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Soulages, le continent outre-noir

 Pierre Soulages, le peintre explorateur du noir, est mort. Il s’est éteint dans la nuit du 25 au 26 octobre, à l’âge de 102 ans. Tout au long de sa carrière, il a voulu montrer tout ce que la rencontre du noir et de la lumière peut engendrer aussi une forme de sublime.

France, Sète, February 1998 Portrait of Pierre Soulages, French painter. France, Sète, février 1998 Portrait de Pierre Soulages, peintre français. Gérard Rondeau / Agence VU

Le découvreur de l’« outre-noir » est mort à l’âge de 102 ans. Cet amoureux de l’Aveyron et de l’art roman était le conquérant d’un monde lumineux.

Hommage.

Pierre Soulages, le peintre explorateur du noir, est mort. Il s’est éteint dans la nuit du 25 au 26 octobre, à l’âge de 102 ans. Tout au long de sa carrière, il a voulu montrer tout ce que la rencontre du noir et de la lumière peut engendrer aussi une forme de sublime. Sa peinture était incomparable à toute chose, comme sa posture d’artiste toujours vêtu de noir. Il donnait l’impression d’être insensible aux honneurs.

L’artiste ne s’exprimait pas et n’a consenti à laisser échapper que quelques épisodes de sa vie. Pierre Soulages naît le 24 décembre 1919 à Rodez sur les Causses en France dans une famille d’artisans. Son père, qui disparaîtra en 1924, est constructeur de voitures hippomobiles.

Des instants marquants comme la découverte de la préhistoire et la fouille de dolmens et de grottes, la contemplation de reproductions de Rembrandt dans un livre seront des moments de révélation que Soulages a souvent évoqués par la suite.

Il confiera : « J’ai sans doute été marqué dans l’Aveyron par les paysages élémentaires. Les choses brutales, simples. »

 Sa rencontre avec les arts

Le goût du noir, il l’a très tôt. Tout petit, il préfère déjà son encrier aux palettes de couleurs.

Un jour, il est surpris en train de strier de noir une feuille blanche. On lui demande ce qu’il dessine, il répond «la neige», on rit, on a tort. «J’aimais plonger le pinceau dans l’encrier et faire des traces. Les activités des adultes me semblaient dérisoires, les gens me semblaient perdre leur vie, je pensais qu’avec la peinture je ne la perdrais pas.»  Il commence à peindre des paysages en 1936.

Il part pour Paris en 1938 afin de préparer le concours d’entrée aux Beaux-Arts. Il sera admis, mais n’y entrera pas, convaincu que rien ne l’intéresse autant que les expositions qu’il voit dans les galeries parisiennes, Cézanne et de Picasso… Mobilisé en 1940, démobilisé au début de 1941, il se rend à Montpellier pour préparer le professorat de dessin.

Il découvrit également les œuvres de Max Ernst et Salvador Dali par les illustrations d’un article de propagande nazie contre l’« art dégénéré ». Il prend conscience alors qu’il ne pourra plus jamais vivre sans la peinture. Sa rencontre décisive avec Colette Laurens, son épouse les marquera jusqu’à la fin de leur vie.

En 1948, Soulages est invité à participer à une exposition itinérante d’art français en Allemagne et l’un de ses brous de noix en est l’affiche. Les expositions personnelles s’enchaîneront. Paris, Berlin, Betty Parsons en 1949, au Guggenheim et au MoMA à New York.

Le Museu de Arte Moderna à Rio de Janeiro, la Tate à Londres. Dès les années soixante, la reconnaissance de la peinture de Soulages est un fait acquis en Europe et en Asie. Aux États-Unis, c’est une autre histoire. Le triomphe de l’expressionnisme abstrait new-yorkais et la critique américaine s’accommodent mal des œuvres venues de Paris.

La reconnaissance internationale Entre 1950 et 1960, sa peinture évolue. Les dimensions des toiles s’accroissent et des formes noires se posent sur des zones colorées. Soulages définit chacune de ces œuvres comme un apprentissage au déroulement imprévisible.

En 1962, le peintre explique : « Je pars d’une première touche : cette proposition susceptible de multiples développements provoque un dialogue et les choix successifs d’où naissent peu à peu la poésie et la signification du tableau. Ces choix dépendent et répondent d’une certaine manière d’être dans le monde. Il n’y a pas de “schémas préexistants”, j’apprends ce que je cherche en peignant. »

La disparition des couleurs

À partir de 1967, les autres couleurs que le noir disparaissent et le fond est blanc. Les formats croissent, diptyques d’abord, assemblages de quatre ou six toiles ensuite. Le mode de son accrochage évolue en conséquence : pour la première fois à Houston en 1966, Soulages suspend ses œuvres au plafond, puis optant plus tard pour des câbles métalliques verticaux, sur lesquels les œuvres sont disposées dos à dos, déployant une architecture propre dans les salles de musée.

En 1979, à l’occasion d’une présentation de toiles récentes au Centre Pompidou, il expliquera : « Je peignais et la couleur noire avait envahi la toile. (…) Cette chose nouvelle allait loin en moi pour que je continue ainsi jusqu’à l’épuisement. » Dès lors, Soulages explore les possibilités de ce qu’il a nommé ultérieurement l’« outre-noir ». Les principes de « l’outre-noir » sont-ils à chercher dans l’enfance de Soulages ? Il n’y a pas grand-chose à comprendre », disait-il encore.

Soulages faisait peu de phrases autour de ses peintures, et aucune théorie, préférant parler de ses outils, de la matière, de la lumière.

La rencontre du noir et de la lumière

Définir l’outre-noir comme un monochrome serait une mauvaise perception de l’œuvre de Soulages.

Il ne faut pas seulement regarder, mais voir, en étant attentif et patient, afin de percevoir la diversité des effets visuels. Selon la distance, l’angle de vue, l’intensité et la nature de l’éclairage, l’œil n’est pas impressionné de la même façon.

Soulages cherche à l’inverse à montrer tout ce que la rencontre du noir et de la lumière peut engendrer, y compris des sensations d’autres couleurs. Il existe alors autant de façons de ressentir, percevoir une des œuvres de l’artiste qu’il existe d’individus.

Si Soulages ne pouvait alors affirmer de façon plus catégorique que la peinture était pour lui une expérience sans fin, ou encore un exercice de style, elle nous laissera éternellement merveilleusement en état de stupéfaction devant ses créations.

Car pour nous, sa peinture était un chemin miraculeux qui menait des ténèbres à la lumière.

 

Pierre Soulages en quelques dates

24 décembre 1919 : Naissance à Rodez

1949 : Expositions au Guggenheim et au MoMA, à New York

1967 : Rétrospective au Musée d’art moderne de Paris

1987-1994 : Conception et mise en place des vitraux de l’église abbatiale de Conques

2009 : Exposition au Centre Pompidou

2014 : Inauguration du Musée Soulages à Rodez

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2022 : mort à Nîmes

Source Le Monde-Le Point

M&B Magazine

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