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Interview de GUY-ROBERT LUKAMA, PCA de GECAMINES

53 ans, économiste de formation, banquier par passion et minier par accident, mais un accident qui dure, car Guy Robert LUKAMA est dans le secteur minier depuis plusieurs années. Congolais dans l’âme, attaché à son pays avec un désir profond de le voir prospérer, il a accordé́ un entretien exclusif à Mining and Business Magazine.

53 ans, économiste de formation, banquier par passion et minier par accident, mais un accident qui dure, car Guy Robert LUKAMA est dans le secteur minier depuis plusieurs années. Congolais dans l’âme, attaché à son pays avec un désir profond de le voir prospérer, il a accordé́ un entretien exclusif à Mining and Business Magazine.

Quelle est votre histoire avec Gécamines ?

C’est une longue histoire. Le premier contact, c’était lors de ma première visite à Likasi et Lubumbashi pour la Gécamines dans le milieu des années 80. Mon père a dirigé la Gécamines Développement et a été Directeur financier de Gécamines Holding. Ce fut un choc pour moi de voir une entreprise industrielle, et à l’époque de découvrir des villes différentes de Kinshasa, bien structurées, de voir les gens qui éprouvaient une fierté de travailler pour cette entreprise. Toute la vie du Shaba tournait autour de la Gécamines, cela m’a donné la volonté d’en faire partie et me donne aujourd’hui une motivation toute particulière pour redresser cette entreprise qui a subi les difficultés que nous connaissons à partir des années 90

Le second contact, c’était dans mon métier de banquier. J’ai travaillé à la Belgo-congolaise, qui avait une relation consubstantielle avec la Gécamines. À ce moment-là, la Gécamines était déjà en très mauvais état et je fais partie de cette équipe avec quelques banquiers, qui a travaillé pour essayer de sauver la Gécamines, l’accompagner dans ce moment difficile pour protéger ses actifs à travers le monde et surtout lui permettre de continuer à fonctionner jusqu’au moment où des bailleurs de fonds et l’État ont commencé à intervenir pour lui donner une chance de redémarrer de manière un peu plus durable.

C’est en quelle année ?

Entre 1999 et 2004, j’ai été très impliqué dans le financement de la Gécamines. Son outil de production était quasi obsolète, mais au regard du potentiel des gisements et de remblais et de minerais disponibles, on savait qu’un début de transformation allait générer des revenus qui permettraient, a minima, de couvrir ses charges. On a été́ assez créatifs pour l’époque, nous avons été les premiers à construire des relations commerciales sécurisées qui ont permis à l’entreprise de survivre, bien avant que des partenariats soient noués dans le cadre du code minier.

Selon vous, pourquoi le Chef de l’État vous a nommé avec autour de vous ce que certains ont appelé un casting XXL ?

Vous comprendrez qu’il est difficile pour moi de me prononcer sur le choix discrétionnaire du Chef de l’État. En revanche, le Président de la République a la ferme intention de voir une Gécamines forte, qui se redresse, qui sort de la gabegie et qui demeurera le bras séculier de l’État dans le secteur minier. Je crois que le Chef de l’État a donc voulu assembler une équipe resserrée et dédiée au redressement de l’entreprise.

Pourriez-vous nous présenter votre équipe ?

Cette équipe est dotée de compétences et de caractères complémentaires, nécessaires à notre mission. Je remercie le chef de l’État d’avoir permis de fédérer des compétences techniques, bancaires, financières, managériales, et d’avoir réuni toutes les conditions pour créer de la valeur à Gécamines et ne plus se contenter de l’objectif réducteur d’être un producteur comme avant, dans un monde qui n’est plus celui d’avant. Notre objectif aujourd’hui est d’insuffler une nouvelle dynamique aux différentes strates de l’entreprise et d’apporter la preuve que la gestion et l’ambition de l’entreprise peuvent et devront être différentes de celle du passé, tout en respectant sa culture et son objectif de servir le pays en valorisant ses ressources naturelles.

