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Célestin Mukeba Muntuabu DG d’EquityBCDC

DG d’EquityBCDC

La grande annonce économique de 2020 a été le rachat de la vénérable BCDC par le groupe Equity. Une année plus tard, M&B a rencontré Célestin MUKEBA MUNTUABU, Directeur général d’EquityBCDC. Il nous a consacré un long entretien. Une exclusivité de M&B Magazine.

Bonjour Célestin MUKEBA MUN­TUABU. Commençons si vous le voulez par votre parcours, votre vie privée et professionnelle.

Je suis marié et père de deux enfants. Ma femme est modéliste et styliste, elle a une société industrielle dans la mode. Elle fait partie des rares entre­preneurs dans l’industrie de la mode en RDC.

Je suis économiste de formation, j’ai un diplôme en gestion des entre­prises de l’Université Protestante au Congo ainsi qu’un diplôme de l’Acadé­mie Procredit à Fürth en Allemagne ; actuellement, je fais mon master à Havard Business School aux USA.

Passionné par le fonctionnement du corps humain, j’aurais aimé faire la médecine. Je suis resté un grand lec­teur d’articles sur la médecine. Bien avant cela mon rêve d’enfance était l’aviation. Mais au final, j’ai obtenu ma licence en gestion des entreprises. J’ai débuté ma carrière professionnelle dans un cabinet d’audit comptable et de fiscalité qui faisait également la formation des cadres d’entreprise en matière de contrôle et d’audit interne. J’ai une bonne connaissance dans tous ces domaines. Avoir l’oeil d’un audi­teur externe m’a tellement captivé que j’ai complété cette expérience en intégrant PricewaterhouseCoopers. Ma carrière dans le secteur bancaire a débuté en 2006 où j’ai été recruté pour structurer le département finance de ProCredit Bank. J’étais en charge de toute la trésorerie, la gestion des équipes ainsi que le rapport financier.

ProCredit venait d’être lancée ?

Oui, les choses sont allées très vite, j’ai commencé exactement en Mars 2006 et une année après j’étais promu directeur financier. L’année qui a suivi, le 4 novembre 2008, élection historique de Barack Obama, j’ai été nommé Directeur Général Adjoint après avoir suivi une formation de trois ans en parallèle à Fürth ProCre­dit Academy, une académie qui forme les banquiers en Allemagne. Ce fut un cursus intensif de gestion des insti­tutions financières. Ma promotion au poste du Directeur Général Adjoint a renforcé l’équipe de direction de la banque pour piloter l’institution en pleine crise financière mondiale. Nous avons mis en place toutes les réformes nécessaires pour aligner l’institution financière opérant au Congo, mais avec un standard le plus élevé pos­sible, en adoptant le standard euro­péen, notamment celui édicté par la Bundesbank, la Banque centrale alle­mande. Nous avons également mis en place une politique de gestion de risques répondant au Standard alle­mand MaRisk. Durant cette période, le domaine de la finance avait connu une grande mutation, nous étions donc censés apporter tous ces change­ments au niveau du groupe ProCredit à l’époque. Ma tâche était de réformer les structures organisationnelles ainsi que le standard de Rapport financier selon les normes IFRS (Internatio­nal Financial Reporting System). La norme IFRS est une partie technique des rapports des institutions finan­cières répondant à certains standards internationaux pour comparer les états financiers des multiples entités et avoir une même base de compa­raison. La Banque Centrale du Congo l’a adopté seulement en 2018, 12 ans plus tard. En 2014, j’ai été élevé au rang de Directeur Général de ProCre­dit Bank Congo. J’ai eu l’honneur de piloter ensemble avec le Groupe Pro­Credit Holdings la recherche d’action­naires devant continuer les activités de la Banque au Congo qui a abouti à son rachat et à son intégration dans le groupe Equity Group Holdings.

Voilà mon bref parcours à ProCredit Bank Congo.

Equity a racheté ProCredit en quelle année ?

