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Comment le gaz africain peut devenir une alternative aux importations russes pour les Européens

Le plan de la Commission européenne REPowerEU, adopté le 19 mai, dessine d’évidentes opportunités pour un continent qui assurait jusqu’ici à l’Europe un peu plus de 10 % de sa consommation gazière.

Le plan de la Commission européenne REPowerEU, adopté le 19 mai, dessine d’évidentes opportunités pour un continent qui assurait jusqu’ici à l’Europe un peu plus de 10 % de sa consommation gazière.

Le plan de la Commission européenne REPowerEU, présenté douze jours à peine après le déclenchement de l’invasion russe et adopté le 19 mai, dessine d’évidentes opportunités pour un continent qui assurait jusqu’ici à l’Europe un peu plus de 10 % de sa consommation gazière – contre près de 40 % pour la Russie. Et dont les capacités de production devraient doubler d’ici à 2030, selon une étude de Rystad Energy. « L’infrastructure de pipelines existant entre l’Afrique du Nord et l’Europe comme les relations historiques d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) font de l’Afrique une alternative solide pour les marchés européens, après l’interdiction des importations russes », estime ainsi Siva Prasad, analyste principal au sein de ce cabinet de conseil norvégien.

En effet, depuis les premières salves tirées sur l’Ukraine, suivies de la décision de l’Union européenne de se passer des deux tiers de ses importations de gaz russe d’ici à la fin de l’année, et de les cesser d’ici à 2027, les pays les plus dépendants des livraisons de Moscou se sont ostensiblement tournés vers les exportateurs africains, effectifs ou à venir.

L’Italie, dont 45 % des importations gazières partaient de Russie avant le début du conflit, a été la première à rechercher la diversification de ses sources d’approvisionnement. Quatre jours après le début de l’offensive russe, son chef de la diplomatie, Luigi Di Maio, était en Algérie, « qui a toujours été un fournisseur fiable », selon ses propos. Le 11 avril, le Premier ministre, Mario Draghi, et le PDG d’ENI, Claudio Descalzi, lui emboîtaient le pas, pour signer avec Abdelmadjid Tebboune, le président du pays, un accord permettant d’augmenter de 40 % environ les importations de gaz algérien. Dans la foulée, Rome faisait de même en Angola et en République du Congo.

Ambition sénégalaise

Première cliente européenne du gaz russe, l’Allemagne est, elle, allée faire les yeux doux au Sénégal, dont les champs partagés avec la Mauritanie dans l’Atlantique devraient produire 2,5 millions de tonnes de GNL par an à partir du dernier trimestre 2023, puis 10 millions à partir de 2030. « Nous sommes prêts, nous Sénégal en tout cas, à travailler dans une perspective d’alimenter le marché européen en GNL », a assuré le président Macky Sall au chancelier Olaf Scholz, à Dakar, le 22 mai. « Les premières livraisons sont réservées pour le marché asiatique, mais rien n’empêche de renégocier les destinations avec l’opérateur du fait du basculement de la géopolitique de l’énergie », détaille Mamadou Fall Kane, le conseiller énergie du chef de l’État sénégalais.

Conscient que les tensions mondiales renforcent l’attractivité de son pays, dont le gaz est, dit-il, « livrable en deux ou trois jours en Europe et quarante fois plus propre que le gaz de schiste américain », M. Fall Kane, qui est également secrétaire permanent adjoint du comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz, affirme que l’ambition du Sénégal est de trouver « le juste équilibre entre le développement de ses capacités industrielles, la rente tirée de l’exportation et la préservation de l’environnement ». Quitte à ce que cela occasionne quelques tensions avec BP et Kosmos Energy, qui ne souhaitent pas développer des projets de liquéfaction au sol.

Alors que la guerre menaçait aux portes de l’Ukraine, le Nigeria, le Niger et l’Algérie ont ressuscité le projet d’un gazoduc transsaharien datant des années 1970

Sur cette dernière exigence, le Sénégal, à l’instar de la plupart des États africains, ne cache pas son hostilité à l’engagement, pris en novembre lors de la COP26 par une vingtaine de pays, dont les États-Unis et la France, de cesser les financements de projets d’exploitation d’énergies fossiles à l’étranger sans techniques de capture du carbone d’ici à la fin 2022. « Il n’est pas concevable que les pays industrialisés continuent à utiliser des ressources très polluantes comme le charbon, le fuel, le pétrole et le gaz et que l’on veuille condamner le financement des énergies fossiles de ceux qui n’ont pas d’industries et dont la moitié de la population n’a pas accès à l’électricité. C’est injuste », argue Macky Sall dans un entretien au Monde, rappelant que « les Africains sont les moins pollueurs de la planète ».