Donc, qui vous entoure ?

J’ai le grand plaisir de travailler avec une équipe que je connais. Notre Directeur Général, Placide Nkala Basadilua, était jusqu’à présent Directeur Général adjoint de Kamoto Copper Company (KCC), pour le compte de Gécamines après avoir eu une riche expérience auprès de la Primature en matière d’amélioration du climat des affaires. La Gécamines lui est reconnaissante du travail abattu pour défendre son point de vue dans le cadre de notre partenariat avec Glencore, KCC.

En tant que DG, il a la charge de la supervision de tout le fonctionnement interne de l’entreprise et de la mise en œuvre de la stratégie qui sera décidée par le Conseil d’Administration.

Par ailleurs, nous avons désormais deux DGA, pour diriger deux grands pôles du développement de Gécamines. Le premier, c’est le pôle des finances et des participations. Il était plus que nécessaire de donner la place qui revient aux partenariats, qui constituent à ce jour l’essentiel des revenus de l’entreprise. Jacques Masangu, DG adjoint dirigeait la Direction des Participations de la Gécamines jusqu’à sa nomination. Il a une expérience bancaire et minière dans des entreprises internationales de grand renom. Le Président a voulu marquer qu’en sus de la production aujourd’hui résiduelle, il était temps d’optimiser les revenus et dividendes générés par les participations et d’assurer une meilleure allocation des ressources. Il est aussi demandé à cette nouvelle DGA d’avoir une attention soutenue sur la commercialisation des productions de nos partenariats dont nous sommes en moyenne actionnaires à hauteur de 30%.

La deuxième DGA est celle des mines et de la production. Par le passé, le grand chef de la Gécamines était le directeur technique, donc de la production. À plus de 400 000 tonnes par an, cela pouvait se justifier. Cependant aujourd’hui, le doute est permis. Nous nous devons de revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire d’abord remettre à l’honneur la géologie pour permettre le retour à une production pérenne et de qualité. Ludovic Monga, ancien Directeur de la géologie de l’entreprise, est donc désormais élevé à la DG adjointe en charge des Mines et de la Production, que nous allons revisiter et reconstruire graduellement, lorsque nous aurons reconstitué le coffre-fort géologique de l’entreprise qui est aujourd’hui purement potentiel.

J’ai une affection particulière pour ces deux jeunes collègues, car en 2018, dans mon rôle de Chief transformation officer, j’avais contribué à les identifier pour être respectivement les patrons des participations et de la géologie.

En tant que Chef de la Transformation à partir de 2018, vous connaissez donc très bien l’entreprise, en quoi justement cela va-t-il influencer votre mandat ?

Je sais à quel point, cette entreprise a besoin d’évoluer en matière organisationnelle, mais aussi combien cela est difficile de conduire ce changement dans un contexte d’une entreprise dont toutes les réformes ont été inachevées et uniquement portées sur la réduction du personnel. La résistance au changement liée à la Transformation s’est nourrie des atermoiements des Directions successives alors que les ouvriers et les agents en attendaient beaucoup.

C’est en tout cas une des plus belles expériences de ma carrière professionnelle. Je m’explique : l’obsolescence de l’outil de production est avérée, mais c’est surtout l’anachronisme, l’archaïsme de l’organisation qui est encore plus pénalisant. La société est restée sur des principes qu’elle avait adoptés alors qu’elle était en monopole. L’essentiel des actifs qui ont conduit à sa structuration a quitté le portefeuille de Gécamines.

