William Ruto a pris les rênes du Kenya en succédant à Uhuru Kenyatta en septembre. Qualifié de « Hustler (débrouillard) », l’homme de 55 ans a tenté d’ouvrir les portes à la RDC dès ses premiers jours en fonction. Son pays compte sur le marché congolais pour créer un hub financier après l’adhésion, en mai, du Congo dans la communauté des États de l’Afrique de l’Est. Entre la RDC et le Kenya, la nécessité de fortifier le partenariat s’avère primordiale pour les deux parties. Analyse des intérêts convergents de ces deux géants dans les secteurs de l’économie, la sécurité et la diplomatie.
Des investissements à l’assaut du marché congolais
Depuis son adhésion à la CEAC, la RDC n’a pas seulement changé la cartographie de la région. Le pays a surtout chamboulé son potentiel humain en l’augmentant de près de 100 millions de personnes, « un énorme marché pour lequel les économies de la CEAC se bousculent », notait le quotidien kenyan The East African.
En début d’année, Samia Suluhu, présidente de la Tanzanie, avait déjà montré l’appétit grandissant pour ce marché prometteur. « Nous devons construire des rails et trouver des moyens d’acheminer nos produits agricoles vers cet immense marché que représente le Congo », avait-elle déclaré devant le Parlement tanzanien.
Lors d’une visite officielle d’Évariste Ndayishimiye, président du Burundi, Samia Suluhu avait signé un document pour des investissements en infrastructures, estimés à plusieurs milliards de dollars. Une ligne de chemin de fer internationale passant par Dodoma-Uvinza-Uvira jusqu’à Kindu sur plus de 400 km et créer un Corridor central d’évacuation des minerais vers le port de Dar es-Salaam.
Les banques, « l’énorme opportunité »
Quelques années plus tôt, des investisseurs d’un autre pays voisin avaient déjà pris le pas en misant sur la RDC. En décembre 2021, quelques semaines après l’adhésion officielle de la RDC dans l’EAC, le Kenya lançait une de ses premières grandes opérations qualifiées de « la ruée vers l’or en RDC » par le Business Daily.
200 représentants de plusieurs secteurs privés débarquaient pour une série de conférences dans quatre grandes villes du pays : Goma, Kinshasa, Lubumbashi et Mbuji-Mayi, pour « mettre en évidence les opportunités de commerce et d’investissement en RDC » et suivant une vision « conforme au programme des deux gouvernements visant à favoriser le commerce régional et à stimuler la croissance des entreprises en ouvrant des opportunités d’investissement en Afrique orientale et centrale », déclarait Equity Group.
Installé en RDC dès 2015 après le rachat de la banque ProCrédit, Equity a fusionné avec BCDC, pour former Equity BCDC. La RDC intéresse surtout les investisseurs grâce à ses « 11 grands corridors de transport économiques » qui rendent le pays favorable au commerce transfrontalier, région en grande partie desservie par le port kenyan de Mombasa.
Avec ses frontières avec des pays de l’Afrique Australe, de l’Est et Centrale, le Congo a de quoi devenir un carrefour économique important. « Lorsque nous sommes allés en RDC, seuls 4% de la population avaient des comptes bancaires et cela [nous] rappelait le Kenya du début des années 90. C’est l’énorme opportunité que nous avons vue : fournir aux Congolais un accès aux services financiers », avait déclaré le PDG d’Equity Group, James Mwangi à la Kenya Broadcasting Company (KBC).
Avec la barre de 10 milliards de dollars de chiffres d’affaires dépassés en 2020, 10 milliards 406,5 millions de dollars en 2020 contre 8 milliards 519,9 millions de dollars en 2019, soit un taux de croissance de 22,1% selon un rapport de la Banque Centrale du Congo, le secteur bancaire poursuit sa croissance tant vantée.
En avril 2022, la « Kenyan Central Bank (KCB) Group officialisait son entrée dans le secteur bancaire congolais. KCB Group Plc a conclu un accord définitif avec les actionnaires de la TMB pour acquérir une participation majoritaire dans la banque », annonçait le groupe.
Une acquisition à hauteur de 85% qui « s’inscrit dans la stratégie du Groupe KCB de renforcer sa présence à l’échelle régionale », avant que la TMB, avec ses 1,15 milliard de dollars de chiffres d’affaires ne passe sous pavillon kenyan à 100% d’ici fin 2024.
«Ceci fait partie de notre stratégie continue d’exploiter les opportunités de nouvelle croissance en investissant, et en maximisant les rendements des activités existantes du Groupe. Cela nous donne une grande marge de manœuvre pour accélérer nos ambitions de croissance » se félicitait Andrew Wambari Kairo, le Président de KCB Group.
Espace aérien à conquérir et une croissance dynamique
En RDC, voyager est un casse-tête régulier. Au-delà de l’étendue du pays, les billets coûtent cher, très cher. Malgré ces prix souvent décriés, les compagnies d’aviation ne manquent pas de clients. Sauf que depuis plusieurs mois, la situation se tend sur le terrain.
La compagnie nationale Congo Airways, en manque d’appareils, embourbé dans des dossiers de mégestion et des sagas judiciaires, ne dessert plus que quelques villes. La nouvelle compagnie annoncée Air Congo n’a toujours pas fait décoller ses appareils.
Dans ce contexte, Rwandair s’est ouvert au marché congolais. Dès le début de la crise à cause de la guerre à l’Est, le gouvernement de la RDC a suspendu les activités de la compagnie rwandaise. Jambo Jet, filiale de Kenya Airways, compagnie aérienne du Kenya et avec des prix réduits, a lancé des vols vers Goma en mettant en avant le patrimoine de la biodiversité congolaise sur son site internet.
Cette ouverture au tourisme pour la région est un « plan ambitieux pour développer notre réseau, et nous sommes fiers d’être la première compagnie aérienne à bas prix à nous aventurer sur cette route », déclarait le PDG de Jambojet, Karanja Ndegwa, lors du lancement du vol inaugural le 10 septembre.
Kenya Airways quant à lui ouvre la RDC vers des destinations internes ou à l’internationale. La croissance économique de la RDC garde une «forte dynamique» estimée à 6,1% par la Banque Mondiale et à 4,5 pour la Banque Africaine de Développement (BAD).
Les investissements kenyans, l’ouverture de ses corridors vers l’Afrique de l’Est, le tourisme et la perspective de diversification de l’économie du joug minier sont autant de raisons de croire que le partenariat congolo-kenyan s’avère «gagnant-gagnant » pour les deux parties.
Il reste les défis de l’assainissement du climat des affaires, de la construction des routes et de la sécurité. Selon le secrétaire général de l’EAC, Peter Mathuki, « Nous allons voir des gens se déplacer de la RDC vers la région et vice versa, donc l’entrée de la RDC changera la donne en ce qui concerne le commerce intrarégional en Afrique de l’Est », prédisait-il.
Les 11% des importations consommables de la RDC des pays de l’EAC devraient être multipliés par quatre et atteindre les 50%
M&B Magazine