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Entretien de Noëlla Coursaris Musunka

À l’occasion de la célébration des 15 ans de Malaika, M&B Magazine a rencontré la philanthrope congolaise Noëlla Coursaris Musunka et fondatrice de la fondation Malaika

« Les filles seront les leaders de demain, le moteur du changement au Congo »

À l’occasion de la célébration des 15 ans de Malaika, M&B Magazine a rencontré la philanthrope congolaise Noëlla Coursaris Musunka et fondatrice de la fondation Malaika. Alors que le mois de mars est universellement dédié aux femmes, notre publication est particulièrement heureuse d’accueillir ce grand entretien pour l’immense considération et le respect que suscite le travail de Noëlla Coursaris Musunka, son engagement en terre congolaise, et sa volonté d’oeuvrer pour le pays qui est le sien à travers l’éducation des filles, la durabilité et la transformation dans les communautés.

M&B : Bonjour Noëlla Coursaris Musunka. Qui êtes-vous ?

Je suis une maman de deux enfants, une philanthrope, fondatrice de Malaika, et je siège également dans le conseil d’administration de la fondation l’Oréal et de Amade, l’association de la princesse Caroline de Monaco.

Noëlla est une battante, une guerrière, une personne engagée, passionnée dans tout ce qu’elle fait, une personne qui croit en son pays, en l’émancipation de la jeune fille, mais qui croit énormément dans la construction de la prochaine génération à travers l’éducation. Voici déjà 15 ans que Malaika se développe grâce à une équipe formidable.

Vous êtes congolaise, fortement attachée à votre pays. Comme beaucoup, vous développez cette conscience que le développement  de la RDC doit s’appuyer sur une génération consciente et formée. Et cela vous a donné envie de vous engager pour accompagner  justement la formation d’une génération. J’imagine que c’était l’idée qui a porté l’envie de créer Malaika. Comment a démarré l’histoire ?

L’histoire est personnelle d’abord. Je suis née au Congo, mon père est décédé quand j’avais cinq ans, j’étais fille unique. Ma mère n’avait aucun moyen pour me garder, elle a donc décidé de m’envoyer en Europe pour que je  puisse étudier. Pendant de nombreuses années, je lui en ai voulu, quand je suis venue la revoir 13 ans après, c’était un éveil. Je retrouve mon pays et ma maman qui est une femme exceptionnelle, humble, passionnée, qui a un fond si bon. La découvrir, ça a été vraiment  magique. En même temps, j’ai découvert mes origines, ma culture et mon pays: le Congo est un pays fascinant.

Dans ce que vous dites, on sent qu’il y a une transmission des valeurs qui prend toute sa signification et est incarné dans votre altruisme. Du moins ce que vous ressentez pour les personnes que vous côtoyez dans votre pays. Est-ce cela qui vous donne envie de vous engager ou pensez-vous que c’est un héritage de votre famille ou de votre maman ?

Exactement, j’ai eu une enfance très difficile. Avec le temps, j’ai pu transformer ces souffrances en opportunité pour la jeunesse actuelle. Et aujourd’hui je suis maman de deux enfants, c’est un peu comme si mon histoire se construit avec eux. Mon fils a douze ans, c’est  la 24e  fois qu’il revient au Congo, et ma fille  a 8 ans. Mon mari est anglais, mes enfants mangent le foufou à la  main, ils découvrent leur pays, leur culture congolaise, et m’accompagnent partout dans les villages et à Malaika.

Je suis heureuse de les voir découvrir l’Afrique, le Congo et ses valeurs. Ils ne voient pas la pauvreté du même œil que nous, eux jouent chacun avec les enfants, c’est d’ailleurs mon fils et ma fille qui me conseillent  sur beaucoup de choses. La parole des enfants est extraordinaire. C’est phénoménal de découvrir le pays à chaque fois que je viens avec mes enfants.

Vous réalisez que vous avez votre part à jouer dans la construction de votre pays et vous décidez qu’il faut créer une structure pour prendre en charge une communauté d’enfants et les accompagner à travers le chemin de l’éducation pour leur donner un avenir.  On sait à quel point les jeunes filles sont importantes dans la structure familiale. Qu’en pensez-vous ?