 

La grande majorité des gisements qui ont fait la fierté de la Gécamines n’appartiennent plus à 100% à Gécamines. Mais l’organisation, la conception du travail, les jobs descriptions, les relations d’un site à un autre sont basées sur le fait qu’ils sont toujours dans le portefeuille de la Gécamines, alors qu’ils ne le sont plus. Nous nous comportons comme un mastodonte alors que nous sommes devenus en taille bilantaire une grosse PME. On a vécu dans l’illusion et maintenant il faut progressivement atterrir. La chose la plus importante que j’ai apprise, c’est qu’il fallait se moderniser. J’ai appris qu’il y avait souvent la résistance au changement, j’ai découvert qu’il y a des gens compétents, disposés à travailler, mais qui n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer et de contribuer à la création de valeur. Il y avait une bureaucratie, des règles procédurales qui n’ont jamais permis l’accès à la formation, la reconnaissance de l’ancienneté. Personne n’a pu véritablement s’exprimer librement, voire contribuer à une réflexion profonde pour changer la manière de procéder.

 

On a dû recourir à un expert extérieur, Ernst and Young, qui a fait un diagnostic objectif et qui a pris des benchmarks pour nous comparer avec les meilleurs standards congolais, africains et internationaux. C’était assez disruptif pour ceux qui ont vécu dans le confort, bien que conscients que ce système ne générerait pas les revenus qui couvriraient leurs salaires… La Gécamines et son actionnaire avaient peur de sortir de leur zone de confort.

C’est-à-dire ?

Ne rien faire menait à une mort lente, mais certaine. Il était temps de se ressaisir. Les gens comme Jack et Ludovic viennent de là. Je crois qu’il y en a des milliers dans Gécamines, de tous âges, qui sont prêts à contribuer à ce que Gécamines redevienne un opérateur minier de qualité. Beaucoup de salariés sont disposés à contribuer à un changement progressif. Bien que le mot « transformation » soit devenu tabou, l’entreprise ressent une nécessité radicale de changement. Pas uniquement l’organisation, mais aussi sur la manière de produire et de générer des revenus.

Nous nous sommes inspirés de certains modèles de réussite en Afrique, comme l’OCP au Maroc qui est passé d’un Office public de mines de phosphate à un champion mondial dans les engrais et fertilisants. Ça se passe en Afrique, il y a eu une volonté politique. Nous avons un Président de la République qui pense qu’on peut arriver à transformer Gécamines en champion minier de la transformation au-delà de la métallurgie. L’ambition est de créer un champion de la valeur ajoutée tirée des ressources naturelles par une transformation poussée en République Démocratique du Congo. Transformer localement nos ressources naturelles ne doit plus être un tabou surtout à l’ère de la transition énergétique.

Je crois que nous sommes capables de le faire et surtout de persuader l’actionnaire, les employés, les faire adhérer à la compréhension de notre environnement. Cela passera par une période peut-être difficile, mais créatrice de valeur durable.

Vous avez donc été CTO, mais aussi, Administrateur de Gécamines. Quels enseignements allez-vous en tirer en tant que PCA maintenant ?

Je crois que c’est la période la plus « challenging », je vous explique. Bien que déterminés à effectuer un changement profond, le constat après coup, est qu’on n’a pas été au bout de la démarche. Nous n’avons pas été suffisamment unis et alignés au plus haut niveau sur le besoin de changement pour l’impulser de manière irréversible. Résultat, l’année dernière, nous avons vécu l’année de tous les paradoxes. Nous avons fait le plus grand chiffre d’affaires depuis les années 90 grâce aux revenus des partenariats qui ont vécu une année exceptionnelle, tirée par des cours des métaux stratosphériques, mais en interne on a vécu la plus petite production de tous les temps.

Ma plus grande peine, c’est qu’in fine nous avons presque donné raison à ceux qui avaient préconisé dans les années 2000 que Gécamines ne soit plus qu’une holding, collectrice des revenus des participations et cédant ses actifs sans implication dans leur gestion. Notre objectif à court terme est de redresser la Gécamines, d’en refaire un opérateur minier, mais surtout d’en faire un opérateur industriel intégré. Si nous nous lançons dans cette activité minière, c’est parce que nous sommes en mesure d’en tirer une valeur ajoutée et de mettre cette production au service d’une plus vaste ambition. La production ne doit plus être le seul indice de performance.

