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Maître Joseph Keta

« Pour participer à l’œuvre de la paix, il faut faire de la politique, on ne peut pas le faire en étant à l’extérieur »

Maître Joseph Keta, avocat à la Cour Pénale Internationale (CPI), préside l’APEC (Action des Patriotes pour l’Émergence du Congo). De ses origines, en passant par son expérience à la CPI et ses ambitions pour l’émergence de la RDC, Me Joseph KETA s’est prêté à l’exercice du grand entretien de M&B.

Maitre Keta, commençons par votre enfance.

Mon grand-père paternel fut «Kapita», à Shoun, une grande société à l’époque coloniale, à Bambu Mines, une zone minière dans la province de l’Ituri, mon grand-père maternel travaillait à la Poste. Je suis originaire du territoire de Mahagi. Mes grands-parents vivaient à Bambu Mines dans le territoire de Djugu, où se trouvait le siège de la société Shoun. C’est là que mes parents ont vu le jour.

Mon père est né en 1936, d’une fra – trie de cinq garçons. Après la mort du grand-père, il s’est dirigé vers Bunia où il fut employé à la Banque Commerciale Congolaise vers les années 1958. Ensuite, il a travaillé à Butembo, dans le Nord-Kivu, toujours au service de la Banque Commerciale Congolaise. Mes parents se sont rencontrés justement dans la zone minière de Bambu Mines. Mon père avait fait ce que l’on appelait à l’époque «l’école moyenne», tandis que ma mère avait fait des études infirmières. Mon père racontait qu’elle était tombée amoureuse de lui lors d’un match de football où mon père était gardien de but. J’ai vu le jour à Butembo, le 4 avril 1963. Je suis le deuxième de la famille. Une année plus tard, une rébellion a éclaté dans l’Est du Congo. Ma famille s’est réfugiée à Goma. Nous avons vécu à Goma de 1964 à 1977. Monsieur DOKOLO, un opérateur économique congolais, avait créé la «Banque de Kinshasa». En 1976, mon père y est recruté. Il a connu une forte ascension sur le plan professionnel, car il était très apprécié. Malheureusement, il fut assassiné en 1977 sur la route Goma-Rutshuru dans la province du Nord-Kivu. Son travail l’obligeait à récupérer des fonds auprès des opérateurs économiques du Nord-Kivu pour les ramener à Goma. Il fut tué par des malfaiteurs lors une embuscade, le 27 juillet 1977.

Comment cela s’est-il passé ?

Il était accompagné par des agents de la banque, qui n’étaient pas armés. Il n’y avait pas d’escortes militaires ou policières à l’époque. Ils transportaient de grosses sommes d’argent. Cinq personnes se trouvaient à bord de la voiture, il fut le seul assassiné. Les autres s’en sortirent avec des blessures. Cela est sûrement le tournant de ma vie.

Vous étiez très jeune.

Oui, j’avais 14 ans. À l’école, j’étais encore au niveau du cycle d’orientation et ce fut un grand bouleversement dans notre vie. Un oncle paternel, Unen Can, le troisième de la fratrie de 5 garçons, était directeur commercial à l’Office National du Café (ONC) en 1977 à la mort de mon père. Étant d’une fratrie de quatre enfants, c’est lui qui nous a pris en charge, dès la mort de notre père jusqu’à notre émancipation.

Qu’est-ce qui vous a décidé à devenir avocat ?

Comme vous pouvez le deviner ; le décès de mon père. Les auteurs furent retrouvés à Kisangani. Ils étaient trois : l’instigateur, qui était un fils adoptif de mon père, celui qui avait tiré sur lui et son assistant complice. Le premier et le second furent pendus, le complice qui était sur le lieu du crime a écopé d’une peine de 30 ans de prison. Les assassins de mon père ont fini par être pendus publiquement à Bukavu. Je crois que c’est la dernière pendaison publique au Congo vers la fin des années 70, en exécution d’une décision judiciaire.

Êtes-vous pour ou contre la peine de mort ?

Moi, je souhaite l’application de la peine de mort. Pour celui qui a com[1]mis un assassinat avec préméditation, je pense que la peine de mort constitue une sanction juste. Dans certains pays, il y a toujours eu cet effet dissuasif et d’exemplarité qui est très important. Je plaide souvent pour la peine de mort dans certaines circonstances.

