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« Nous devons réfléchir à des mécanismes de captage local de l’épargne congolaise à court, moyen et long termes » Eric Ntumba Bukasa

La RDC a, pour une large part, une économie reposant sur l’exploitation de son potentiel minier.

La RDC a, pour une large part, une économie reposant sur l’exploitation de son potentiel minier. Cette exploitation est tributaire de la capacité des acteurs à mobiliser à l’externe ou à l’interne les financements nécessaires à leur expansion ou au développement de nouveaux projets. S’agissant de l’expansion (Brown field) je peine à comprendre pourquoi le cadre réglementaire de la Banque Centrale ne reconnait pas encore l’importance du secteur minier dans sa classification des garanties éligibles à l’atténuation des risques (avec effet sur les instructions 14 article 21 et 16 article 24) nous empêchant de mobiliser localement (banques locales sans syndication externe) des financements conséquents et structurants. 

Il suffirait que deviennent admissibles à l’atténuation des risques le stock de produits miniers brut déjà extrait (stockpile) ou concentrés (la même logique pouvant s’appliquer à des rejets, des produits semi-finis ou finis) en définissant un seuil d’atténuation (40% voire 30% Prix LME par exemple) d’un stock dont la valeur serait évaluée par un expert indépendant en tenant compte de la quantité et de la teneur pour que la capacité de financement des banques locales explose! 

Il nous faudrait en effet juste valider le fait que le surplus de produits brut déjà extraits constitué en stockpile satisfasse aux conditions de déductibilité énoncées à l’article 25 de l’Instruction 16 de la BCC :

  • Etre formalisé par un écrit et enregistré conformément aux dispositions en vigueur (L’Ohada prévoit le gage de stock comme garantie)

 

  • Etre mobilisable à première demande et sans possibilité de contestation (Une hypothèque de premier rang sur un immeuble destiné entièrement aux activités productives jouit d’un facteur d’atténuation de 25%, j’ai du mal à voir comment un hangar difficile à évaluer serait plus mobilisable qu’un stock de minerai brut jouissant déjà d’un marché local en pleine expansion, c’est la forme exclusive de la production artisanale de Cu/Co à titre d’illustration). 

 

  • Avoir une échéance au moins égale à celle du crédit couvert
  • Couvrir au moins 80% de la créance. 

 

Il est facilement perceptible que rien dans les faits ne s’y oppose, à part peut-être une frilosité non expliquée et contreproductive. Ou juste le fait anodin de n’y avoir pas penser. 

Quand on considère le fait que certains acteurs ont des stockpiles dont la valeur dépasse les 2 milliards de USD, imaginons un seul instant l’effet de levier pour notre économie minière s’ils devenaient admissibles comme garanties en atténuation des risques ? A ce stade la BCC semble préférer des hypothèques (souvent illiquides) à des stocks de “highly tradable commodities”. Imaginez juste le stockpile de rejets appartenant à la Gécamines qui fait partie du paysage de notre belle ville de Lubumbashi? On entrerait enfin la RDC dans la magie du paradigme du “Structured Commodity based Finance“. It is a no-brainer yet it is not done!

Parler d’évaluateurs indépendants de ces stockpiles c’est en fait parler d’une filière neuve à créer de zéro en RDC avec son corolaire d’emplois et de création de valeur. Dans une vie antérieure j’ai pris des stockpiles en gage dans mes « collateral mix » mais sans jamais pouvoir trouver sur place en RDC des évaluateurs expérimentés (ce ne sont pourtant pas les gens qualifiés qui manquent mais les débouchés n’existaient pas) et ai dû recourir à de l’expertise zambienne pour des prestations sommes toutes assez simples (Vérifier le modèle de stockpiling, s’assurer d’une teneur moyenne ou minimal, vérifier que la quantité gagée demeure sur site une fois le mois). 

Il nous faut sortir des sentiers battus, et comme on le dit souvent dans nos salons feutrés « Think out of the box ». Ici on ne nous demande même pas de réinventer la roue mais d’adapter notre arsenal réglementaire à la principale courroie productive de notre économie. Accepter des hypothèques en excluant les stockpiles équivaut trivialement (je durci le trait) à l’effort de vouloir faire décoller un airbus avec un moteur de moto « Wewa ». 