L’entrée en capital dans l’actionnariat a eu lieu en 2015. Mais déjà en 2014, l’actionnaire allemand ProCredit a voulu complètement se désengager du continent africain, il a dû vendre ses actions et ses entreprises à travers toute l’Afrique et même en Amérique latine. Il était temps que ProCredit puisse céder à un acteur qui com­prenait la vision et la mission et qui pouvait pérenniser l’oeuvre amorcée en RDC. Je pense que le travail abattu au niveau du pays par ProCredit a été remarquable. À l’époque, il n’y avait que 100 000 comptes dans tout le pays. ProCredit a démocratisé le service financier à travers le Congo. Pour avoir un compte bancaire avant l’arrivée de ProCredit, c’était difficile et compliqué. L’accès aux services financiers était réservé à une cer­taine catégorie. Nous avons vraiment contribué à modeler le secteur ban­caire dans la configuration actuelle. Nous avons été à la manoeuvre pour lancer toutes les innovations qui sont maintenant d’actualité dans le sec­teur bancaire, notamment les toutes premières cartes du pays, le premier ATM du Congo, le premier terminal de paiement électronique. Nous avions même sponsorisé certaines institu­tions financières pour lancer leurs premières cartes visa. Nous avons joué un rôle de précurseur, mais aussi de catalyseur pour le développement du secteur bancaire en RDC.

Pouvez-vous nous parler du groupe Equity avant la fusion avec la BCDC ?

Equity est une banque panafricaine basée au Kenya, qui aujourd’hui a 11 milliards d’actifs et près de 2 mil­liards de capitalisations boursières, c’est-à-dire les fonds propres sous forme d’actions. Le ratio entre le fonds propre et l’actif place Equity dans la catégorie des 60 banques les plus solides de la planète. C’est donc une institution robuste qui a fait preuve de performances énormes. C’est une banque avec un modèle particulier qui couvre tous les seg­ments de clients, partant des grandes entreprises jusqu’aux particuliers. Equity est une banque vraiment inclusive avec une mission claire: être le champion de la prospérité socioéconomique des Africains. Elle a un idéal : rehausser le niveau de vie des populations africaines avec l’ac­compagnement d’un service finan­cier moderne et inclusif.

Equity Group Holdings est un groupe Panafricain ?

Oui, le Groupe Equity est présent en Afrique de l’Est et en Afrique Centrale, dans six pays, Kenya, Ouganda, Tanza­nie, RDC, Soudan du Sud et Rwanda. Nous avons aussi un bureau de repré­sentation en Éthiopie, prépositionné pour l’ouverture de ce marché.

Aujourd’hui, le groupe compte 14 millions de clients. Il est parmi les groupes qui ont un plus grand nombre de clients, dont près de 12 millions au Kenya. Avec une popu­lation adulte de plus de 22 millions, on peut dire que 50% de la population adulte a un compte bancaire à Equity Kenya. C’est vraiment une banque qui prend soin de la base de la pyramide et s’assure de pouvoir accompagner tous les autres segments en créant des synergies entre les différents types de clients.

À titre personnel, vous êtes donc passé de la culture congolaise à la culture kenyane, comment s’est pas­sée l’adaptation ?

Chaque entreprise a sa propre phi­losophie. Pour moi, s’adapter était évident parce qu’Equity et ProCredit avaient les mêmes bases en termes de la perception et de l’approche vers le marché. Le modèle est orienté vers la base de la pyramide. À l’origine, Equity est une institution de micro­finance qui a commencé en finançant les PME. Le rachat de ProCredit par Equity était une acquisition douce parce qu’il n’y a pas vraiment eu un grand changement sur l’approche business. C’est ce qui a fait d’ailleurs que je sois maintenu comme DG pour piloter l’induction vers le groupe avec toute mon équipe.

Quand Equity est entrée en RDC par cette acquisition, j’ai géré un total bilantaire de près de 130 millions de dollars. Au bout de cinq ans, cela a été multiplié par six soit 900 millions de dollars américains.

Comment s’est passé le rachat de la BCDC par Equity Bank ?

Le rachat de la BCDC par le groupe Equity s’est déroulé dans le cadre de la consolidation des activités en RDC pour s’étendre dans tout le pays et avoir un grand réseau. Faire cela de façon organique aurait pris beaucoup de temps. Le faire par acquisition, c’était la voie la plus sûre et rapide. En regardant la BCDC, je pense que le groupe a vu juste parce que c’était la banque qui incarnait les valeurs qu’il fallait, une expertise avérée dans le segment corporate. Donc la fusion des deux n’était pas agressive parce qu’il s’agit d’une complémentarité totale sur le plan du business. En tous cas, c’est une bonne chose pour l’économie congolaise d’avoir une banque de cette taille. Lors de l’an­nonce de la fusion, on parlait déjà de 2,5 milliards en termes de total actif, avec la capacité de financer locale­ment près de 40 millions de dollars. Cela donne une capacité nécessaire pour accompagner le développement du pays parce que le Congo a besoin d’un acteur financier solide, capable de développer les entreprises via un financement adéquat. J’aimerais souligner qu’Equity Group Holdings est coté en bourse, mais a aussi des actionnaires stratégiques. Le consor­tium XRAY regroupe le FMI, RABO­BANK et NORFIND. NORFIND est un fond norvégien, c’est le plus grand fonds de pension au monde. Vous voyez, c’est du costaud…

