Photos: ©PhotoAfricaInside
Depuis plus de sept ans, Kasulo, quartier populaire de Kolwezi, est devenu un eldorado infernal pour des milliers de personnes. Dans ce quartier, derrière les portes de cette zone difficile à visiter se cache une singulière histoire. Une enquête de M&B Magazine.
Derrière l’enceinte de parpaing gris
12 h, le soleil est à son zénith, mais l’air du mois de mai est déjà doux. Des silhouettes d’hommes-poussière progressent à travers un paysage lunaire. Un sac de 25 kg de minerais sur l’épaule, ils montent péniblement vers le haut du pit artisanal pour évacuer leur trésor des entrailles de la Terre. Panorama de champ de bataille ; trous d’obus, enchevêtrement d’escaliers, de fosses, de puits et de chemins d’homme. Entrelat de couleur blanche et latérite, des sacs remplis de sable servent de marches, leurs déchets en polypropylène partout. Omniprésence de la poussière ou de la boue en saison des pluies. Le paysage est ponctué de toiles orange comme dans les camps de réfugiés. Chaque bâche est l’emplacement d’un puits. L’opérateur CDM a créé 5 bassins pour réduire le volume de stériles à évacuer pour les creuseurs, mais les pits sont sans talus, ravi – nés, prêts à s’effondrer à la première pluie. Certains mélanges nécessitent des lavages avant le comptoir. Des hommes accroupis les nettoient dans des flaques d’eau avant d’arriver au hangar avec son écriteau en chinois «la porte noire», alignements de sacs de 25 kg. C’est le moment de trier le minerai, de l’analyser, de le peser pour enfin l’acheter. Il y a trois types de produits suivant la granulométrie. Il y a une prise d’échantillon dans chaque lot, puis analyse au métorex pour avoir la teneur moyenne. Une maison blanche a été transformée en centre de santé dirigé par le docteur Joseph: «Depuis 2017, quand il y avait beaucoup d’artisanaux, le taux d’accident était très important. Maintenant, il y en a moins. Depuis janvier 2021, il y a eu seulement deux ou trois décès, parce que les gens descendent désormais juste à 30 mètres de profondeur. Les accidents mortels actuels ne sont plus dus aux méthodes d’exploitation, mais aux chutes. Hier, on a eu un cas, quelqu’un est tombé dans un puits, heureusement il est sorti sain et sauf. Un incident qui n’est pas sans rappeler un épisode dramatique, le décès d’un enfant de 18 mois tombé dans un des puits avant la mise en place du mur d’enceinte par la société chinoise.
L’histoire
Cette mine pourrait faire penser à l’aventure de Daniel Day-Lewis dans le film “There Will Be Blood” (nominé à l’Oscar du meilleur film en 2007). A côté de l’actuel centre de santé, en creusant une fosse septique, un ancien agent de KCC fait une drôle de découverte. Sa pioche heurte une roche inhabituelle. Par expérience, l’homme sait qu’il vient de faire une trouvaille intéressante. Un de ses amis raconte la suite : “Comme il avait de petites notions de géologie, il prend l’échantillon pour aller le faire examiner chez des Chinois. C’était du cobalt à haute teneur! Il va d’abord commencer à produire danssa propre parcelle, mais la découverte du trésor est difficile à cacher et l’euphorie le pousse à en parler à son voisin… c’est ainsi qu’il y a eu l’expansion de l’exploitation dans ce quartier. Regardez, il y a encore des manguiers, des palmiers et des bougainvilliers partout.
Les nouvelles vont vite et quelques mois plus tard, 15 000 creuseurs s’installent dans Kasulo pour une véritable ruée vers l’or. On creuse, on creuse, on fouille, on fore, on excave, on mine dans chaque parcelle. Résultat: des éboulements, des maladies, mais surtout du minerai de grande qualité. Et pour cause ! C’est de l’est vers l’ouest, le même gisement et quel gisement! À 1 km, se trouve Ruashi Mining, puis Kove de Glencore puis Kamoto à l’est Mutoshi avec Chemaf, le quartier de Kasolu se situe pile au centre de cet alignement.
L’intervention de l’État
Reprenons notre histoire: Kasulo préoccupe rapidement le gouvernement provincial. Il faut vite réguler l’espace pour ne pas en perdre le contrôle. Le Conseiller technique du ministre provincial des Mines du Lualaba, Jean-Serge Miji raconte : “Il fallait mettre fin à cette exploitation, car ça pouvait être une bombe. Les choses ont heureusement bien tourné grâce au démembrement de la grande province du Katanga. Les nouvelles autorités étaient sur place et elles ont pris l’option d’accompagner ce phénomène et de l’organiser plutôt que de le combattre. Elles ont créé notamment une ZEA, avec deux carrés miniers dans ce secteur de la ville, il a fallu clôturer pour éliminer la présence des enfants et des femmes enceintes.”
La délocalisation des populations de Kasulo
Un site d’hébergement et des maisons sont donc mis à la disposition de ceux qui quittent le quartier/site minier de Kasulo. “Certaines personnes ont souscrit pour les maisons et les autres ont préféré l’équivalent en espèces. Mais même ceux qui ont souscrit pour avoir de l’argent, tous ont eu au moins un titre foncier, un terrain avec document à l’appui”. D’après les chiffres publiés par le chercheur Didier Makal, en 2017, près de 600 ménages ont quitté Kasulo. Certaines familles ont perçu alors jusqu’à 10 000USD dans cette opération. Un protocole d’accord entre les propriétaires des maisons et les coopératives a permis à certains propriétaires de parcelles de toucher entre 30 et 40% du montant de la vente de leur minerai en échange de l’autorisation d’exploitation.
Kasulo, site pilote pour Entreprise Générale du Cobalt.
Des années plus tard, le site a des problèmes, trop de stérile à évacuer, des problèmes d’exhaure et d’aération des tunnels. Deux décrets présidentiels vont changer la donne : il s’agit de la création de EGC et d’Arecoms. EGC, filiale de la Gécamines, créée en 2019, a reçu pour mandat d’exercer en RDC un monopole d’achat sur le cobalt issu de l’exploitation artisanale tout en veillant à ce que la production respecte les standards en matière de traçabilité, de responsabilité sociale, et environnementale. L’avenir de CDM à Kasulo est donc une question de jours. Y aura-t-il un avant et un après-EGC? La société s’engage à améliorer les conditions des artisanaux et les conditions d’exploitation. Il sera interdit de creuser à plus de 30 mètres pour éviter les éboulements. “L’idée est que le creuseur amène son sac où son minerai bénéficiera d’une première estimation avec un testeur permettant d’avoir les teneurs rapidement et d’avoir une idée de ce qui devrait lui être payé par la coopérative. Il sera certain de ce qui lui est dû, fini la triche sur les teneurs et les quantités, et son paiement sera sécurisé et traçable”.
Kolwezi, vers un avenir à la Kasulo ?
Un habitant de Kolwezi raconte : “Déjà dans les années 80, on parlait du déménagement du quartier de Kizito et du quartier commercial, tout Kolwezi repose sur du minerai”. Aujourd’hui, Kasulo, ex-quartier plein de vie est une carrière à ciel ouvert en plein Kolwezi . Et Kolwezi demain ?