Vous êtes donc devenu avocat ?

Oui, en 1991 j’ai prêté serment au Barreau de Kisangani. À l’époque, Bunia dépendait de Kisangani et jusqu’à 2000, j’ai résidé à Bunia avant de partir en France avec ma petite famille. J’ai obtenu le statut de réfugié avec ma famille en février 2001.

Racontez-nous comment vous êtes arrivé à la CPI

Déjà en 1996, j’intervenais dans certains dossiers que l’on appelle «pro deo», dans des dossiers de crimes internationaux. C’était devant des juridictions militaires parce qu’en RDC, c’est devant les juridictions militaires que les crimes internationaux sont jugés.

Pro deo signifie que l’on ne vous paie pas pour vos prestations. Vous êtes désigné sous l’autorité du Bâtonnier. Moi j’intervenais pour les cas des victimes. En 2005, j’étais à Bunia pour intervenir avec mes confrères dans certains dossiers des crimes internationaux. En 2006, j’ai introduit ma demande pour être inscrit sur la liste des avocats à la CPI.

Au niveau de la CPI, pour être retenu dans une affaire, on doit être choisi soit par l’accusé ou les victimes. Les agents du greffe descendent sur terrain avec les formulaires pour demander à l’accusé ou aux victimes si elles peuvent se choisir un avocat. On leur présente les listes des avocats qui sont inscrits, l’accusé et les victimes choisissent les avocats, sans qu’on les leur impose. Les victimes demandaient souvent s’il y avait les avocats du terroir. Et quand elles découvraient mon nom, les victimes posaient toujours la question si c’était le même Avocat qu’elles avaient connu à Bunia. À la fin, beaucoup de gens m’ont choisi.

Pourquoi votre exil en France ?

Pendant les périodes des troubles, entre 1998 et 2000, l’Ituri a été le théâtre des conflits des groupes armés. En 2000, j’occupais le poste du Directeur général de Kilo-Moto, une entreprise minière dont le siège est en Ituri. Avec ce titre, j’étais parmi les personnes vulnérables ou à haut risque politique. En ce moment-là, il y avait le mouvement de libération RCD/KML (Rassemblement Congolais Démocratique/Kisangani Mouvement de Libération) qui occupait la partie nord-est de la RDC, dirigé par le professeur Ernest Wamba Dia Wamba. C’est à cette occasion que les notables de l’Ituri proposèrent mon nom aux dirigeants du RCD/KML. Monsieur Wamba Dia Wamba me nomma en mars 2000, Directeur général de Kilo-Moto. Prenant en compte les risques dans la zone de l’Ituri et le titre que j’avais, je fus obligé de me réfugier dans un premier temps à Kampala avant de prendre la résolution de rejoindre la France.

Quel est votre meilleur souvenir de la Cour pénale internationale ?

C’est le fait d’être parmi les premiers avocats, de surcroît d’origine africaine, à comparaitre devant la Cour Pénale Internationale, pour les toutes premières affaires de la cour. C’était le Procureur contre Thomas LUBANGA et le procureur contre Germain KATANGA et NGUDIOLO. Mon meilleur souvenir c’est justement devant les procédures nouvelles. Prester devant les juges qui sont de common law (système juridique de pays anglophones, différent de la civil Law système juridique Romano-Germanique). J’ai découvert un autre système et une autre procédure des juges. Dans la common law il n’y a pas de primauté du Droit positif, en effet la jurisprudence, source secondaire dans le civil Law, a un rôle primordial dans la procédure. Donc, le mixage de deux systèmes juridiques est un atout pour tout praticien du Droit.

Parlez-nous de ces deux affaires ?

Elles concernaient l’Ituri où il y avait des atrocités entre 2000 et 2003. Monsieur Thomas LUBANGA a été la première personne à être poursuivie par le procureur, ensuite c’était Monsieur Germain KATANGA et NGUDIOLO. Le premier a été poursuivi pour enrôlement des enfants de moins de 15 ans et le fait de les avoir utilisés dans les hostilités. Pour les deux autres, il y avait à peu près 18 chefs d’incrimination, non seulement pour la conscription et l’enrôlement des enfants, mais également d’autres crimes de guerre. Les trois incriminés venaient de l’Ituri. Parmi eux, Thomas LUBANGA, condamné à une peine de 14 ans. NGUDIOLO a été acquitté par la cour, le tout premier acquittement devant la CPI. Par contre Germain KATANGA a été condamné, mais il a bénéficié d’une libération inconditionnelle.