Au niveau de la RDC, la banque a comme actionnaire le groupe Equity, l’État congolais, mais aussi la Société Financière Internationale, filiale de la banque mondiale. La finalisa­tion de l’achat s’est faite en août. En décembre, il y a eu migration du sys­tème informatique et fusion de deux banques avec la fusion effective le 31 décembre 2020.

Vous pouvez nous raconter comment s’est passée cette migration du sys­tème informatique ?

Dans l’ensemble, la migration s’est bien passée, mais il y a eu besoin de former le personnel BCDC sur le nou­veau système d’exploitation, les nou­veaux produits et la nouvelle plate­forme. Les six premiers mois ont été un tout petit peu perturbés, mais nous n’avons pas perdu de clients. Lors de l’annonce de la fusion, on parlait de 2,5 milliards de dollars, mais en ce moment on est à 3,2 milliards de dol­lars, donc une grosse croissance.

En la rachetant, le groupe Equity a secoué une «vieille dame» d’une cen­taine d’années, la BCDC. Comment a réagi le personnel ? Y a-t-il eu des doutes, des démissions ?

La BCDC a apporté à son actif plus de solidité de la fusion avec une banque africaine jeune et innovante. Comme le dit un adage, «Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait». Nous essayons de capitaliser sur cette fusion avec les atouts de chacune des institu­tions. Bien sûr, pour toute fusion il peut y avoir quelques petites réor­ganisations. Très vite, nous avons réorganisé la banque en cinq régions pour permettre une proximité avec la clientèle et être en mesure d’offrir des services taillés sur mesure cor­respondant aux différentes entités régionales. Le pays est vaste et les économies régionales ne sont pas les mêmes. Il y a des coins où l’agricul­ture est très développée et des coins où il y a une industrie minière dyna­mique. Kinshasa est dominée par le commerce et les activités de l’admi­nistration centrale. Tout ceci néces­sitait une réorganisation de l’entre­prise. Mais les ambitions que nous avions étaient déjà très claires lors de la fusion : Nous avons besoin de tout le monde pourvu que chacun s’aligne et partage cette nouvelle vision.

Quelle nouvelle image souhaitez-vous donner à la banque ? Comment comp­tez-vous élargir la base de la pyramide avec les clients retail tout en deve­nant leader du corporate ?

Notre ambition est de bâtir une banque solide et inclusive qui tient compte des corporates c’est-à-dire les grandes entreprises. Autour des grandes entreprises, il y a des seg­ments qui accompagnent le dévelop­pement de l’activité économique. Une grosse société ne peut pas fonction­ner sans un environnement de Petites et Moyennes Entreprises. Prenons l’exemple des mines, on a des entre­prises minières, mais tout autour il y a ceux qui fournissent le personnel, le Catering. Il y a donc un tissu de PME lié à cette industrie, et je pense alors que la banque jouera un rôle primordial, car elle ne sera pas frag­mentée, mais uniquement dédiée à accompagner l’activité d’un segment donné. Je pense qu’EquityBCDC est un modèle inclusif qui intègre tous les segments, les grandes entreprises, les PME et les particuliers. Chaque segment nourrit l’autre.

En termes d’organisation des ser­vices, notre force est le fait que nous avons une bonne segmentation de la clientèle. Nous offrons un service «suprême», de haut niveau à notre clientèle corporate. Nous avons éga­lement des agences qui sont dédiées aux PME et puis il y a des solutions modernes digitales qui servent la masse. Il n’y a pas de mélange.

Parlons de votre expansion. Cher­chez-vous à avoir des agences sur toute l’étendue du territoire national ?

Aujourd’hui, nous comptons une pré­sence à travers le pays. À ce jour, avec toutes les agences et banques réunies, nous avons à peu près 1 000 agences physiques. Nous avons développé un réseau de 4 000 agents bancaires qui sont opérationnels en RDC.

On peut faire un retrait d’argent chez un commerçant ?

