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Les vérités sur l’éruption du Nyiragongo

L’OVG (Observatoire Volcanologique de Goma) aurait dû prendre le lead dans la direction des opérations, mais il a préféré ne pas le faire. Ils ont laissé un groupe d’experts s’en charger.

Residents flee the eruption of Nyiragongo volcano on the night of May 22. Finbarr O'Reilly for Fondation Carmignac.

Bonjour Professeur. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis Dario Tedesco, professeur en volcanologie et géochimie à l’Université de la Campania à Caserte en Italie. Je travaille sur le volcan Nyiragongo depuis 1995, donc 26 ans. Dans le cas spécifique, je m’intéresse à la géochimie des eaux et des gaz.

Pourriez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé à Goma pendant dix jours avant, pendant et après l’éruption du volcan ?

D’abord, cette éruption n’a pas eu de précurseurs surs. Même dans les éruptions précédentes, personne n’a pu comprendre quand l’éruption allait se déclencher. C’était déjà le cas en 2002 et en 1977. Nyiragongo est un volcan imprévisible, même les spécialistes ne s’y attendaient pas. Entre la dernière éruption, il y a 19 ans, et celle survenue le 22 mai, on s’attendait, malgré une activité en croissance depuis 5 années, à une période de calme plus longue.

Aucun signe ?

Un des signes, c’est notamment la quantité minime de lave sorti du volcan, heureusement. Dans le cratère, on avait calculé au moins 16 millions de mètres cubes de lave et l’éruption n’en a fait couler qu’un volume estimé de façon préliminaire autour de 10 millions. En général, dans les précédentes éruptions, le lac de lave avait été drainé complètement, « jusqu’à la dernière goutte » à l’extérieur, mais là encore, il semble y avoir encore de la lave dans le cratère comme le montrent les anomalies thermiques des images satellitaires du site mirovaweb.it. L’éruption a commencé vers 18 h 30. À minuit, l’activité éruptive cessait déjà. Aujourd’hui, nous savons qu’il devrait y avoir entre 10 et 20 pour cent de la lave qui se refroidit à l’intérieur du cratère. Le fait que cette éruption soit survenue aussi tôt est une chance pour les populations de Goma. Si tout le contenu du cratère avait coulé, la lave aurait pu atteindre une partie beaucoup plus importante de la ville avec des dégâts matériaux et humains beaucoup plus importants.

Les six millions de mètres cubes de lave qui n’ont pas coulé ont fait la différence d’après vous ?

Effectivement. Cette coulée de 2021 n’aurait causé aucun dégât en 2002. Simplement parce qu’à l’époque il n’y avait aucune habitation entre le cratère et la ville de Goma sur la distance parcourue par la coulée. Aujourd’hui, une avancée entre un et trois kilomètres de plus aurait englouti encore plus d’habitations, entre 10 à 15 pour cent de la ville de Goma. Dix-huit ans plus tôt, ce chiffre représentait à peu près 60 000 habitants, mais aujourd’hui c’est environ 300 000 personnes qui auraient péri.

Donc le problème c’est la proximité de Goma ?

Oui, le volcan est dangereux, mais ce danger est principalement dû à l’extrême proximité de la ville de Goma avec le volcan lui-même. Si on imagine le même volcan dans un endroit désertique comme en Éthiopie par exemple, où il y a plusieurs autres volcans actifs, ce type d’éruption, d’une si petite taille, personne n’y aurait prêté attention, à part certains chercheurs. C’est donc la proximité de la ville de Goma avec ses 1,2 million d’habitants qui fait du Nyiragongo l’un des plus dangereux volcans au monde.

Avec cet avertissement, les autorités ontelles pris les bonnes décisions ?

À mon avis, les autorités ont bien agi même si l’impression est contraire. Le Gouverneur militaire et son vice-gouverneur se sont fiés complètement aux scientifiques. Le souci, c’était le message très anxiogène qu’on a continué à donner même quand l’activité du volcan baissait. La relocalisation des populations des zones dangereuses aurait pu être évitée grâce à une communication plus fluide des spécialistes. Quand des experts ont annoncé une possibilité d’éruption dans la ville de Goma ou même dans le lac, les autorités ont été obligées d’évacuer les populations des zones à fort risque.

Quel est selon vous le problème ?