Mais à quel coût ? De quelle manière ? Surtout pourquoi faire ? Si on annonce les batteries, on doit être partie prenante. On ne va pas laisser dire que parce que la mode est au cobalt qu’on peut se contenter de produire des cathodes de cuivre. Non. Nous voulons démontrer au Gouvernement que la transformation de tous ces métaux ne doit pas se limiter à l’étape cathode. Rêvons ! Rêvons en chaque jour, battons-nous pour que ça devienne une réalité durable. Nous voulons réussir et je crois que nous en sommes capables.

Vous n’avez pas le choix !

Oui, et ce n’est pas nécessaire qu’on ait 6 000 employés. Ce n’est plus justifié aujourd’hui. On doit tous se ressaisir, ce n’est pas l’affaire du Conseil d’Administration. La réussite de la Gécamines est le problème de chaque gécaminard. Et pas seulement des gécaminards, mais également de chaque citoyen congolais, en particulier ceux qui vivent, qui font partie des communautés avoisinantes de nos opérations et de celles de nos partenariats. On doit réfléchir différemment. Comment avoir les sous-traitants locaux pour que la richesse percole ? On ne doit pas avoir de tabou. Le bon exemple c’est la Société du Terril de Lubumbashi, STL, qui a dit stop à l’exportation de l’alliage et dont le fonctionnement est celui d’une entité autonome dans sa gestion. STL a fait un investissement qui lui permettra à partir de septembre prochain d’extraire la valeur de son Terril de manière plus optimale et de ne plus nous contenter d’exporter des concentrés. Cela fera notamment de nous un des producteurs prépondérants de germanium dans le monde. Nous devons nous inspirer de son modèle pour autonomiser la gestion de Gécamines, responsabiliser nos business unit ou nos filiales et leur donner des mandats clairs et sanctionner positivement ou négativement leurs performances.

Vous êtes en poste depuis 3 mois, quel est l’état de la Gécamines ?

Au lendemain du Conseil d’Administration qui vient d’arrêter les comptes, comme je disais, c’est l’année de tous les superlatifs. Une des plus belles années, si on regarde les revenus générés par la Gécamines, et la pire année quand on regarde la production. On n’a jamais atteint ce niveau-là. Je n’ose même pas vous citer les chiffres, tellement c’est disproportionné par rapport aux 450 000 tonnes qui ont été produites sous la 2e République. Cependant, on ne va pas se contenter de geindre. On a remarqué qu’on avait encore un potentiel et un portefeuille de gisements importants en nouant des partenariats de plus en plus grands avec des entreprises de rang international. Je crois que nous consolidons notre crédibilité en termes de management. Avec cette équipe que vous appelez XXL, vous verrez les grands acteurs de l’industrie revenir et dire « On va oser le Congo ». D’autres se diront, qu’il est peut-être judicieux de produire du lithium avec la Gécamines. Il existe un foyer de compétences, une volonté d’aller maintenant à des valeurs plus grandes. Nos standards de pratiques sont assez proches de ce qui se fait à l’extérieur. Ils sont l’ancrage à travers lequel l’État se prononce dans le secteur minier.

Il est trop tôt pour citer des noms ?

Nous avons la volonté de travailler avec Barrick par exemple. Vous verrez que la perception de Gécamines par les acteurs extérieurs est en profonde mutation.

Vous avez fait un discours à la DRC MINING WEEK auquel j’ai assisté. Vous avez parlé de votre nouvelle orientation basée sur la recherche de la valeur ajoutée. Comment cela va-t-il se traduire sur l’organisation de la Gécamines ?