Pourriez-vous nous raconter une anecdote de votre parcours à la CPI ?

Ce qui m’a frappé, c’est cette latitude que les juges laissent aux participants. Quand on parle des participants, on voit les représentants des victimes. Les parties dans l’affaire sont donc le prévenu (la défense) et la partie poursuivante (le procureur). Ce qu’on appelle les participants, une innovation de la CPI, ce sont des victimes ayant la possibilité de venir présenter leurs vues et préoccupations devant la cour. La première expérience importante a été faite devant la CPI au sujet de la participation des victimes à travers une requête introduite en avril 2009, pour solliciter la participation des victimes devant la chambre de première instance à la phase du procès. Malgré les contestations des parties, les juges avaient accédé à ma requête et c’était la première participation des trois victimes devant la CPI en qualité des victimes-témoins. Une grande avancée en matière de justice pénale internationale.

Qu’en est-il de votre vie personnelle ?

Je suis marié, maintenant 36 ans de vie commune avec ma femme, et père de cinq enfants. Mes enfants vivent en France avec la nationalité française. En ce qui me concerne, je n’ai pas voulu prendre jusque-là la nationalité française. Peut-être qu’un jour j’y songerai.

Que pensez-vous de la double nationalité ?

La nationalité congolaise est une et exclusive. J’ai préféré garder ma nationalité congolaise jusqu’à ce jour. Je suis pour la double nationalité, parce qu’on ne comprend pas pourquoi nous devons garder cette loi alors que nous sommes dans un monde dynamique. Le jour que notre Assemblée nationale va voter la loi sur la double nationalité, c’est là que je pourrais solliciter la nationalité française. D’une manière ou d’une autre, cela fait 20 ans que je vis en France, c’est mon pays d’adoption.

Sur l’internet votre nom est associé à un document de la CPI et son comité de discipline sur une affaire «le greffier contre monsieur Joseph KETA». Qu’en est-il de cette affaire qui date de 2010 ?

C’était mes toutes premières affaires. J’ai été encadré par des ONG internationales et nationales dans le suivi des victimes des atrocités. Pour moi, il était normal d’avoir une interaction avec ces ONG-là. Mais certains avocats ont saisi la chambre pour m’accuser de violation du principe de confidentialité. Il y a eu une audience et la com[1]mission a retenu une suspension de 3 mois. Ensuite, après avoir respecté la décision de la commission de discipline au premier degré, j’ai repris mes activités comme conseil des victimes.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre parti ?

En 2011, aussitôt la procédure terminée dans le procès où j’intervenais à la CPI, j’ai pris la décision de renoncer à ma qualité de réfugié politique pour rentrer dans mon pays librement. La renonciation est très rare quand vous êtes réfugié politique. Je sais que beaucoup ne renoncent pas, mais j’ai eu le courage de le faire. J’ai commencé par intégrer l’AFDC (Alliance des Forces Démocratiques du Congo NDLR), de l’actuel président du Sénat, Monsieur Bahati LUKWEBO. J’y ai adhéré depuis 2011 et j’y ai passé de bons moments, en apportant mes idées pendant 9 ans.

Comment s’est passée la suite ?

À mon retour à Kinshasa, j’ai réuni certains compatriotes, on s’est mis autour d’une table pour constituer un parti politique, avec des idées bien détermnées. C’est ainsi qu’en décembre 2020, on s’est réuni et on a signé les statuts de l’Action des Patriotes pour l’Émergence du Congo (APEC). Ensuite, nous avons commencé les démarches pour obtenir un agrément ministériel, que nous avons eu le 9 avril 2021. C’est le 11 novembre 2021 que l’APEC a fait sa sortie officielle. C’est en date du 25 novembre 2021 qu’une charte d’alliance fut signée avec Les Forces Politiques Alliés à l’UDPS (FPAU), forces qui soutiennent le Président de la République, Félix Tshisekedi.

En tant que président de l’APEC, quelle est votre vision ?