Il y a 15 ans  j’ai créé Malaika, à ce moment les écoles étaient payantes au Congo. Quand  une famille a les moyens, la première chose qu’elle fait est d’envoyer leurs garçons dans un établissement scolaire. Je pense qu’il est très important d’investir dans les jeunes filles, d’où la création de l’académie de Malaika.

Nous avons commencé avec 104 étudiantes (Josiane, Frida, Marceline…) et maintenant nous avons 430 élèves, toutes avec des personnalités différentes et de fortes ambitions. Notre école a été construite par étapes. Elles arrivent toutes à l’âge de cinq ans jusqu’à 18 ans. C’est émouvant de voir nos filles qui évoluent  physiquement, intellectuellement, parce que toutes, je les connais    depuis leur arrivée à l’âge  de 5 ans et maintenant les plus âgées ont 17 ans, en juillet elles seront la première promotion de filles qui quitteront Malaika.

Tous nos programmes à Malaika sont gratuits, par exemple nous leur servons le petit déjeuner et le repas à midi. Le repas nutritionnel est très important, comme notre programme éducatif qui inclut les sujets de base, mais en plus nous apportons une vraie importance sur la technologie comme le « coding ». Quand il y a eu  la crise du covid-19, nos filles ont monté elles-mêmes le 3D printing, elles ont fait plus de 2500 masques chirurgicaux qui ont été distribués à 60 hôpitaux au Congo. Nous diversifions nos programmes avec la musique, l’art et le sport. Nos filles ont gagné plusieurs compétitions de tennis en jouant à Lubumbashi, en Zambie… Certaines sont sélectionnées pour intégrer des équipes de football, elles sont émancipées à travers tous les cours que nous leur offrons ainsi que les opportunités qu’elles ont.

Elles seront les leaders de demain, le moteur du changement au Congo. Elles vont apporter leur première pierre. Tant de rêves elles veulent être journalistes, chimistes, footballeuses, ingénieures, responsables d’ateliers mécaniques.. Si elles n’étaient pas à Malaika, parce que nous travaillons dans une zone rurale, la plupart d’entre elles seraient déjà mariées ou enceintes.

Pour nous c’est très important d’avoir une génération qui est consciente de ses valeurs. On ne peut pas être un leader sans avoir des valeurs. Les leaders d’aujourd’hui ont érigé ces valeurs de la compassion, ce sont des dirigeants qui souvent sont « out of the box », qui ont une dimension humaine qui fait d’eux de grands leaders.

Nous étions  en train de parler de cette première  génération de jeunes filles. Dites-nous-en un peu plus sur Malaika.  Le programme éducatif, le sport également qui prend une large part dans les activités scolaires. Et quels sont les projets que vous avez mis en œuvre avec votre communauté au sein de l’école ?

En 15 ans, Malaika est devenue un écosystème qui peut être dupliqué. En septembre dernier, durant la semaine de l’ONU à New York, nous avons eu l’honneur de présenter le blueprint, qui est le guideline de Malaika. C’est-à-dire que nous avons partagé notre modèle de réussite, nos challenges, notre gouvernance…d’ailleurs, nous avons le plaisir d’accueillir  en  mars  à Kalebuka  une organisation qui veut s’inspirer du modèle de Malaika et construire un de nos programmes au Bénin. Ce guide ainsi que les vidéos conçues à cet usage peuvent être téléchargés, ou bien on peut faire une visite sur site, appuyés par des meetings avec notre management local.

Malaika, est une école qu’on a construite et qu’on manage, un centre communautaire qu’on a bâti et qu’on dirige.  Les classes techniques, le terrain de sport, 28 puits d’eau que nous avons construits dans  différents villages  au Congo. Pourquoi les puits d’eau? Parce qu’avant même la construction de l’école, Kalebuka n’avait quasi pas accès à l’eau potable, un accès limité à l’électricité, les routes n’étaient pas accessibles. Nos puits d’eau impactent plus de 40 000 personnes par an.