L’OVG (Observatoire Volcanologique de Goma) aurait dû prendre le lead dans la direction des opérations, mais il a préféré ne pas le faire. Ils ont laissé un groupe d’experts s’en charger. Pendant la première semaine de l’éruption, plusieurs experts de l’OVG pour des raisons que je ne connais pas n’ont pas participé aux réunions en ligne. Ils n’avaient probablement pas une bonne connexion internet dans leurs bureaux. D’ailleurs, moi aussi je n’ai pas pu participer aux premières réunions, car j’étais en voyage.

Y avait-il consensus pour gérer cette crise ?

Je pense qu’à part moi et un ou deux autres chercheurs, il y avait un consensus général sur la manière de gérer la crise et surtout sur les messages à délivrer aux autorités. Il y a eu un moment, après une semaine où la sismicité a continué à régresser (moins de tremblements de terre et avec une magnitude de plus en plus faibles), j’ai décidé qu’il était temps de changer le ton des messages, d’envoyer un message plus positif et surtout un message, conforme aux données scientifiques que les différents réseaux étaient en train d’enregistrer. Bref, un message d’espoir aussi. Le message était plus ou moins toujours le même, avec seulement très peu de variations, quelles que soient les données enregistrées. Il était évident pour moi qu’il y avait une majorité très prudente et un ou deux chercheurs qui pensaient d’une façon diamétralement opposée.

Les experts n’étaient donc pas d’accord ? 

La discussion a été sur certaines choses calme et tranquille et sur d’autres très dure, mais c’est ce qu’on attend d’un « vrai » comité d’experts. Que chacun ait le courage d’exprimer son idée, son modèle scientifique avec force et honnêteté intellectuelle. Le vrai problème, c’est l’image de cohésion et de consensus qu’on a voulu donner à l’extérieur, image que je ne partage franchement pas. Un scientifique doit dire ce qu’il pense et non ce que les autres pensent être juste.

En pratique, le consensus est impossible, il faut beaucoup de diplomatie et une certaine élasticité mentale. En pratique, on ne peut pas me dire qu’un seul modèle est juste… en science, surtout une discipline comme la volcanologie, qui est très imprécise, il peut y avoir différents points de vue. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que le message était trop pessimiste et mal expliqué. L’une des critiques que j’ai entendues de plusieurs côtés est que les différents scénarios proposés n’avaient aucun pourcentage… ou est-il possible que chaque scénario ait la même valeur, la même possibilité de se produire ?

Il est évident que ce n’est pas le cas, tout comme il est évident, que les connaissances et les données scientifiques dont disposait ce groupe d’experts n’étaient pas de nature à permettre une évaluation globale et sereine de ce qui se passait.

Dans ce cas, quelle est la vérité sur la supposée injection de magma sous la ville de Goma ?

Il semble effectivement qu’il y ait cette injection de lave qui traverse la ville jusqu’au lac Kivu à près de cinq kilomètres de profondeur. Cependant, ça reste le même cas qu’en janvier 2002 et avec les mêmes effets ; pas d’éruption, à part l’activité principale. Deux scientifiques de ce groupe ont rappelé qu’en faisant le trajet de Nyiragongo au lac Kivu, la lave perdait au moins 300 degrés de ces 1 200 degrés initiaux ce qui veut dire que la possibilité pour cette lave de bouger est sensiblement réduite. La seconde chose dite par un autre expert, c’est que cette intrusion magmatique n’aurait plus pu bouger après une semaine. On aurait dû imaginer que ces informations, plutôt simples à comprendre, auraient pu aider les autorités, les humanitaires, à mieux gérer ces moments difficiles. On aurait pu, avec beaucoup d’attention évidemment, le communiquer dès les jours suivant l’éruption, notamment lors des activités sismiques entre le 23 et le 30 mai. Ce qui est sûr, comme en 2002, c’est que le rift bougeait et qu’il continuait à produire une forte activité sismique.

Avez-vous fait des recherches pour vous rassurer de l’origine de l’éruption ? 

Jusqu’à maintenant, nous avons effectué deux vérifications sur des sites où sont localisées des fractures. J’ai demandé une troisième vérification pour avoir le maximum d’informations. On nous a parlé des quelques fractures qui sont apparues avant l’éruption et on doit revenir précisément sur ces cas. Il faut que l’on sache si effectivement ses fractures avaient été repérées avant l’éruption, s’ils ont fait part de l’information à quelques autorités et, si oui, quelle réponse avait alors été donnée.

