Bonjour Rodolphe Kembukuswa, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 59 ans, dont 33 dans le Groupe Bolloré que j’ai intégré dès la fin de mes études universitaires. Je dirige depuis cinq ans le Katanga. Auparavant, j’étais en poste à Anvers, Kinshasa, Kigali, Dar es Salam et dans l’Est du Congo.
En mars 2022, le groupe Bolloré Transport & Logistics a conclu un accord avec le groupe suisse MSC pour la cession de ses activités de transport et de logistique en Afrique. De votre point de vue, quels seront les bénéfices de ce changement de propriétaire pour votre portefeuille en RDC ?
Pour ce qui concerne la RDC, il y aura une adaptation nécessaire dans un premier temps par rapport à nos activités actuelles car MSC , 1er armateur mondial , n’est pas installé en propre en RDC ou ne l’était pas , en tout cas , au moment de la cession qui a eu lieu en décembre 2022. En ce qui concerne notre entité, nous adosser à un armateur majeur devrait nous amener un boost en termes d’investissement dans la région, du moins je l’espère ,ainsi qu’ apporter dans le cadre de nos secteurs d’activité habituels, une valeur ajoutée claire, que ce soit pour le clearing forwarding, mais également pour le développement que nous attendons dans le cadre de Supply chain en RDC. Je pense essentiellement à un upgrade des entrepôts, qui nous permettront d’optimiser la gestion de stock et d’amener de la valeur ajoutée pour nos clients miniers et également des infrastructures et des moyens de manutention. Je pense que ça sera un plus évident par rapport à nos activités et cela nous permettra de toucher certaines zones de la logistique que nous ne touchions pas nécessairement auparavant.
Le chemin de fer de Benguela sera bientôt ouvert au secteur privé, l’exploitation et la maintenance de l’infrastructure ferroviaire et du transport ferroviaire de marchandises doivent être concédées au consortium de gestion du corridor de Lobito. Premièrement qu’en pensez-vous et ensuite en quoi cette « nouvelle route » peut « changer la donne » de vos activités dans la région Sud de la RDC ?
Pour répondre à une partie de votre question, c’est un projet qui est maintenant concrétisé. Il y a un consortium qui a reçu cette concession des autorités angolaises afin de développer le corridor de Lobito pour 30 ans, avec 20 ans d’extension éventuelle.
Ce consortium est constitué par Trafigura, Mota-Engil et Vecturis qui en sera l’opérateur ferroviaire . Je pense que nous verrons les premiers développements significatifs au cours de l’année 2023. Pour nous, c’est très important parce que cela apporte une alternative aux énormes problèmes de logistique et transport que nous avons dans la région, ce qui n’est un secret pour personne.
Le volume de transport routier à l’heure actuelle et les infrastructures en place, notamment les postes frontaliers de Kasumbalesa ne permettent pas de rendre un service efficace et fluide dans les mouvements des marchandises. Ce corridor additionnel contribuera à réduire la pression sur des postes frontaliers comme celui de Kasumbalesa. Nous sommes en période de mutation et de transition écologiques , je dirai donc que le transport ferroviaire est la solution qui s’impose pour le transport des marchandises comme les minerais ou les matières premières pour l’industrie minière. Il est quand même assez perturbant de voir que la plupart de ces mouvements se font toujours par la route alors qu’il existe dans la Sous-Région un maillage ferroviaire sous- exploité . D’un point de vue écologique, c’est évidemment une solution qui ne peut être que positive.
