En 2016, Jean-Jacques Lumumba, cadre financier à la BGFI, est le premier lanceur d’alerte Congolais à dénoncer des détournements de fonds publics. Le petit-neveu de Patrice Lumumba revient pour Mining & Business sur l’enquête «Congo Hold-up» qui vient de révéler le système de prédation mis en place par des proches de l’ancien président Joseph Kabila. Il porte également un regard critique sur la lutte anticorruption promise par le président Félix Tshisekedi.
Entretien avec Jean-Jacques Lumumba.
Les révélations de «Congo Hold-up» sont dans la continuité des malversations que vous dénonciez en 2016 au sein de la BGFI ?
Oui, sauf que cette fois-ci, les révélations vont bien plus loin que la société Egal, la CENI ou la Gécamines. L’enquête ne s’arrête pas au Congo et nous amène en Asie, en Belgique, en Suisse et aux États-Unis. On a retrouvé beaucoup de biens achetés par les proches de la famille Kabila aux quatre coins du monde. Cette fuite de données permet de comprendre comment les finances publiques de l’époque ont été siphonnées par un clan. C’est le cas d’une seule banque pendant une courte période, entre 2013 et 2018. Cela permet de révéler toute l’étendue de la mégestion du pays. Et si on va plus loin, on découvrira beaucoup d’autres cadavres dans les placards.
Ces révélations montrent les faiblesses du système bancaire congolais, avec notamment des retraits de plusieurs millions de dollars en liquide ?
La corruption est un mal profond au Congo, qui est principalement localisé au sein du système bancaire. Ce qui met à mal l’accès du pays à beaucoup de financements internationaux. La corruption des banques ne nous ouvre pas les voies de la confiance et de la crédibilité auprès de nos partenaires extérieurs. On détruit l’image de ce pays par des détournements et de la mauvaise gouvernance. Nous travaillons avec la société civile pour montrer que ce n’est qu’une minorité de Congolais qui agit de la sorte. Il faut redorer l’image de notre secteur financier. C’est le combat que l’on mène et on réussira à le gagner.
La corruption, c’est avant tout le problème des élites congolaises et de la classe politique ?
Oui, la politique est surtout un business. Les politiques sont là davantage pour garantir leur propre avenir que celui de la population. Ces hommes politiques travaillent contre les intérêts de la République, en reproduisant le système de prédation de leurs prédécesseurs. Beaucoup de personnes condamnent la corruption parce que cela ne leur profite pas. Quand ils en profitent, ils ne condamnent pas.
Certains Congolais prennent pourtant la défense de politiciens accusés de détournements ?
Cela me désole de voir les communautés défendre les leurs. Elles les défendent parce que ces politiciens sont du Kivu, du Kasaï ou du Kongo-central. Ces communautés sont instrumentalisées pour défendre «leurs frères». Mais ils défendent la honte. La lutte contre la corruption n’est pas à géométrie variable. Il faut dire stop au communautarisme qui soutient la corruption.
Comment expliquer cette corruption à grande échelle en RDC ?
La corruption n’est pas une affaire typiquement congolaise. Mais le facteur qui explique son étendue, c’est le manque de contrôle des institutions, l’insuffisance de la gouvernance, la désintégration de l’État, l’affaiblissement de la justice et l’émiettement de l’appareil judiciaire… tout cela favorise la corruption. Avec un État qui n’existe presque plus, les Congolais sont dans une logique de survie, et s’accrochent aux gains quotidiens que l’on peut obtenir facilement par la corruption.
C’est un changement de mentalité qu’il faut opérer ?
Il faut d’abord un changement de leadership pour amener ensuite vers une prise de conscience collective. Un leadership qui nous amènera vers la reconstruction d’un État, d’une justice, et la refondation du système de sécurité. On a besoin d’une justice forte et d’un système de sécurité fort, comme le FBI et la CIA aux États-Unis, pour lutter contre la corruption des puissants.
Les conséquences de la corruption vont au-delà de l’argent détourné ?
Oui, l’insécurité à l’Est est aussi le fruit de la corruption. Une économie de sang s’est installée dans ces régions. L’argent qui est détourné à Kinshasa par des réseaux mafieux nourrit le terrorisme à l’Est. Qui amène ces techniques de terrorisme ? Ce sont les réseaux de prédation, où l’on retrouve le Hezbollah libanais ou l’État islamique. Ces réseaux trouvent un intérêt dans un pays riche comme le Congo, et ceux qui entretiennent la corruption, ce sont les hommes forts de notre pays, que l’on retrouve au sommet de l’État.
«Congo Hold-up» est-il un scandale de plus sans conséquence, ou peut-il mettre fin à l’impunité ?
Cela montre surtout la manière dont notre pays a été géré et, peut-être, continue d’être géré aujourd’hui. Ce scandale doit ouvrir la voie à plusieurs enquêtes judiciaires. Et nous allons nous battre pour y arriver. Tous ces biens détournés sont détournés au détriment de la maman qui doit sortir à 4 h du matin à Beni pour nourrir sa famille et se fait tuer ou violer. Cela pénalise les enfants de Kabinda qui doivent se rendre à pied à l’école parce qu’il n’y a pas de routes. Cela pénalise les Congolais qui doivent se rendre en Angola pour travailler et se faire maltraiter. Qui paie le prix de ces millions détournés ? Ce sont les Congolais. Il faut que cet argent et ces biens mal acquis soient restitués à la population qui en a tant besoin. Les actions en justice ? C’est la bataille que nous sommes en train de mener en tant qu’acteurs de la société civile après les révélations de «Congo Hold-up».
Vous pensez que ces détournements ne resteront pas impunis ?
«Congo Hold-up» ne restera pas impuni. Ces révélations viennent de l’intérieur. De Congolais à l’intérieur du système. Nous avons vu ce qui s’est passé et nous avons dénoncé. C’est l’argent de nos impôts, c’est notre argent qui a été détourné, et cet argent doit maintenant bénéficier à nos frères et à nos sœurs Congolais.