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Raïssa Malu

La physicienne qui démystifie les sciences et les technologies en RDC

Quelle est votre formation? “Je suis physicienne. Oh, la physique et les mathématiques sont les matières que j’ai le plus détestées durant mes études…». Cette conversation, Raïssa Malu l’a eue des centaines de fois. C’est pour ne plus l’entendre qu’elle a décidé de se consacrer à la promotion des sciences et des technologies. M&B vous raconte cette belle histoire.

Nous sommes en 2014, Raïssa Malu s’est présentée au ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (EPST) avec une idée originale : organiser un évènement spécial, une nouveauté pour l’Afrique Sub Saharienne ; la première édition de la Semaine de la Science et des Technologies. Aujourd’hui, elle se souvient encore de cet épisode : «Les gens du Ministère m’ont regardé comme si j’étais une extraterrestre. Ils ne voyaient pas ce à quoi pouvait ressembler “une Semaine de la Science et des Technologies”. Heureusement, ils ont gardé l’esprit ouvert», ajoute-t-elle. Cet évènement, commun sous d’autres cieux, devait promouvoir les domaines scientifiques et techniques, les savoirs et savoir-faire congolais et susciter des vocations auprès des jeunes.

L’évènement, dont l’organisation fut épique, s’est tenu du 11 au 12 avril 2014. Un énorme succès pour une première, avec notamment la participation de 5 ministres lors de la cérémonie de lancement : Ministre de l’EPST, vice-ministre de l’EPST, ministre du Genre, de la Famille et de l’Enfant, Vice-Ministre du Budget, Vice-Ministre des Droits Humains et ministres du Travail et de la Prévoyance sociale.

Dès lors, Raïssa Malu et son équipe se sont lancés dans une folle aventure.

Les éditions se sont succédées: 2015, la 2e édition sous le thème de l’« explosion des savoirs »; en 2016, lors de la 3e édition, c’est « Nature et environnement » qui ont été mis à l’honneur; en 2017, 4e édition, c’était la « Communication »; en 2018, pour les 5 ans, le thème était « Notre avenir ensemble par les sciences »; en 2019, à l’aube de la 4e Révolution industrielle, la 6e édition a choisi d’aborder « l’Ancien et le Nouveau Monde »; en 2020, l’année COVID, la 7e édition a proposé de « Dévoiler les mathématiques »; et en 2021 pour la 8e édition, ils ont marqué la mandature de la RDC à la tête de l’Union Africaine en adoptant le thème « Arts, culture et Héritage, leviers pour bâtir l’Afrique que nous voulons ». Le Président de la République, S.E. Félix A. Tshisekedi a participé à cette 8e édition en délivrant un message de soutien très fort.

Quid des résultats ?

Impressionnants : 52000 visiteurs ; 350 élèves animateurs ; 152 animations scientifiques et ateliers ; 132 exposants ; 95 conférenciers de renommée internationale, dont le Panel présidentiel chargé d’accompagner la mandature de la RDC à la tête de l’Union Africaine, exercice 2021-2022 et la Représentante de l’Union africaine en RDC; plusieurs sessions live ; 3 concours nationaux ; 1 Base de données des Femmes dans les Sciences, Technologies, l’Ingénierie et les Mathématiques (STEM en anglais) en RDC; 15 bourses pour les Femmes dans les STEM offertes avec le Sultani Makutano ; 44 capsules vidéo produites pour le Programme «Apprendre à la Maison» ; 10000 visières 3D produites avec l’initiative COVID19DRC; 1 prototype de respirateur d’urgence développé avec Women’s Technologies Innovation.

«En termes quantitatifs, les résultats sont effectivement impressionnants. Mais pour moi, le plus beau résultat c’est de recevoir chaque année plus de demandes d’élèves qui veulent être animateurs, de personnes qui veulent être formatrices et de partenaires qui veulent organiser des activités dans leur province ou dans leur pays dans le cadre de notre évènement. C’est ça le véritable impact de la Semaine de la Science et des Technologies. Nous avons réussi à démystifier les sciences et les technologies, au moins dans la communauté qui nous suit» déclare Raïssa Malu.

Mais pour elle, il ne suffit pas de proposer de faire des sciences en s’amusant pour que ces domaines jouent leur rôle dans le développement de la RDC et de l’Afrique. Ce travail doit s’accompagner de la modernisation de l’enseignement de ces disciplines dans les classes.

Voilà qui nous plonge dans la deuxième partie de cette histoire.

Une réforme des programmes conçus, testés et validés par des Congolais, pour des Congolais

En 2015, le ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique publie une offre pour la mise en œuvre du Projet d’Éducation pour la Qualité et le Pertinence des Enseignements aux niveaux Secondaire et Universitaire (PEQPESU), un projet de 6 ans (2016-2021) financé par la Banque Mondiale et dont l’un des objectifs est d’améliorer la qualité des enseignements et d’apprentissage des sciences et des mathématiques au secondaire. Bingo! Raïssa Malu qui est consultante internationale en éducation pose sa candidature… Qui est retenue ! La mission est claire : réformer les programmes éducatifs du domaine d’apprentissage des sciences (DAS) des 6 années du secondaire.

