La rencontre s’est déroulée dans le cadre d’une grande et belle demeure de famille dans un quartier chic de Kinshasa. Jean Lengo Dia Ndinga qui ne s’est jamais adressé aux médias nous a fait l’honneur de recevoir M&B pour nous parler des changements à venir dans la stratégie du Groupe Ledya.
Monsieur Jean Lengo Dia Ndinga, bonjour. Pourriez-vous nous raconter la belle aventure de votre
carrière ?
Né à Kinshasa en 1954, j’ai commencé cette aventure très jeune, à 12 ans, alors que j’étais au village. Avec mes parents défavorisés, on s’est débattu pour survivre. Et puis voilà, petit à petit, comme c’est dans mon ADN, mes affaires ont commencé à prendre corps et à grandir. J’ai commencé par les petits négoces entre écoliers des lycées à Sona-Bata, je suis passé par le petit commerce frontalier avec Brazzaville, avant de commencer les importations sur l’Europe à l’âge de 18 ans. L’Europe, ce n’était pas pour aller étudier, mais pour faire du commerce d’importations des produits de la Belgique (Delhaize, Colruyt, Ami, Maconel, Scottex, Domex), la Hollande (Bassins et ustensiles en plastique)
Comment voyagiez-vous ?
Aux lycées, je faisais les pieds pour environ 17 km de mon village pour aller chercher à manger les weekends. Pour Brazzaville, à 15 ans d’âge, je traversais par ferry quand il le fallait par semaine. Pour l’Europe, à partir de 18 ans, je partais en avion et revenais par bateau pour un voyage de 17 jours.
À l’époque, il y avait des bateaux, Fabiola-ville, Kananga-ville. Le Fabiola appartenait aux Belges et le Kananga à la République du Zaïre à l’époque. On revenait en bateau parce qu’il y avait 300 kilos de fret en franchise. Ceux qui revenaient par avion ne prenaient qu’environ 30 kilos.
Vous reveniez avec quelles marchandises ?
De Brazzaville, donc vers 15 ans d’âge et déjà de retour à Kinshasa, j’ai commencé avec les produits cosmétiques. À l’époque, beaucoup d’Africains aimaient éclaircir leur peau. Je combinais l’école secondaire et les affaires. J’exerçais du commerce de ventes en gros et à crédit auprès de mes clients qui, eux, vendaient en détail au marché Central. Je leur livrais des marchandises, selon leurs commandes, dans les semaines où je me rendais à Brazzaville, comme je le faisais généralement une fois par semaine à cause de l’école.
Au retour de l’école, je me rendais au marché central pour mes recouvrements et pour collecter de nouvelles commandes en fonction desquelles je programmais le prochain voyage d’approvisionnement à Brazzaville.
De la Belgique, je partais pour acheter divers produits non seulement cosmé-tiques, mais aussi des ustensiles en plastique, des tapis, produits électromé-nagers (fer à repasser, réchauds, réfrigé-rateurs, ventilateurs…), des matériels de confection des habits, principalement des abacosts de l’époque (boutons,doublures, des tissus…), mais aussi et surtout dif-férents genres des serviettes en papier (papier toilette,mouchoir en papier.). Puis j’ai commencé le commerce de grande envergure par des conteneurs des divers produits vendus en gros et à crédit dans tous les Supermarchés de Kinshasa, grâce aux gains réalisés dans le commerce de ces différents genres des papiers.
Que faisaient vos parents ?
Mon papa était ancien combattant de la guerre 40-45. Il était traumatisé par ce qu’il avait vécu. Ma famille avait jugé bon de partir avec Papa au village. C’est ainsi que je suis allé commencer l’école primaire (lycée) au village, Sona-Bata, en 1960.
Dans les semaines, j’avais remarqué que les écoliers n’avaient plus rien à manger à partir du jeudi. J’ai donc commencé à acheter des chikwanges (NDLR : bâtons de manioc fermentés), boîtes des conserves et du poisson salé que je leur revendais à crédit, déjà à moins de 12 ans. Je faisais 17 kilomètres pour aller en chercher. Je faisais crédit à ces écoliers, pour des sardines et du poisson salé.
Et ensuite ?