Il y avait donc des fractures ? 

En avril 2021 avant de rentrer en Italie, j’avais discuté avec le chef de la sismologie qui me confiait sa surprise d’observer des tremblements de terre que nous appelons « hybrides ». Ce sont des précurseurs d’une possible activité éruptive. À mon retour, il m’a dit que deux semaines avant l’éruption, les mêmes tremblements de terre avaient réapparu. Le chef du département de sismologie en avait ensuite discuté avec les autres chercheurs et expliqué son point de vue.

C’est là que nous commençons à réfléchir sur les possibles liens entre ces fractures et ces nouveaux tremblements de terre et plus tard, à l’éruption. Est-ce que l’apparition de ces tremblements de terre hybrides aurait pu nous faire prévoir l’éruption ? Non, je ne pense pas, on aurait dû trouver plus d’informations. Mais c’est certain que la découverte de l’OVG déclenche une nouvelle piste.

Que dire des affirmations selon lesquelles l’OVG n’avait pas les moyens pour suivre l’activité du volcan ?

 Le manque de moyens économiques n’a pas impacté le travail de l’OVG, pas du tout. Ils ne sont pas responsables. L’habitude veut qu’on se cherche toujours des boucs émissaires quand il y a des catastrophes naturelles de ce genre. S’il y avait une équipe des trente meilleurs chercheurs du monde entier, ils n’auraient rien vu venir eux aussi. Selon moi, c’est une exagération que de condamner l’observatoire.

 

Est-ce qu’avec les événements du 22 mai, on peut envisager que l’OVG reçoive plus de moyens nationaux ou internationaux ?

 Des moyens internationaux, très probablement. Mais les donateurs ne savent pas comment orienter leurs dons avec ce qui est raconté depuis des années sur les réseaux sociaux. Il faudrait aussi se rappeler que l’OVG, c’est 351 agents, même si dans la réalité il n’y en a qu’une centaine qui travaille. À mon avis, ce flou éloigne énormément de possibles bailleurs de fonds. Lors de l’éruption, j’ai revu des gens inaperçus pendant des années revenir, je ne dis rien de nouveau malheureusement…

Que faut-il donc faire ? 

Précisément à cause de la difficulté de comprendre s’il existe ou non des précurseurs fiables et précis, un gros travail doit être fait sur la préparation, l’éducation, l’information correcte et précise des populations à risque. En plus du pilier du monitoring, de la surveillance, il y a le pilier fondamental de l’atténuation des risques. C’est sur cela que le gouvernement devra travailler. Il devra le faire dans un futur proche.

Quel est votre point de vue sur le bilan de la catastrophe ? 

Je crois qu’il est correct. Il y a eu, malheureusement, des décès et tout le monde avait intérêt à avoir le bon chiffre à transmettre à la communauté internationale.

Comment peut-on l’expliquer les cas de décès survenus, vu que l’éruption s’est déclarée tôt dans la soirée ? 

Ce sont des habitants dans des villages à côté de Kibati, des villages où à 19 heures il n’y a plus d’activité. On parle de trois petits villages complètement détruits et les gens n’ont rien vu venir. En 1977, on estime qu’il y a eu entre 700 et 1 500 morts et pourtant la ville n’était pas encore ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

À quoi nous attendre demain ?

J’ai du mal à dire quand il pourra y avoir une nouvelle éruption. En 2020, nous avions écrit un article qui n’avait pas plu aux partenaires en Europe de l’OVG et il a été très fortement critiqué. On nous accusait de terrorisme scientifique pour avoir évoqué l’activité du volcan et que cela pouvait signifier qu’une éruption se préparait. Nous pensions, en nous basant sur les études des précédentes activités, que le volcan se retrouverait entre 2024 et 2027 dans les mêmes conditions qu’avant les éruptions passées.

C’était donc une prévision ? 

Non pas du tout. Il suffit de lire l’article pour le comprendre. L’activité du Nyiragongo n’a pas permis d’anticiper. Il y a eu aussi le Covid qui a fait baisser le nombre de descentes sur terrain que l’on faisait avant. En 2020 et 2021, on ne l’a pas fait. Pour la première fois, une comparaison scientifique a été tentée sur la base du peu de données issues de l’activité qui a précédé les deux seules éruptions historiques connues, 1977 et 2002 et l’activité actuelle précédant l’éruption 2021.

