environnement, notamment grâce à l’amélioration de la vie des populations riveraines.»

Partenaire naturel de l’ICCN

D’après nos informations, les critiques ne viendraient pas de l’ICCN car les relations entre la société Kipay et l’ICCN sembleraient au beau fixe. Et, vu la proximité du site avec cette zone de préservation, il est de bon aloi d’entretenir un lien privilégié avec l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), l’institution gouvernementale qui s’occupe des parcs nationaux en RDC. Alors pourquoi des polémiques contre cet ouvrage d’intérêt national en RDC? Ne pourrait-il pas aider à développer l’écotourisme, en collaboration avec l’ICCN, et donner enfin un nouvel élan au parc voisin qui manque cruellement de moyens ? Un de nos interlocuteurs de l’ICCN, qui préfère garder l’anonymat, renchérit : «C’est clair, que les moyensnous font défaut». Donnant son avis sur le barrage : «L’eau va progresser lentement le long des flancs escarpés des gorges, là où il n’y a pas d’animaux. Au contraire, ça va les faire revenirdans la zone».

Une conclusion provisoire 

Très loin de la catastrophe annoncée par certains dans leurs bureaux climatisés de Kinshasa ou de Bruxelles, 100000 personnes dans la région proche n’attendent qu’une chose : la fée électricité. Faut-il ainsi opposer les hommes et leurs besoins primaires à l’écologie et aux animaux survivants du Parc ? Dans le grand Katanga, victime, depuis un siècle, des prédations causées par les mines, s’offusquer de la construction d’un barrage ressemble à une plaisanterie… La rédaction de MB, passionnée par le développement et les enjeux écologiques, va continuer à investiguer sur ce sujet. Nous nous déplacerons sur le site du futur barrage et nous mènerons l’enquête en confrontant argument après argument, les promoteurs et les détracteurs.

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