Bonjour madame Tshibanda, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Néfertiti TSHIBANDA, mère de deux enfants, déléguée générale à la francophonie, correspondante nationale de l’O.U.F pour la RDC et militante de droit de la femme et de certaines participations au développement du pays. La délégation générale de francophonie ressemble à une branche initiale de la coopération internationale. Elle relève de la coopération francophone multilatérale. Notre institution ambitionne de mobiliser des ressources pour soutenir le programme du gouvernement. De même, nous ciblons aussi les acteurs locaux dans ce sens. Nous nous concentrons surtout sur l’employabilité des jeunes et l’égalité entre les sexes. La population congolaise se constitue à plus de 52 % de jeunes et de femmes. Si cette jeune main d’œuvre participe efficacement au développement économique du pays, elle apporte une grande valeur ajoutée.
La RDC compte-t-elle appliquer un plan directeur pour le déploiement du numérique ?
Depuis le début du mandat du président de la République, plusieurs initiatives ont été mises en œuvre. Lors du 14e sommet de la francophonie, qui s’est tenu à Kinshasa, nous avons travaillé de manière très satisfaisante, à mon avis, sur ce sujet. Une stratégie du numérique francophone a été adoptée à l’horizon 2020. Nous voulons rénover ce domaine en perpétuel mouvement. Une nouvelle stratégie va encore être présentée, avec un plan qui se veut beaucoup plus pragmatique et surtout plus utile pour le pays, qui doit rattraper son retard à ce niveau-là.
Nous nourrissons de grandes ambitions pour la RDC. En effet, nous comptons abriter sur le sol congolais un centre numérique qui servirait la région de l’Afrique centrale, et qui accueillera aussi des recherches. Les différents incubateurs pourront y être logés pour favoriser l’innovation. Le centre de conférence provoquerait des concerts de louanges en raison de son excellence. Les représentants des pays voisins pourraient s’y rendre pour partager leur expérience, échanger autour de la formation des jeunes et favoriser l’employabilité. C’est le grand projet numérique francophone de la RDC. Une fois opérationnel, ce projet pourrait pourvoir plus ou moins 1500 à 2500 emplois dans le numérique, sans compter l’impact sur la façon de créer des entreprises. Il pourrait également accroître une éclosion dans l’utilisation numérique au sein des entreprises, tous secteurs confondus.
Selon vous, en quoi une femme peut-elle faire progresser son entreprise, sa communauté et sa société ?
Nous venons de célébrer, le 20 mars, la jour[1]née internationale de la francophonie, placée sous le thème : «Femme francophone, femme résiliente». La francophonie a souhaité honorer le rôle que joue la femme pendant cette période très difficile, marquée par la pandémie de la Covid-19. La femme joue en effet un rôle décisif pour les économies, de même que pour les sociétés, tout particulièrement en Afrique et en RDC. Ce sont les femmes qui vont aux champs, ce sont elles qui nourrissent leurs familles, qui éduquent leurs enfants, et les encadrent. La femme s’impose donc comme un pilier du développement économique, et de l’organisation sociétale.
Maintenant quel rôle la femme de demain peut-elle jouer ? La résilience de la femme congolaise réside dans son leadership. Elle l’a suffisamment prouvé à l’occasion des différents défis qu’a connus la RDC au cours des dernières décennies, que ce soit dans le maintien des champs, par sa participation dans les négociations de paix et sécurité, ou son militantisme pour réclamer la place décisionnelle qui lui revient. Dans le milieu associatif, on ne peut que reconnaître l’importance déterminante de la femme congolaise. Aujourd’hui, une opportunité se présente à la femme : celle de devenir dirigeante, dans l’entrepreneuriat et dans le secteur professionnel organisé. La femme entreprend beaucoup, mais occupe surtout des positions hautes dans un secteur informel. La femme jouera un rôle plus important dans le développement de la société si elle s’organise en groupes, ou en appliquant un lobbying économique. Pour cela, la femme doit vraiment intégrer l’utilisation de ces outils.
Quel lien voyez-vous entre cette intégration dans des groupes et la maîtrise du numérique ?
À titre d’exemple, j’ai visité un incubateur ici, à Kinshasa, dans lequel les jeunes filles utilisaient le numérique pour concevoir et fabriquer des modèles. Grâce à ce système, elles apposent des dessins sur différents tissus. Cet outil représente un gain de temps énorme, par rapport à la confection traditionnelle et manuelle. En outre, elles peuvent laisser libre cours à leur créativité sur un ordinateur, avant de transposer directement leurs créations sur un tissu. Cela leur permet également de se démarquer. De manière générale, de nombreux arguments justifient l’appropriation par les femmes congolaises de toutes ces techniques.
Les femmes ont-elles moins accès au monde numérique que les hommes ? Une démarche spécifique s’impose-t-elle pour les former et les sensibiliser ?
Absolument ! Un travail de sensibilisation s’avère vraiment nécessaire. L’accès existe, mais l’utilisation concrète dépend de l’intérêt. Or, une forte sensibilisation amplifie justement l’intérêt. Ce monde peut effrayer ou susciter des appréhensions, pour des personnes qui n’ont même pas l’habitude de manier un téléphone intelligent. Nous menons actuellement une campagne de sensibilisation, en complicité avec les associations de femmes qui militent pour l’implication de la jeune fille dans les métiers des sciences technologiques et de l’ingénierie. Nous nous engageons également beaucoup pour propager ces gadgets et ce savoir-faire dans les écoles, et dans la communauté pour intéresser les jeunes filles.
Le numérique peut-il compenser le manque d’éducation et d’information dans certains endroits ?
Oui, je m’apprête d’ailleurs à envoyer une cargaison à l’intérieur du pays. Au sein de l’O.U. F, nous disposons d’un centre d’animation culturelle, qui existe depuis longtemps. En RDC, nous en recensons dix, et nous espérons en créer encore quatre supplémentaires cette année. Ces centres sensibilisent la population à la lecture publique. Nous leur faisons parvenir des livres que les jeunes ont la possibilité de venir emprunter, ainsi que des ordinateurs. Nous voulons généraliser cet élan en introduisant des tablettes dans des parties reculées du pays. On apprend aux enfants comment les utiliser pour les recherches, comment obtenir des livres en ligne, comment consulter un dictionnaire virtuel, ou comment regarder des films. Nous avons regroupé l’éducation, la lecture publique et le numérique. Le numérique équivaut en effet à une autoroute de communication. Au vu des contraintes d’acheminement de biens à travers le pays, indiquer des liens d’accès à des livres se révèle bien plus facile que de fournir une cargaison de livres. Le numérique peut combler ces faiblesses et ces déficiences afin que la jeunesse accède à l’information et à un savoir précieux. Autrement, nous appelons également les miniers à nous soutenir. Nul ne peut ignorer que les matières qui servent à créer les outils dont nous parlons viennent principalement de la RDC. Les miniers doivent ainsi, à mon sens, répondre présents dans le cadre de leur politique de responsabilité sociétale, pour accompagner nos actions. Surtout, je m’adresse à la structure francophone, parce que les études certifient que plus de 300000000 de personnes s’expriment dans la langue de Molière ; la RDC constitue 14 % de la population francophone. Les mêmes études ont également prouvé que l’avenir de la langue française dépendra de l’Afrique. Pour participer à cette solidarité franco[1]phone en vue d’un développement économique de nos sociétés, l’éducation, la science, l’entrepreneuriat s’avèrent très importants. Le français étant notre langue nationale, nous avons besoin de ces participations pour continuer notre travail.