Je vous donne quelques éléments. Cela fait longtemps que l’entreprise a un biais pour juger la performance et la capacité de transformation métallurgique. Ce qui nous a amenés à sous-estimer par exemple la nécessité d’investir massivement dans la certification des gisements. Rien que la certification des gisements à des standards internationaux comme JORC ou SAMREC, change la perception du bilan et la capacité et de la valeur de l’entreprise. C’est le premier geste. Le second geste, c’est de vouloir optimiser la façon dont nos relations ont été construites avec les joint-ventures. N’oublions jamais que nous apportons souvent les gisements au pot commun, sans contrepartie en capital, mais bien souvent de l’endettement. Nous passons notre vie à subir la capacité de remboursement de la dette et le financement de l’assistance technique et nous percevons rarement de dividendes. En 2022, on a tapé du poing sur la table. Nous allons continuer à faire comprendre à chaque partenaire, qu’il est de son intérêt de faire de Gécamines un partenaire solide, durable qui ne quémande pas, qui reçoit son droit et qui veillera à protéger le projet. Par ailleurs, nous ne pouvons plus tolérer que nous subissions la commercialisation du cobalt, du cuivre et d’autres minerais aux conditions des acheteurs, qui sont aussi les producteurs et n’ont aucun intérêt à augmenter leurs marges. Au-delà des problèmes de décotes, nous envisageons de prendre la responsabilité de commercialiser nos ressources et nos mines au prorata de notre participation dans le capital de nos JV. En matière de gestion, avec la nouvelle DG, on allouera les moyens pour vérifier que les accords soient respectés et on veillera à s’assurer que s’il y a des dividendes à payer, ils devront être payés. Je crois, avec la maturité économique que nous avons aujourd’hui, que le privilège de remboursement de la dette sur le retour pour les actionnaires n’a plus de sens. Encore plus loin, nous sommes convaincus que nous pouvons avoir la capacité structurelle, technique

et même financière, contrairement à ce qu’on croit, de pouvoir acquérir la production et si nécessaire faire le marketing de ce que nous ne pouvons pas acheter nous-mêmes auprès des acheteurs finaux. C’est aussi par là que nous allons créer de la valeur, parce que nous allons pérenniser le besoin des produits générés par le Congo en diversifiant les acheteurs finaux. Tous ceux qui auront besoin du cuivre et du cobalt sauront qu’il existe au monde, une entreprise d’État structurée capable de répondre à la demande sans être contrainte de s’adresser à un seul acteur dominant du marché, à qui le monde entier a consciemment concédé la gestion du cobalt. Nous sommes frustrés de voir que les prix du cobalt ne sont pas fixés par les pays producteurs, mais par les raffineurs. Nous voulons convaincre le Gouvernement de nous accompagner en ce sens pour que la valeur soit préservée et ne plus subir les conséquences des excédents de production qui en tuent la valeur.

Notre budget national est fortement tributaire des revenus du secteur minier. Chaque fois que les volumes d’exportation croissent de manière non contrôlée, les équilibres budgétaires de l’État peuvent en devenir paradoxalement menacés. En outre, il ne faut pas oublier que les sommes colossales investies en recherche et développement tant en Chine qu’en Occident visent à réduire la dépendance au cobalt.

Cela signifie que la fenêtre de création de valeur pour le Congo est très courte. Nous devons donc nous focaliser dessus et nous assurer que nous allons extraire le plus de valeur possible pour contribuer à une mutation profonde du tissu économique et industriel congolais.

Vous êtes Président du CA de STL. Est-ce que l’on peut dire que STL sera le laboratoire du future de la Gécamines ?

STL l’est déjà. Avec STL, nous avons la démonstration que Gécamines peut créer de la valeur et peut décider d’investir de manière la plus professionnelle dans son environnement. STL a été rachetée au groupe Forest en 2018. STL a décidé d’arrêter d’être exportateur d’alliage. Dès 2021, dans le conseil que je dirige, nous avons décidé de porter cette phase 2, qui craque la valeur de l’alliage, et sort chaque métal au mieux de sa valeur métallurgique au Congo.

Aussi bien qu’en Finlande,
techniquement ?