À propos du centre éducatif communautaire,  quand la FIFA a décidé en 2010 de faire la world cup en Afrique du Sud, ils ont décidé de faire 20 centres communautaires en Afrique et nous avons été le 19e centre communautaire qu’ils ont choisi, le seul au Congo. C’est génial parce que ce sont des programmes de sport pour le bien, pour le social, et en même temps,  nous avons une jeunesse, de jeunes parents, de jeunes adultes qui viennent apprendre la digitalisation, ils apprennent à lire, à écrire, la couture, mais aussi l’hygiène de vie.

Mais la demande est tellement forte que nous avons développé d’autres constructions, nous avons plus de 5000 personnes par an qui viennent étudier à notre centre communautaire, nous avons notre propre agriculture de ferme, où nous enseignons aussi l’agriculture organique aux jeunes, l’agriculture bio. L’année passée nous avons lancé des classes techniques avec la fondation Caterpillar et Congo Equipment en mécanique automobile d’engins lourds et électricité de bâtiment, dédiée aux élèves de 17 à 35 ans.

Mes rêves seraient de faire la plomberie, la menuiserie, la charpente. On a besoin des compétences spécifiques, un excellent plombier, mécanicien, menuisier….De les orienter sur le marché économique. On espère que nos jeunes qui sortiront de nos centres techniques auront la chance de trouver du travail dans des compagnies minières, dans des compagnies techniques, des compagnies de construction, etc.

Donc, l’écosystème de Malaika c’est l’école,  le centre communautaire, les classes techniques, les solutions qui viennent de l’accès à l’eau, l’agriculture, et tout ce qu’on fait autour. On a distribué plus de 14 000 moustiquaires, plus de 10 000 ballons. Ce sont  des projets incroyables qui ont un impact direct,  et 80% de nos donations vont aux programmes. Malaika c’est ma manière de contribuer à mon pays et à mon continent tout ce que j’ai reçu, tout ce que je suis, et je ne prends aucun salaire de Malaika.  Malaika a le privilège de travailler avec des partenaires incroyables de tous les 4 coins du monde au fil des ans  pour  soutenir le Congo  et nous sommes conçus d’une équipe exceptionnelle.

Pour ceux qui ont eu la chance de voir le début de Malaika, le résultat au bout de 15 ans est impressionnant, l’explosion du projet et surtout son impact pour la communauté. Dans 10 ans, cela fera une génération des Congolaises et des Congolais, comment voyez-vous votre pays, son développement ? Quel état des lieux faites-vous, quel est votre sentiment ?

Beaucoup de choses ont été accomplies, mais il y a encore tellement de travail à faire. Je pense qu’il faut continuer à changer  le « mind set ».  Il y a une jeunesse incroyable, qui ne s’arrête jamais. On dit que New York et Londres ne dorment jamais, mais moi, je pense qu’il faut ajouter le Congo. Les mamans sont là, en train de vendre leur charbon, les légumes ; les papas sont là, ils sont taximen, etc.

Ce sont ces populations qui en veulent. Je pense que notre rôle est de faire en sorte que ces résidents méritent un meilleur Congo, en particulier dans l’investissement de l’éducation, de la technologie, des infrastructures, de l’eau, de l’électricité. Elles méritent qu’on soit toujours là et qu’on travaille pour que le Congo devienne ce géant en Afrique, qu’il ait sa place, sa dignité, et devienne cette vitrine que le pays mérite.

On est fier d’être Congolais, on doit enseigner notre histoire dans les écoles, l’histoire du Congo, on doit faire apprendre l’histoire de l’Afrique et de ses héros, l’histoire de Mandela, de Steve Biko,  de Lumumba, tous ces nationalistes qui se sont battus pour nous,  etc.