Oui, et d’ailleurs, on va lancer une grosse campagne de publicité à ce sujet. Je ne peux pas laisser dire qu’une autre banque ait le plus gros réseau dans le pays. C’est faux parce que nous avons quatre fois la taille de toutes les banques réunies et nous avons l’ambition de passer à 10 000 agents bancaires à court terme. On peut y faire un dépôt, un retrait ou ouvrir un compte. Donc, nous avons bâti un modèle qui permet aux clients d’ef­fectuer des transactions 24 heures sur 24, privilégiant la proximité. Pas de transport et pas de file d’attente. C’est un modèle que nous sommes en train de développer. Un modèle qui fonctionne et qui fait toute la diffé­rence avec les autres établissements bancaires.

Quel est le nouvel engagement d’EquityBCDC ?

EquityBCDC a deux moteurs. Il y a le moteur économique : la banque, les produits et les services que nous offrons à tous les segments de la clien­tèle, partant des corporate jusqu’aux particuliers. Nous les accompagnons via notre modèle économique inclusif. Il y a aussi un moteur social : le par­tage de la richesse avec nos popula­tions est l’un des piliers de l’institu­tion à travers le réseau de nos agents bancaires. Pour nous, c’est un moyen de partager les revenus avec les dif­férents partenaires via le modèle agency banking. Tous les acteurs qui animent ce modèle sont rémunérés sur les transactions – des retraits, par exemple. Nous drainons le trafic vers leurs activités. En entrant dans un shop Canal+ pour prendre du cash, vous pouvez aussi renouveler votre abonnement. C’est un modèle finan­cier qui soutient également l’écono­mie du pays.

Et le social en tant que tel ?

Nous nous sommes engagés à contri­buer à l’éducation financière de la population et à l’éducation sur l’entre­preneuriat des femmes et des jeunes. Nous sommes engagés aussi dans le domaine de l’agriculture pour accom­pagner le secteur agricole parce que nous pensons que c’est un secteur qui peut permettre l’autosuffisance ali­mentaire dans un pays comme la RDC. Dans le domaine de la santé, le groupe a investi énormément. Nous avons une franchise médicale, Equity AFIA, qui donne la possibilité aux médecins de s’équiper d’outils modernes grâce à l’accompagnement de la banque. Au Kenya, on compte plus de 42 centres hospitaliers qui sont gérés par les médecins, mais accompagnés par la banque via cette franchise.

Et cela va être lancé au Congo ?

Oui, nous allons lancer ce projet en RDC sous un nouveau label, avec la nouvelle identité d’EquityBCDC. Dans le domaine agricole, nous accompa­gnons déjà le financement agricole à l’Est et au grand Katanga dans la production des maïs en finançant les saisons agricoles. Nous sommes très actifs à l’Est dans l’exportation du café. Nous avons déjà eu à accom­pagner une coopérative avec plus de 11 000 membres. Chaque membre a eu un financement pour accroitre sa production du café qui est exporté et vendu à travers le monde.

Toutes les grandes banques au Congo ont une filiale assurance. Pourquoi pas vous ?

Le groupe est le plus grand distri­buteur d’assurance au Kenya. Nous avons 50% de parts de marchés de tous les produits d’assurance vendus au Kenya. Mais je vais vous faire une confidence : les réflexions sont très poussées au niveau du groupe pour lancer aussi cette branche d’assu­rance en RDC.

Vous avez de grandes ambitions. Vous visez la place de numéro 1 en RDC ?

Notre ambition est d’être le numéro un dans le coeur des Congolais. Notre cible est la population congolaise non bancarisée, car le taux de péné­tration bancaire est très faible. On parle de 6% de la population qui a accès aux services financiers en RDC. L’intérêt pour nous est porté aux 94% restant. Notre souci est d’amener un plus grand nombre dans le secteur bancaire parce qu’une économie se développe grâce à un secteur ban­caire solide et efficace. Notre offre s’adresse principalement à cette cible, car le reste est une conséquence de ce que nous faisons.

Il y a beaucoup de locataires dans le bâtiment de la BCDC. À terme al­lez-vous reprendre tout le bâtiment ?

Avec la fusion de toutes les équipes et l’accroissement du personnel, nous exploitons les deux bâtiments. Nous avons tenu à ce que le personnel tra­vaille en synergie et cohérence dans leurs tâches quotidiennes. L’agence des Aviateurs reste accessible pour servir la clientèle.

Propos recueillis par Olivier DELAFOY

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