Aussi bien, j’espère, mais à la place de la Finlande surtout, nous allons sortir le métal ici. Deuxième point important, le financement. Ce n’est pas le bilan de la Gécamines qui a financé cette phase 2. C’est celui de STL avec des banques locales, un partenaire commercial et demain plusieurs. Beaucoup d’entreprises autour de ce projet sont locales et nous réfléchissons à une commercialisation différente de nos métaux, cobalt, germanium, argent, cuivre et zinc. Nous nous interdisons une paresse en disant : « on fait comme d’habitude ». STL est effectivement une source d’inspiration pour Gécamines, peut-être même son flagship. La plupart des projets partiront désormais sur le même modèle économique.

 

On a un actif, on a un processus métallurgique, et on s’assure dès le premier jour de la manière dont nous allons commercialiser notre production et comment nous allons financer notre outil productif, en favorisant quand c’est possible le recours à l’épargne intérieure. En toute indépendance, nous aurons toute latitude de pouvoir créer de la valeur chaque fois que ce sera possible. Ça rejoint aussi notre volonté de pouvoir autonomiser et responsabiliser celles et ceux qui gèrent un processus de production chez Gécamines, au travers d’une business-unit ou d’une filiale.

C’est d’ailleurs sur ce modèle que nous avons décidé de relancer Cimenkat, même si à ce stade, nous sommes en partenariat, car nous ne disposons pas des compétences nécessaires à cette industrie. Je vous ai dit que mon modèle était l’OCP, le plus grand producteur d’engrais phosphatés au monde. Nous sommes en train d’analyser la manière dont nous pourrions, avec eux, valoriser le soufre extrait de l’extraction des produits sulfurés de nos mines et comment nous pourrions le transformer dans des unités de production d’engrais en RDC. Ça ne parait pas de la mine, mais en fin de compte c’est un by-product de la mine qui nous permet de créer de la valeur. Nous sommes vraiment focalisés sur cette volonté, afin que chacun de nos actifs, quel qu’il soit, ne soit pas un remblai qu’on banalise, un rejet qu’on banalise, mais une valeur, un produit que nous avons l’obligation de valoriser au mieux pour l’État. C’est vraiment notre souci principal.

Lors de ma mission en Chine, à l’occasion du voyage de Son Excellence, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, nous sommes allés à la rencontre de tous nos partenaires existants pour leur dire « sur le cuivre, pouvons-nous envisager qu’une partie soit transformée en RDC ? » C’est la base de notre réflexion et nous allons regarder comment les équipementiers automobiles dans le monde pourraient avoir un intérêt à nous rejoindre. N’oubliez jamais que dans une voiture comme une Renault Zoé, on peut avoir 56 kilos de cuivre dans le faisceau électrique, sans compter le cobalt des batteries évidemment.

Pourquoi, ne pas localiser la production en Afrique, voire au Congo, pour aller chez Renault directement. Avec nos ressources et leurs compétences, je suis convaincu qu’il y a de la richesse à partager et pas uniquement l’extraction de nos minerais bruts.

Qu’on ne m’objecte pas le problème du déficit énergétique. C’est une question de volonté de pouvoir le compenser. Pour aller plus loin, le déficit sert souvent d’excuse pour ceux qui veulent exporter des matériaux bruts et n’a jamais été un problème pour ceux qui ont investi, qui ont trouvé des solutions. D’ailleurs, je suis content de voir que dans tous les forums internationaux, aujourd’hui, même le Pacte financier mondial en discussion en France, Inga est dans l’agenda de tout le monde.

Oui, mais Inga c’est dans 10 ans…

Inga n’est pas le sujet, vous savez que Busanga, Nzilo, Nseke, Muandingusha existent et que des projets hybrides solaires sont en gestation et pulluleront bientôt dans ce pays. Je crois que le déficit pourrait être réduit plus vite, même avant qu’Inga III ne soit en fonctionnement. Inga III sera le boost de transformation définitive au-delà même du Congo. Les solutions progressives se mettent en place.

Vous avez mentionné le zinc. Qu’en est-il de Kipushi Corporation, une JV de Gécamines, qui va bientôt entrer en production ?

