En s’affichant comme le futur champion africain de la transition énergétique, la RDC a mis la barre très haut. Trop haut ? Sur ce dossier, le gouvernement congolais joue sa crédibilité. Les participants d’African Mining Indaba ne manqueront pas d’ailleurs de poser les questions qui fâchent aux représentants du gouvernement congolais. Quelles ont été les promesses ? Quels sont les enjeux et quelle est la véritable situation sur le terrain ? Reportage de nos envoyés spéciaux dans le Tanganyika.
Les promesses du gouvernement Sama Lukonde
Une cinquantaine d’experts venus du Cameroun, d’Afrique du Sud, de Zambie, de RDC et d’Europe ont eu un séminaire en préalable à la création du «Centre Africain d’Excellence pour la recherche et l’innovation sur les Batteries en RDC (CAEB) ». Ce centre, hébergé par l’Université de Lubumbashi, aura pour mission de former les techniciens d’une usine de fabrication de batteries et, à terme, de voitures électriques « made in DRC ».
En novembre dernier, lors du DRC-Africa Business Forum à Kinshasa, la République démocratique du Congo s’est à nouveau positionnée comme LA destination la plus compétitive du monde pour produire des batteries de véhicules électriques.
Le ministre de l’Industrie, Julien Paluku, avait même chiffré le coût d’installation d’une usine à 39 millions de dollars, soit deux à trois fois moins cher qu’aux États-Unis, en Chine ou en Pologne. « Déjà, les banques se bousculent pour préfinancer le projet », avait alors renchéri Jean-Luc Mastaki.
En off, un trader invité se retient pour ne pas se moquer trop ouvertement des « rêveurs qui devraient d’abord s’occuper des pénuries d’électricité avant d’espérer un jour pouvoir fabriquer des batteries ».
Le lithium pour les nuls
Les batteries ; le lithium en est un des composants essentiels. Il peut se présenter sous deux formes : dans les argiles et les saumures de certains lacs salés, sous forme de chlorure de lithium, il est mélangé à d’autres sels de métaux alcalins. C’est le cas dans le lac fossile Salar d’Uyuni dans le sud-ouest de la Bolivie, ainsi que de nombreux lacs en Argentine, au Chili et au Tibet.
En RDC, on le trouve sous forme de Spodumène. Il est incolore, blanc, gris, jaunâtre ou verdâtre. Une fois raffiné et transformé, il devient l’élément clé de tous les matériaux pour la transition énergétique. La transition énergétique.
L’Union européenne, qui s’est fixé pour objectif d’abandonner la voiture thermique en 2035 affiche de nombreux projets d’usines de batteries sur son territoire, mais manque cruellement de matières premières critiques telles que le lithium, même si des projets miniers comme en France commencent à éclore. « L’ambition de l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone en 2050 implique une augmentation de la demande de lithium multipliée par 40. C’est la ressource minérale dont la consommation devrait croitre le plus », observe Yves Jégourel, codirecteur de Cyclope et titulaire de la chaire Économie des matières premières aux CNAM. Ce minerai a d’ailleurs été identifié comme « critique » par la Commission européenne en 2020.
Les deux champions congolais
Deux sociétés se partagent des concessions minières le long d’un couloir de pegmatite de lithium-cæsium-tantale (LCT) de 50 km de long. Un couloir un peu spécial… C’est d’ailleurs selon Robert V., géologue sexagénaire accoudé à l’un des rares bars de Manono, «un scandale géologique encore plus grand que le scandale de toute la Copper belt »
AVZ Minerals
Cette société australienne a contribué à faire la renommée de la petite ville de Manono à 500 km au nord de Lubumbashi à vol d’oiseau en ayant découvert le plus gros gisement de lithium en roche dure en 2019.
Malheureusement pour le Congo, AVZ, un actionnaire de la JV Dathcom Mining, elle-même détentrice du permis de recherche où la ressource en lithium a été prouvée, est embourbé dans une série de litiges.