« Il y a une vraie différence entre les objectifs annoncés et l’argent disponible pour les réaliser. Si les cibles climatiques de l’Union européenne restent inchangées pour 2050, l’Union européenne annonce qu’à l’horizon 2030 elle va brûler plus de charbon et de pétrole. Pour éviter le black-out, je pense que les États vont être obligés de revenir aux énergies fossiles », tempère Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris. L’expert avertit par ailleurs que « l’Europe a aujourd’hui beaucoup de chance, car elle redirige vers elle du gaz issu de projets construits notamment par la Chine. Les 40 % de GNL supplémentaires par rapport à l’an dernier qui sont arrivés en mai ont été rachetés à la Chine, à l’Inde, etc. Nous profitons des investissements des autres, mais les pays producteurs et les “majors” du pétrole et du gaz ont besoin de contrats à long terme ».

Les tensions géopolitiques actuelles offrent des opportunités pour le lancement de nouveaux projets ou la relance de plus anciens. Alors que la guerre menaçait aux portes de l’Ukraine, le Nigeria, le Niger et l’Algérie ont ressuscité le projet d’un gazoduc transsaharien datant des années 1970. Le 1er juin, Abuja, qui est également toujours dans l’attente de la mise en service d’un septième train de liquéfaction, a donné son feu vert à un autre projet pharaonique d’extension d’un gazoduc sous-marin longeant les côtes d’Afrique de l’Ouest, jusqu’au Maroc et à l’Espagne. « Je ne crois pas que l’un de ces deux projets sera mené à terme. Sur le premier, il y a un évident problème de sécurité dans la région du Sahel. Quant au second, il sera difficile de financer un projet de distribution de gaz à toute la région et à l’Europe alors que la ressource, même si elle est très abondante au Nigeria, n’est pas garantie du fait des problèmes de gouvernance et de sécurité dans la région productrice du Delta du Niger, prévient Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales. Un problème qui s’applique aussi pour le gazoduc allant vers l’Algérie. »

Attaque djihadiste

L’exigence croissante d’assurer en premier lieu une consommation intérieure en pleine expansion, les tensions entre voisins – comme celles entre Alger et Rabat, qui ont abouti à la fermeture par l’Algérie, depuis décembre 2021, du gazoduc Maghreb-Europe traversant le Maroc –, les milices politico-mafieuses du Delta du Niger ou les groupes djihadistes du Sahel et du Mozambique sont aujourd’hui des freins évidents à l’accroissement des exportations gazières vers l’Europe.

À ce titre, le Mozambique est un exemple type du poids du politique sur l’économie. Ses réserves dans la province du Cabo Delgado, découvertes depuis 2010, ont attiré les géants du secteur (TotalEnergies, ExxonMobil, ENI…), promettant à cette nation un avenir d’eldorado gazier. Installé au large des côtes, le projet mené par ENI devrait démarrer sa production au cours de l’année 2022, mais celui de TotalEnergies, prévoyant la construction de deux trains de liquéfaction sur la péninsule d’Afungi, a été mis à l’arrêt en mars 2021 pour cause de « force majeure » après une nouvelle attaque djihadiste, repoussant les livraisons de 2024 à 2026 au moins.

Si des sous-traitants ont fait récemment leur retour dans l’extrême nord mozambicain, laissant augurer une reprise des travaux, ExxonMobil n’a toujours pas signé, pour sa part, sa décision finale d’investissement. Comme l’ensemble des analystes du secteur, Benjamin Augé observe ainsi la grande limite du moment : « Aucun pays africain n’est, à ce jour, en mesure d’augmenter massivement sa production, alors que les besoins européens sont immédiats, pas pour 2035 ! »

Cyril Bensimon

Source : Le Monde 

M&B

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