D’après les informations en ma possession , ce corridor de Lobito est amené à devenir le troisième corridor d’Afrique Australe à l’horizon 2050 . C’est un corridor qui existe depuis très longtemps pour les flux du Katanga et de la Copperbelt , mais qui avait été interrompu durant la guerre civile angolaise. Ce corridor devrait être rendu pleinement opérationnel dans les années à venir. La seule chose qui nous préoccupe nous, en tant qu’opérateurs congolais, c’est qu’en fait, la concession ferroviaire entre Lobito , sur la façade Atlantique angolaise , et la RDC s’arrête à Luao qui est la frontière avec la RDC et le poste frontalier de Dilolo. Il reste encore environ 425 kilomètres de voie ferrée en mauvais état sur le tronçon congolais. Il sera primordial pour l’opérateur ferroviaire de cette concession du chemin de fer de Benguela d’obtenir de la SNCC les accords nécessaires pour , d’une part contribuer à la réfection des infrastructures côté congolais, d’autre part , organiser les transferts en termes de matériel roulant entre les deux entités. Si nous résolvons ce problème du tronçon congolais, je pense que ce sera un corridor qui va contribuer à désengorger les postes frontaliers actuels, mais aussi nous permettre d’organiser les mouvements des volumes qui sont en croissance constante du côté de la RDC, ainsi qu’éventuellement établir une connexion avec le réseau zambien via Lubumbashi et Sakania.
C’est donc un dossier que nous suivons de près et je pense que désormais, nous sommes dans la réalité concrète , sachant que les mois qui viennent vont être décisifs. Les grands opérateurs miniers du Katanga se sont déjà prononcés très favorablement pour ce projet et pour eux aussi, il s’agit d’ouvrir un autre corridor pour avoir moins de dépendance vis à vis des flux habituels, soit de Dar es Salam soit de Durban. Vous voyez donc que c’est très important.
En relation avec l’acquisition par l’armateur MSC de nos réseaux africains, les développements que ce corridor ferroviaire entraînera pour la région Katanga /Copperbelt sont très importants, car il s’agira d’un trafic conteneurisé. C’est donc une opportunité phénoménale pour nous de pouvoir nous adosser avec le premier armateur mondial dans le cadre de projets de développement des corridors d’Afrique australe et orientale pour permettre de résoudre les challenges logistiques et d’infrastructure qu’entraineront immanquablement les prévisions d’accroissement considérable des volumes dans la Région dans les 10 années à venir et au-delà …
La Zambie et la RDC projettent des travaux de construction sur la route stratégique Kasomeno-Kasenga-Mwenda en août 2023. À quel point une infrastructure routière de haut niveau reliant la RDC à ses voisins dynamiserait-elle l’économie congolaise ?
Je dirai une fois de plus que c’est positif puisqu’il s’agit d’ une nouvelle voie de sortie qui pourrait s’ouvrir pour les flux Katanga , même si nous rejoignons le Corridor de Dar es Salam au final tout en réduisant le mileage de plus de 300km …. Je crois que le plus grand problème que traverse l’économie congolaise, en particulier dans sa partie sud, c’est le problème d’évacuation de sa production des minerais à travers un seul poste frontalier, qui est celui de Kasumbalesa. Je parlais tout à l’heure de la congestion récurrente qu’on peut y constater. On avait 80 kilomètres de queue du côté zambien il y a de cela quelques semaines et même si ça a été plus ou moins réduit, on tourne toujours autour de 40 à 50 kilomètres actuellement , c’est donc un véritable entonnoir dans les deux sens.
Le but de la RDC est effectivement de multiplier ou en tout cas d’avoir des sorties alternatives , qui permettent le désengorgement des axes routiers actuels qui sont totalement saturés. On peut penser au poste frontalier de Sakania avec ses installations du port sec et la rénovation de l’ axe routier d’environ 150 kilomètres entre Sakania et la route de Kasumbalesa. Mais une fois de plus , il faut que les initiatives prises en terme d’infrastructure le soient de façon conjointe avec les pays limitrophes pour qu’une réelle amélioration dans la fluidité des volumes puissent être constatée.