Ainsi, récemment, AVZ a annoncé que Dathcom obtiendrait un permis d’exploitation, mais vu les imbroglios sur l’actionnariat réel de Dathcom Mining, ce permis n’a toujours pas été délivré. D’autres points litigieux empoisonnent les relations entre les partenaires : la centrale hydroélectrique de Mpiana-Mwanga (appartenant à la Cominière) et le pas de porte non payé (1 % de la valeur du gisement). Avec l’aide de l’IGF, le sulfureux DG de la Cominière vient d’ailleurs d’être remplacé et la société qui gère les intérêts de l’État a désormais choisi son camp contre AVZ. L’affaire, encore en arbitrage, notamment sur la validité des accords et le prix de vente, semble donc très mal emmanchée pour les Australiens. Sur place, comme s’il y avait un lien de cause à effet, les équipes de sécurité sont tatillonnes et il n’a pas été possible de rencontrer des responsables.
Tantalex Lithium Resources Corporation
Même si cette société a, elle aussi, connu quelques déboires, la voie semble désormais plus claire. Le permis d’exploitation des rejets tenu par Minocom Mining SAS, dont elle détient une majorité des actions, va faire de cette junior le premier producteur de lithium en RDC.
La première phase de production va se concentrer sur l’exploitation des rejets de l’ancienne mine de Manono-Kitotolo. Cominière SA, société détenant 30 % de Minocom Mining SAS, supporte entièrement le développement de ce projet qui promet d’être en production rapidement vue la facilité des méthodes d’extraction.
Cette ressource de lithium dans les rejets, bien que plus modeste que la ressource de Dathcom Mining, constitue un véritable petit trésor. Pour ceux qui connaissent STL à Lubumbashi, imaginez 11 montagnes de rejets bourrés de lithium prêt à être processé avec de simples chargeuses.
Le début de la construction de l’usine est annoncé pour juillet 2023. En outre, Tantalex Lithium au travers de sa JV United Cominières SAS détient les droits de recherche sur 2 concessions adjacentes à l’ancienne mine où on trouve déjà des pegmatites. Les forages ont commencé et 20 000 mètres sont prévus sur les 9 prochains mois pour confirmer la présence de ce potentiel de rêve. United Cominière a, en outre, investi dans la construction d’un concentrateur à quelque 40 kilomètres de Manono.
Éric Allard, CEO de Tantalex, nous explique : « Notre usine de concentré d’étain et de tantale aura une capacité de traitement de 130 t/h. Cette usine modulaire pour le minerai alluvionnaire sera la plus moderne et la plus productive de toute la RDC ». Il poursuit : « Nous voulons être un vrai producteur, engagé avec les communautés pour créer de la valeur ajoutée dans la région. » Manono, ce joyau mondial du lithium délaissé par l’État Après l’atterrissage sur la piste en terre, on ne peut que tomber sous le charme de cette jolie citée endormie, née après la guerre de 14-18 avec la mise en exploitation d’un riche gisement de cassitérite par la société Géomine, qui deviendra Zaïrétain.
Jusqu’en 1998, la ville était alimentée par le barrage de Mpiana Mwanga situé à 70 km et possédait même sa propre brasserie ! Après presque 20 ans dans l’obscurité, une centrale solaire de 1 MW a été construite en 2018 et fournit le minimum syndical : de l’électricité dans la journée quand il fait beau… et l’éclairage le soir d’une partie de la ville.
Cette petite ville, plantée de manguiers centenaires, autrefois fierté coloniale, est complètement enclavée. Il n’y a pas de route vers Kalémie, la capitale du Tanganyika et la Gouverneure de la province est donc contrainte d’utiliser l’avion lors de ses rares passages sur le territoire. Les 600 km de mauvaises pistes vers Lubumbashi se font en 17 heures quand la pluie n’a pas encore transformé cette « route nationale » en bourbier.
La population locale survie grâce à l’agriculture de subsistance (Manioc et riz) et l’extraction artisanale d’étain et de coltan. Le Kiluba est la langue parlée par tous. Le swahili n’est parlé que dans les grandes agglomérations et le français, langue nationale, ne vous servira à rien hors de la ville.
L’hôpital, pourtant construit depuis presque 10 ans, vient seulement d’être inauguré par le président de l’Assemblée provinciale, ceci expliquant en partie un niveau de santé publique déplorable et le taux de mortalité infantile dépassant les normes.
Un commerçant dont le « missionnaire » est embourbé depuis 5 heures sur la route nationale résume ainsi la situation : « Comment voulez-vous qu’on ne soit pas découragés ? Regardez ! Ni Zoé, ni la nouvelle gouverneure, ni le gouvernement de Kinshasa n’est capable d’entretenir une simple piste pour nous permettre de survivre…
MB