Kico va entrer en production en 2024, nous en sommes fiers. Nous avons été innovants en ayant signé avec notre partenaire, Ivanhoé, pour l’exclusivité de l’achat et l’exclusivité du financement pour le compte de Kico. C’est la première innovation. Pour lever les fonds en project finance, ce n’est pas la qualité du bilan qui compte, c’est la qualité de la capacité de remboursement. Et la capacité de remboursement se trouve dans la qualité du produit qui sera vendu, dont les recettes serviront à l’amortissement de l’emprunt. Et tout le monde reconnait la signature de Ivanhoé en matière minière, nous sommes heureux qu’il soit notre partenaire sur ce projet.

Nous avons fait la même chose que les grands miniers, nous avons utilisé l’argent des banques tout simplement. Nous avons trouvé un off taker, Glencore, qui en contrepartie de la garantie de pouvoir accéder au produit a financé le projet. La deuxième innovation, et la plus importante, c’est que nous avons l’intention ferme de transformer ce concentré au Congo pour en extraire le zinc en métal et le soufre qui l’accompagne.

Et j’en reviens à mon point précédent; avec ce soufre, on pourrait développer une unité de production d’engrais. Donc, booster la productivité de nos terres agricoles et créer un cercle vertueux entre le sous-sol et le sol. D’une situation où on nous proposait d’exporter des concentrés et un peu de regarder passer les trains, nous avons pris le parti d’en acquérir la propriété et si c’est rentable d’en développer localement la valeur ajoutée.

Troisième innovation, puisque la ressource qui a défini l’étude de faisabilité est connue, est de convenir qu’à l’extinction des ressources minières prévues au projet, nous redeviendrons actionnaires majoritaires de l’entreprise. Pourquoi ? Parce que nous pensons que la mine polymétallique de KIPUSHI a encore beaucoup à nous apporter au-delà de ce qui a été certifié et que sa vie continuera après le projet actuel prévu pour 11 années de production commerciale. C’est important de noter qu’on ne subit pas le projet, on accompagne le raisonnement du partenaire, et ensuite on redevient leader sur nos actifs. Quand Kico décide d’arrêter le concentré, nous prenons le relai pour avoir le métal.

Quand Kico décide que le Big zinc est sa seule ressource, nous disons qu’au-delà de la ressource, nous prenons le relais. Et quand on nous dit que c’est difficile de trouver des fonds, nous disons que nous prenons le relais.

Les actionnaires, nos partenaires ne sont pas appelés à bénéficier de projets pour des durées infinies au motif que c’est dans le contrat qui a été signé à la fin des années 90, dont ils bénéficient encore au-delà d’une période de profitabilité raisonnable. Nous, Gécamines, nous serons toujours là. Nous devons nous assurer que lorsque certains partent, on ne nous laisse pas que des vestiges, comme à Charleroi, à Mons ou dans le Nord de la France, mais qu’on peut encore rebondir, et créer de la valeur au-delà de ce qui avait été convenu au départ.

Comment allez-vous gérer la relation politique et les pesanteurs étatiques ?

La chance que nous avons aujourd’hui, c’est que le Président nous a accordé directement sa confiance tout en respectant toutes les institutions et la façon dont le gouvernement est impliqué. Nous nous assurons de veiller à ce que les options levées par la Gécamines reçoivent l’adhésion du Gouvernement et des Autorités de tutelle.

Mais nous voulons aussi nous assurer qu’il y ait une adhésion plus générale. Nous prenons le temps de nous assurer que les communautés avoisinantes à nos activités fassent partie intégrante de nos projets. C’est une expérience que j’ai apprise chez AngloGold Ashanti. Une fois que j’ai un accord avec le Gouvernement, je prends le temps d’expliquer aux leaders d’opinion dans l’environnement. Donc je prends le temps d’interagir avec les chefs les coutumiers, les leaders des sociétés civiles, les églises, pour m’assurer que chaque chose que nous ferons est comprise parce qu’ils sont les meilleurs médias vers les bases. Il n’y a pas que les réseaux sociaux. Eux savent interagir au quotidien avec le plus petit ou le plus instruit de la cité. Donc nous prenons notre temps avec eux.