On pourrait appliquer cet état d’esprit à d’autres mécanismes de financement innovants, résolvant plus d’un problème avec des initiatives courageuses mais encadrées. Tenez par exemple l’idée que l’Etat Congolais émette des obligations du Trésor (ou autre type d’obligation souveraine) directement en dollars américains n’a pas été exploitée jusqu’en 2022. On se demande bien pourquoi. Maintenant qu’elle a été testée avec succès pourquoi ne pas aller plus loin sur cette lancée en permettant de mobiliser l’épargne locale en la canalisant des projets structurants en adossant les obligations à émettre à des projets identifiés rendant impossible l’utilisation des fonds levés à autre chose (Tous les acteurs n’ayant pas le même appétit pour le financement de la Trésorerie générale de l’Etat). Cela ouvrirait de nouvelles options de placement local des liquidités excédentaires de nos acteurs économiques contribuant à la mise en œuvre de projet en lien direct ou indirect avec leurs activités. Imaginons un instant une obligation souveraine adossée à un projet de production énergétique garantissant à terme aux opérateurs miniers une meilleure desserte en électricité Haute Tension ? Où une obligation souveraine adosser à la modernisation d’infrastructures de transports existantes ou de développement de nouvelles ? De quoi titiller l’appétit d’acteurs autrement désintéressés mais dormant pourtant sur des matelas de liquidité quasi stérilisée en dépôts dans certaines banques locales.   Mais ne nous limitons pas aux miniers, sait-on que même pendant la période de taux d’intérêts négatifs la majorité des avoirs en dollars de notre système bancaire dormait dans des comptes correspondants à l’étranger ? Aujourd’hui le problème ne se pose peut-être plus avec l’attractivité des taux liés aux différentes hausses réalisées par les banques centrales occidentales pour essayer de juguler l’inflation (même si ça pose un autre problème, la fuite des capitaux et des flux financiers d’une une économie à risque comme la nôtre vers des « safe haven » donnant des rendements intéressants) mais l’économie étant cyclique la question se reposera. 

Qui y pense ? 

Gouverner c’est prévoir, le propre d’un Etat Stratège et sa capacité à anticiper. Nous devrions être à même de réfléchir à un outil de placement local à court terme en dollars américain capable de canaliser ces flux vers des besoins internes à notre économie (Sur le modèle des Bons du Trésor classiques ou un autre. Ce qui marche en CDF, marchera forcément en USD).  Un tel instrument permettrait de réduire l’acuité de la problématique du dépassement de la limite du risque de concentration sur correspondant étranger (que quasi toute les banques locales violent par manque d’alternative).

Nous devons réfléchir à des mécanismes de captage local de l’épargne congolaise (à court, moyen et long termes) pour son affectation idoine au financement de notre économie au lieu de la voir servir au financement d’autres économies africaines (Il est déjà possible de la placer en eurobonds que nous n’émettons pas encore, comme si on avait mis la charrue avant le bœuf). 

Mais qui y pense ?

Pour devenir un dragon (à l’image des dragons d’Asie) il est peut-être temps que le serpent congolais décide enfin d’arrêter de se mordre la queue. Il nous faut collectivement sortir du paradigme de « l’éternel potentiel » pour embrasser celui de la « puissance ». Cela passe inéluctablement par l’élargissement du champ des possibles, de tous les possibles. 

 

Eric Ntumba Bukasa

Senior Corporate and Investment Banker

 

Biographie de l’auteur :

 

Eric Ntumba Bukasa est un Banquier actif en Afrique Subsaharienne (principalement) RDC depuis 2008. Il a accumulé une forte expérience en financements structurés de l’industrie minière en RDC au cours des 12 dernières années et a dirigé les activités de la banque Equity BCDC au Sud de la RDC de Janvier 2021 à Février 2023. Il est détenteur d’une maitrise en technologies de l’Information de la North West University (NWU-SA, Cum Laude), d’un Diplôme et d’un Master en Administration Publique de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA-France, Promotion Willy Brandt, Summa Cum Laude). Eric est classé dans le Top 10 du prestigieux classement Choiseul 100 Afrique depuis 2021 (8ème position en 2021, et 10ème position en 2022. Classé depuis 2018) qui répertorie les potentiels 100 leaders économiques africains de demain. Il a été internationalement reconnu pour sa contribution professionnelle et son leadership :

  • Mandela Washington Fellowship of the Young African Leaders Initiative 2014
  • Africa France Young Leaders Inaugural Class of 2017
  • Atlantic Dialogues Emerging Leaders 2017
  • North West University Alumni Awards 2013

Éric est aussi un écrivain congolais primé (Prix Makomi de l’UE en 2020) et un chercheur actif en géopolique (Spécialité Afrique Centrale)

 

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