Il faut créer des richesses. Comment les créer ? En s’approchant du petit peuple, en créant des coopératives de crédit qui peuvent octroyer des micro-crédits à cette couche de la population. C’est par exemple nos mamans qui vendent des légumes, de la tomate, de la braise… Quel capital ont-elles ? Peut-être seulement 50$ ou 100$ ? Il y a moyen de les aider pour qu’elles ne touchent pas à leur capital même dans certaines circonstances comme la maladie, le paiement de frais scolaires pour leurs enfants. Nous voulons secourir cette catégorie de personnes. La deuxième catégorie, ce sont les jeunes qui terminent aujourd’hui les études, mais qui restent au chômage. On peut les accompagner parce qu’ils sont porteurs des projets, en leur donnant les moyens financiers pour mettre en œuvre leurs projets par exemple. Notre vision est claire, il faut soulager la misère de cette population et participer au rétablissement de la paix dans l’est du pays en particulier. Pour participer à l’œuvre de la paix, il faut faire de la politique, on ne peut le faire en étant à l’extérieur. Certains le font en créant des ONG, on peut aussi le faire en étant acteur politique. C’est notre ambition.

Vous vous êtes alliés à l’UDPS. Vous souhaitez cependant apporter le changement ?

Nous avons fait un constat : si nous comparons le régime passé (J.Kabila, NDLR) et le régime actuel, on sent une volonté de changer les choses. Nous voulons juste apporter notre pierre à l’édifice, nous ne pouvons pas nous targuer de soulager toute la misère de la République d’un coup de baguette magique. Nous disons que s’il nous est permis d’apporter notre petite pierre à l’édifice, nous le ferons. La même vision m’a permis de convaincre d’autres patriotes et certaines personnes de la société civile qui ont de l’expérience de nous rejoindre. Je ne pourrais pas vous donner les noms de tous les membres de l’APEC, mais je confirme qu’il y a beaucoup d’anciens députés nationaux et des acteurs de la société qui nous ont rejoints.

Que manque-t-il au paysage politique de la RDC ?

Je vous envoie tout simplement à la devise d’APEC. Il y a quatre choses en notre devise : «le patriotisme, l’intégrité, la méritocratie et le pragmatisme.» Chaque mot a un sens, le patriote aime son pays et ne peut pas le trahir. La méritocratie est la deuxième chose, dans APEC nous prônons «l’homme qu’il faut à la place qu’il faut». Nous évitons tout favoritisme, pas question de népotisme, pas question de clientélisme. Quelle que soit votre origine tribale, vous avez droit de participer au changement.

Troisième chose, c’est l’intégrité. À l’APEC, nous considérons que l’ennemi des patriotes, ce sont toutes les antivaleurs que nous retrouvons dans la société : corruption, mauvaise gestion et vol, pour ne citer que cela. Tout ce qui est contraire à l’intérêt public, nous le considérons comme antivaleur. Enfin, le pragmatisme, c’est-à-dire que nous ne prenons pas part à la démagogie. Les hommes politiques sont taxés de démagogues, ils parlent beaucoup sans qu’il y ait des actions palpables. Voilà les spécificités de l’APEC à travers sa devise et sa doctrine.

Pour la justice, par quoi commenceriez-vous si vous en aviez le pouvoir ?

D’une manière générale, nous savons que la justice en RDC souffre de la corruption. Il faudrait, en premier lieu, mettre sur pied une loi de moralisation publique. La corruption est un grand mal. Il faut offrir des conditions décentes à tous les magistrats du parquet et ceux du siège, en leur donnant le salaire qu’ils méritent. Ensuite, il faut renforcer la sanction au cas où l’un ou l’autre commettrait une infraction de corruption. Les deux principes doivent aller de pair : améliorer leur salaire et renforcer le système de sanction en cas de faute professionnelle.

Dans l’actualité récente, une explosion suicide d’un membre des ADF a fait des victimes à Beni, que ressentez-vous face à ces actes ?

C’est du dégoût, car on perd des vies humaines. Pourtant, on peut réussir à freiner cela. Les ADF utilisent des méthodes que le pays n’avait jamais connues, des bombes. On n’est pas loin de la corne de l’Afrique qui est un des bastions du terrorisme. Il faut se mettre au diapason du concert des nations pour éradiquer le terrorisme parce que cela risque de gangréner le pays de plus en plus.

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