Nous avons souligné que depuis 2016 l’activité n’avait cessé d’augmenter et que bientôt le volcan se retrouverait dans les mêmes conditions physiques qui avaient précédé les éruptions passées. Ceci n’est pas destiné à être une prédiction, mais cela aurait dû permettre aux chercheurs du monde entier de comprendre quel était l’état du volcan et, le cas échéant, de prêter encore plus d’attention à son activité.

Que dire du scénario qui a circulé sur une possible explosion dans le lac au cas où la lave l’aurait atteint ? 

Il s’agit d’une erreur de communication à mon avis. Dès la présentation de la note technique avec ce scénario, j’ai demandé si on y croyait vraiment et quelles étaient les chances qu’une quelconque explosion survienne dans le lac Kivu, personne n’a pu donner une réponse précise. Peut-être, parce qu’il n’y en a pas vraiment. D’autre part, il n’y avait aucun changement dans la chimie du lac. Il fallait surement épargner à la population et aux autorités ce type d’informations.

Dans le passé, on n’a rien prouvé de pareil et pour moi, c’est un scénario improbable même dans le cas où la lave coulerait directement dans le lac. Il y a eu pas mal des gens qui ont décidé de partir, au Rwanda pour cette raison. Le vrai problème, c’est qu’un certain moment on a commencé à mélanger un peu tout et on parlait de choses qu’on ne maîtrise pas et cela a rendu les choses plus difficiles.

Comment se protéger aujourd’hui et quelles mesures pratiques mettre en oeuvre ? 

Vu la difficulté à trouver de signes précurseurs, il faut une nouvelle manière de travailler pas basée uniquement sur le monitoring et la surveillance. Procéder avec la préparation, l’information, l’éducation et la résilience. On peut travailler sur ce projet dans la ville de Goma parce que les gens se sont sentis abandonnés. Qu’on lance une campagne de sensibilisation, d’éducation, dans les écoles pour apprendre aux élèves comment vivre avec un volcan actif ! Il s’agit d’un projet, comme dans le passé qui doit être mis en place par une institution internationale comme l’UNICEF et géré avec l’OVG et par un groupe de gens qui ont déjà travaillé sur le sujet .

Les peurs de la population : Un témoignage de Régine Kazadi, habitante de Goma. Vous avez connu la précédente éruption. Quelle a été la différence avec la première ?  

Nous avons eu très peur évidemment. Mais c’est surtout les tremblements de terre qui nous ont effrayés cette fois-ci.

Pouvez-vous nous raconter votre expérience ? 

Nous avons quitté notre quartier dans la nuit. Nous sommes restés des jours entiers sans recevoir aucune information qui nous ferait comprendre ce qui se passait exactement. Une semaine après, nous ne savions toujours pas si on pouvait revenir chez nous.

Pourtant la Protection civile était là ? 

Quelle protection ? J’ai entendu parler, mais je ne les connais pas. Aucune information n’a été reçue par la population, ni sur l’éruption, ni sur les fractures et les dangers, ni sur l’évacuation. Pour ceux qui ont été forcés d’aller à Sake, il n’y avait aucun moyen de transport organisé. Il était impossible de vivre dans ces endroits insalubres, sans site préparé sans latrines, sans eau potable disponible. La Protection civile était totalement absente et ne nous a apporté aucune aide. Nous nous sommes retrouvés seuls contre tous les dangers, les maladies avec l’arrivée du choléra, les vols à de nombreuses familles. Nous avons été abandonnés à la violence des habitants de la zone qui ne voulaient pas que d’autres personnes s’installent chez elles.

Avez-vous déjà entendu parler d’un plan d’urgence ? D’un plan d’évacuation ? 

Non, jamais ! Dans notre quartier de Mabenga, personne n’en a jamais parlé, personne n’a jamais informé la population. Votre Protection civile ne nous a jamais aidés d’aucune façon lors de cette éruption. Et je ne pense même pas qu’il y ait des plans même. Rien n’était organisé pour ceux qui fuyaient leurs maisons, et rien n’était prêt là où nous allions. Ce n’est pas normal, on habite tous sous le volcan.

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