En fin de compte, la communication permanente, l’explication avec des mots simples des enjeux, permet de créer ce qu’on appelle une licence sociale, l’acceptation par les communautés de la pertinence de ce qui est entrepris. Et si eux adhèrent, l’action est durable, car tout le monde est impliqué à un niveau ou un autre. Ce n’est pas une pratique récurrente, parce que beaucoup de gens préfèrent vivre dans isolement, en disant j’ai payé mes taxes, j’ai construit les classes qu’il faut, ce n’est plus nécessaire. Moi je suis convaincu qu’il faut toujours interagir. Ça permet en outre de rester au contact et d’être informé de la réalité du terrain, qui parfois est désagréable, mais nécessaire pour affiner la stratégie, éviter les non-dits, qui progressivement deviennent des pesanteurs, puis des problèmes politiques et devenir catastrophiques en bloquant l’objectif fixé.

Quelle est l’incidence du contrat BRGM conclu avec l’État congolais ?

La Gécamines n’a pas de commentaire particulier sur le sujet parce qu’elle n’est pas partie prenante, mais la Gécamines en bénéficiera parce que l’État a la volonté d’avoir une meilleure connaissance de son patrimoine national minier. J’étais présent aux présentations qui ont été faites quand le Président Emmanuel Macron est venu. On a clairement dit que plus vite le BRGM s’impliquerait à aider notre équivalent du BRGM, le CRGM, et le ministère des Mines en général et toute son administration, à identifier de nouvelles zones de minéralisation greenfield, plus tôt nous serions impliqués et plus forts nous serions vis-à-vis de nos partenaires. Donc évidemment, une cartographie plus affinée du potentiel minéral du Congo est indispensable, pas uniquement pour le Katanga et les gisements cubalto-cuprifères.

Je prends le cas de l’Ituri dans l’or, le BRGM a été partie prenante de la découverte de certains projets autour de la cité de Mungwalu. Nous sommes convaincus qu’ils peuvent être des acteurs majeurs à la création de nouveaux projets et favoriser la prospérité dans le secteur minier du Congo.

Pour conclure, quel est votre rêve pour Gécamines et comment vous voyez Gécamines dans 10 ans ?

Mon rêve c’est de voir Gécamines devenir une entreprise industrielle. Industrielle et performante parce qu’elle est minière. Donc une séquence différente du passé. Elle est industrielle, positionnée industriellement sur de nombreux segments, parce qu’elle est minière. Les mines sont un moyen, pas une fin.

Pourquoi ?

Parce que Gécamines va désormais se positionner sur la commercialisation aval de sa production qui doit devenir prépondérante dans son compte de résultat. Je vois également une Gécamines rajeunie dans son personnel, une Gécamines engagée dans la Communauté, créant de la valeur. Je vois la Gécamines où tous les employés sont fiers d’être partie prenante de cette entreprise parce qu’ils auraient été pionniers de la transition écologique et énergétique qui replace aujourd’hui la RDC au coeur de l’échiquier géopolitique mondial.

Pionniers en matière de recherche et de développement pour des applications nouvelles et innovantes. Pionniers, parce que leurs terres ont été valorisées, parce que leur foncier a été valorisé et a été structurant pour le Katanga dans sa grandeur. Parce que c’est son premier positionnement. Son ancrage est ici. Ça a commencé dans le Haut-Katanga. Ça a prospéré dans le Tanganyika, dans le Lualaba. Mais je rêve d’une Gécamines aussi créatrice de valeur dans les autres provinces du Congo.

Parce que c’est le rôle que lui a historiquement assigné l’État congolais. C’est le bras séculier de l’État congolais dans le secteur minier qui appartient à tous les fils et filles du Congo et à qui on doit donner les moyens de se reconstruire de manière moderne, pour reconquérir sa gloire passée.

M&B Magazine 

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