Dans 10 ans, beaucoup de nos jeunes vont sortir de Malaika, ce seront nos ambassadeurs, ils auront des jobs clés dans cette société, dans ce Congo. Je me réjouis de les voir à des postes importants, mais aussi de les voir changer leur pays, mais aussi leurs communautés. Finalement, on n’oublie jamais qu’on pousse tout le monde à des carrières, à avoir une place dans des sociétés, mais il faut aussi être heureux avec soi-même, c’est très important.

Nous vous avons vu dans plusieurs publications, plusieurs spots, dans les campagnes. Parlez-nous de la manière dont vous financez votre fondation parce que c’est l’art de la guerre si vous me permettez cette expression.

Après le Covid-19, la guerre en Ukraine, et en ce moment, nous vivons une grosse crise économique,  les donations sont vraiment en baisse, ce n’est pas facile, et il y a  énormément de fondations dans le monde.

Pourquoi les gens donnent à Malaika ? Beaucoup de personnes sont venues à Malaika, des donneurs individuels, ainsi que des fondations. Ils sont restés très attachés à la mission de Malaika et ont été impressionnés par notre travail, notre passion. Nous avons emmenés à Kalebuka, la fille de Muhammed Ali – Khaliah Ali, mais aussi la chanteuse Eve qui est une de nos Ambassadrices, CNN, Fally Ipupa, Innocent, la CEO de Caterpillar, Lokua Kanza et tant d’autres sont venus  à Malaïka et faire aussi du volontariat.

J’aimerais que Malaika soit reconnu par sa legacy, et toutes ces étoiles de Malaika. Je veux que les gens soient attachés à ce qu’on fait et continue de contribuer, à ce changement qu’on est en train d’amener. Nos donations sont récoltées par des donations individuelles, des donneurs locaux, internationaux, des fondations, des compagnies, et aussi par des partenariats avec quelques marques de modes.

La mode a changé, elle a évolué, c’est beaucoup plus inclusif. Ils ont besoin d’égéries qui ont un message, mais aussi des personnalités qui font des actions. Par exemple, l’année passée j’ai été choisie pour la campagne Piaget, magnifique campagne qui a mis en avant le mentorship avec nos étudiantes. J’ai aussi travaillé par exemple avec la marque Roksanda, une femme  exceptionnelle, une architecte qui est devenue designer. Tout le design du set de la séance photo était créé par nos élèves. On a choisi la collection ensemble qui a été vendue sur Outnet une plateforme en ligne. Un certain pourcentage a été versé à Malaika pour nos programmes.

J’adore travailler pou la mode, mais pour créer, choisir la collection qui va sortir, créer la campagne. Il arrive aussi que plusieurs égéries fassent partie de  la campagne. Ce sont des messages forts à propos de l’éducation, de l’émancipation de la femme, de la voix de la femme, mais aussi de l’unité.

Quel message adressez-vous aux donateurs potentiels ?

Il y a tellement de façons que vous pouvez contribuer à Malaika et surtout continuons à travailler ensemble pour le Congo, pour l’Afrique dont nous rêvons tous ! Que ses enfants puissent  y vivre et y élever leurs enfants avec dignité. On parle beaucoup des minerais du Congo, mais la plus grande richesse c’est le capital humain, surtout le capital de la jeunesse d’aujourd’hui qui est exceptionnel.

Venez visiter Malaika à Kalebuka, offrez vos différentes compétences à travers du volontariat. Nous organisons chaque mois le Malaika Talk, ou nos invités parlent de leur carrière, leurs challenges, leurs succès, et c’ est une de nos étudiantes qui modère la conversation. Vos donations sont les bienvenues, en nature ou financièrement. Chaque année en septembre c’est la rentrée scolaire, on a toujours besoin de fournitures scolaires. Sponsorisez l’une de nos étudiantes à l’école ou l’un de nos programmes vocationnels, de sport, de stem où tout simplement faites une donation sur le site internet, ou faites un  marathon pour récolter des donations.… Il y a tant de façons d’aider et nous sommes toujours à l’écoute si vous avez des idées.

 

Entretien recueilli par Marie-Aude Delafoy – Lubumbashi août 2022

 

Contactez Malaika: [email protected] – –   www.malaika.org

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