Arrêtons-nous un moment sur ces nouveaux programmes éducatifs. Afin de les mettre aux normes internationales, l’équipe au sigle imprononçable du PEQPESU a adopté la Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE 2011). Les disciplines sont maintenant regroupées en domaines d’apprentissage.

Dans le domaine d’apprentissage des sciences, nous retrouvons les mathématiques, les sciences de la vie et de la terre (biologie), les sciences physiques (compris la chimie), la technologie et les TIC. Ce regroupement a l’avantage de décloisonner les disciplines à l’intérieur du sous-domaine pour donner du sens et apprendre aux élèves à traiter des problèmes à partir de plusieurs points de vue.

Mais ce n’est pas la seule innovation. Il y a aussi l’approche pédagogique. Les nouveaux programmes éducatifs du domaine d’apprentissage des sciences de la RDC ont adopté l’approche par les situations où ce qui compte est moins ce que vous savez, mais ce que vous êtes capable de faire avec ce que vous savez.

Quand nous avons demandé à Raïssa Malu d’exprimer son ressenti sur ce processus, voici ce qu’elle nous a répondu: «De prime abord, je tiens à dire que le PEQPESU est l’un des meilleurs projets éducationnels déployés en RDC, car il a été conçu pour rétablir la cohérence entre les niveaux secondaire et supérieur et universitaire. C’est une première! Mais, la mise en œuvre s’est faite dans un contexte difficile.

La période 2016-2019 a été politiquement compliquée en RDC, analyse-t-elle. La période suivante 2019-2021 a été marquée par une épidémie d’Ebola, la pandémie de Covid-19 et des grèves des enseignants liées à la récente mesure de généralisation de la gratuité. Et sur les 6 années du projet, nous avons eu 5 ministres de l’EPST! Piloter un projet qui met en œuvre des réformes dans un tel contexte et parvenir à atteindre les résultats, sans vouloir nous lancer des fleurs, relève de l’exploit. Nous n’y serions jamais arrivés sans une assistance technique solide incarnée par le Professeur Philippe Jonnaert, un spécialiste en éducation de renommée internationale, et sans une équipe technique dévouée chargée de moderniser ces programmes. Car il s’agit bien de programmes conçus, testés et validés par des Congolais, pour des Congolais. Ce sont des programmes endogènes».

Quels ont été les accomplissements?

Les programmes éducatifs du domaine d’apprentissage des sciences des 6 années du secondaire (humanités scientifiques) ont été développés, validés et généralisés ; 18000 kits scientifiques venant en appui à ces nouveaux programmes ont été distribués dans les écoles dans toutes les provinces de la RDC; 28 laboratoires modèles ont été rénovés et 36 ont été équipés dans 6 villes de la RDC (Mbandaka, Kisangani, Lubumbashi, Kikwit, Tshikapa et Kinshasa); plus de 70000 enseignants ont été formés ; 10584 ordinateurs ont été distribués dans 504 écoles réparties dans 32 provinces éducationnelles sur les 48 que compte le pays.

Est-ce assez ?

Raïssa Malu reste consciente qu’il reste des paliers à franchir. «De notre côté, nous avons fait ce que l’on nous a demandé et souvent plus encore. Maintenant, c’est au ministère de l’EPST à prendre le relais. Et la priorité doit être de former les enseignants, encore et encore. Lorsque des programmes éducatifs sont développés, validés et généralisés, ce n’est que le début. Ils doivent maintenant vivre dans les classes, cohabiter avec les anciens jusqu’à ce qu’ils les remplacent parce que les enseignants se les seront appropriés. En éducation, les horizons sont à 6 ou 12 ans. C’est à ce moment-là que nous verrons les résultats de ce travail.»

Nous comprenons que c’est maintenant aux équipes du ministère de l’EPST de continuer le processus de la réforme. En effet, Raïssa Malu nous a indiqué que le travail qui a été fait sur le domaine d’apprentissage des sciences doit en urgence être fait pour tous les autres domaines d’apprentissage pour que la réforme soit complète. Que faut-il au Ministère pour lancer ce processus ? «Une prise de conscience de l’urgence et une mobilisation des fonds nécessaires», suggère Raïssa Malu.

Que réserve l’avenir à Raïssa Malu ?

«Mon équipe et moi sommes déjà en train de préparer la 9e édition de la Semaine de la Science et des Technologies qui aura lieu du 16 au 22 avril 2022. Cette édition sera spéciale, car elle se tiendra sur les deux Congo. Je compte sur vous pour nous y retrouver».

C’est clair, nous y serons !

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