La route de Kasomeno dont vous parlez sera un autre point de sortie éventuel à l’instar d’autres dont on parle beaucoup comme à Solwezi entre le Lualaba et la Zambie, on parle également de la réhabilitation du poste de sortie de Kipushi. Là, nous parlons de transport routier et on essaie d’avoir des voies alternatives au goulot d’étranglement que constitue Kasumbalesa . Il est essentiel que des initiatives comme celles-là puissent être menées à bien. La route en question de Kasomeno permettra de réduire environ 300 kilomètres de routing entre Kolwezi, Lubumbashi et Dar es Salam par rapport à l’itinéraire actuel et surtout contribuera à désengorger Kasumbalesa de facto .. Pour la suite, je suis évidemment convaincu que ces axes routiers qui sont maintenant mis en place ou réhabilités , contribueront clairement à développer et à permettre l’évacuation des volumes que nous attendions des années futures pour la RDC. Comme dit précédemment , il est impératif que les initiatives soient bien coordonnées des deux côtés de la frontière mais les intérêts et la notion de priorité ou d’’urgence peuvent ne pas être perçus de la même façon par les gouvernements et entités administratives des pays respectifs . On parlait de Sakania ou effectivement les infrastructures sont impressionnantes du côté congolais. Par contre, absolument pas du côté zambien. Donc, c’est bien d’avoir des capacités de réception des camions, d’entreposage, etc. d’un côté de la frontière. Mais si de l’autre côté on n’a pas mis les infrastructures à niveau, je crains alors qu’on se retrouve à nouveau face à un goulot d’étranglement du côté zambien. Il faut savoir que la route Sakania-Ndola qui ne fait qu’une vingtaine de kilomètres est dans un état catastrophique et surtout, il n’y a pas de parkings de réception côté zambien qui puissent satisfaire les flux congolais.
Revenons à African Global Logistics, quel avenir pour votre nouvel actionnaire sur le terrain congolais et dans la région ?
Pour ce qui concerne la RDC en général, il lui faudra à présent intégrer Kinshasa et la façade occidentale de Matadi, Boma et Muanda avec ses activités shipping .Là, il y aura évidemment un changement notoire puisque MSC, notre nouvel actionnaire, a inséré Pointe Noire dans son service West Africa pour les vaisseaux- mères et a lancé un service de feeder desservant la RDC depuis Pointe-Noire en Février. C’est un service de feedering hebdomadaire appelé à changer la donne pour ce qui est du développement de MSC en RDC puisque cela va créer du trafic MSC sur le périmètre Matadi – Kinshasa, avec la création à terme d’ agences maritimes MSC sur place pouvant compter sur notre implantation de longue date à travers le pays pour ce qui est des activités de clearing forwarding et de logisticien .
Pour nos agence de l’Ouest c’est donc une nouvelle dynamique qui s’annonce avec l’arrivée de flux MSC dans leur périmètre qui devraient booster leurs activités .
En ce qui nous concerne pour la partie Sud ( ainsi que la partie Est ) , la même organisation restera en place puisque MSC ne sera pas présent en propre. Comme je l’ai dit au début de l’interview, cette acquisition nous offre quelques belles perspectives en terme d’investissements en vue de l’’accompagnement de notre développement dans la région Sud , ayant à l’esprit des volumes en croissance qui devraient atteindre 3 millions de tonnes pour le cuivre et le cobalt l’année prochaine et vraisemblablement plus de 4 millions de tonnes d’ici 2030 .Cela montre un potentiel de développement et de croissance très significatif et voilà pourquoi un armateur comme MSC doit être présent sur un territoire comme celui-ci. Pour ce qui est de la problématique du transport des minerais, l’importance du développement du trafic conteneurisé par rail attendu , représente également un intérêt majeur pour un armateur comme MSC et justifie sa présence sur ce périmètre , en dépit de sa situation enclavée .
Dans un futur proche, l’acquisition par MSC nous permettra probablement de développer nos activités en lien avec le shipping localement de façon plus étroites . Je crois réellement que les volumes dont on parle pour cette sous-région sont des leviers de croissances énormes pour toutes les activité liées de près ou de loin à la logistique et si les challenges sont énormes , contribuer à les relever dans les années à venir n’en est que plus intéressant !
Exergue
Les volumes en croissance devraient atteindre 3 millions de tonnes pour le cuivre et le cobalt en 2024 et vraisemblablement plus de 4 millions de tonnes d’ici 2030
Interview recueillie par Marie-Aude Delafoy pour M&B – Lubumbashi, 13 mars 2023.
Photos @Photo.AfricaInside