J’ai quitté Sona-Bata à environ 13 ans d’âge et puis je suis revenu à Kinshasa pour habiter chez mon oncle maternel, à Matonge. Il avait envoyé son fils pour étudier en Europe. Pendant ce temps, l’idée du commerce de Brazzaville germait en moi. Pendant l’exercice de commerce de Brazzaville, mon cousin, alors en Europe, commença aussi à travailler avec moi dans le commerce. De l’Europe où il se trouvait, il envoyait des marchandises que je revendais au marché. En fait moi-même, quand j’ai commencé à voyager pour l’Europe, c’était avec mon partenaire-cousin.
Avec le développement des affaires, nous avons fini par nous séparer plus tard. C’est alors qu’en solo, j’ai commencé et créé la « Maison Ledya » dérivée des initiales de mon nom Lengo-dia-Ndinga, alors juridiquement, un établissement.
Vous aviez quel âge ?
J’avais 23 ans !
Donc désormais, sur quels types de produits ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, d’abord des cosmétiques puis de la mercerie pour les abacosts (boutons, doublures, etc.) et de la tapisserie à l’usine de la société DOMO, à Saint-Nicolas. Après, je suis passé à l’alimentation, dans les denrées alimentaires de la grande masse populaire et les papiers de toilette. Vous allez rire, mais c’est le papier toilette qui a fait le début de ma fortune ! Une société belge m’a fait confiance et me fournissait le papier toilette, les essuie-tout, les serviettes de table et le mouchoir à papier. Je les achetais, aux bons moments, aux usines de SCOTTEX et DOMEX en Belgique. J’ai ensuite poursuivi avec de l’électroménager, et le commerce de gros.
Quand avez-vous commencé à investir dans l’industrie ?
En fait, ça fait 22 ans que j’ai commencé dans l’industrie. J’ai exploité la panifica-tion (boulangerie) en petite industrie. J’ai découvert l’Asie et ai commencé avec la fonderie (production des barres de fer en aciers) et l’exploitation de la carrière des pierres de construction avec des Chinois et leur technologie.
J’ai appris que vous aviez travaillé en partenariat avec la SNEL.
Oui, à l’avènement du barrage hydroélectrique d’INGA, la SNEL avait trop de production ! La SNEL cherchait à faire consommer son énergie électrique. C’est pour cela que j’ai commencé à importer des cuisinières, des réchauds, des fers à repasser, produits électroménagers électriques dont la demande était forte.
Et après l’importation de produits électriques ?
J’ai investi en chambres froides. J’ai construit des chambres froides à Matadi et à Kinshasa. Avec mes chambres froides, j’ai pu importer du poisson avec un partenaire de Charleroi, Roger de COCK, patron de TRAVHYDRO (UTEMA) en Belgique.
Dès les premiers jours, je lui ai dit qu’on allait importer mille tonnes de poissons. Il m’a répondu : « Mais tu vas jeter ça dans le fleuve Congo ? » Et rapidement, on est passé à 1500 tonnes par semaine.
À l’époque, je faisais aussi du commerce de gros de plusieurs produits alimentaires pour les supermarchés de la place, les produits que j’achetais auprès des centrales d’achat de DELHAIZE et de COLRUYT, enBelgique.
C’était plusieurs conteneurs des produits des Supermarchés que j’importais par mois. Je fournissais en gros et à crédit aux grands supermarchés de l’époque : SEDEC de Unilever PLC, Alimentation Express Nogueira, Simis Alhadeff et d’autres.
Pour importer vos vivres, vous avez même réhabilité un port ?
Oui, le port SOCOPPE. Ce port était à l’abandon et nous l’avons remis en état de marche. C’est comme cela que j’ai commencé à affréter des bateaux entiers de 1500 tonnes de poissons (Chinchards) surgelés de la Namibie et de la Mauritanie. Puis des poules à bouillir et à rôtir de PLUVERA et WILKI de la Belgique, des navires entiers des gros tonnages des riz, farine de maïs, et sel iodé pour ne citer que ceux-là.
J’ai construit de grands entrepôts frigorifiques et des entrepôts des produits secs à Matadi et à Kinshasa avec capacité de pouvoir décharger tout un navire et en stocker toute la cargaison. Alors, à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’importateurs. C’était ORGAMAN (la famille Damseaux) et nous qui étions les grands importateurs. Puis, nous nous sommes étendus dans plusieurs chambres froides dans des quartiers pour la revente.
Après le commerce de gros, le vivrier, vous avez construit aussi des hôtels ?
Oui, comme je partais souvent à Matadi et qu’il n’y avait parfois pas d’hôtels dis-ponibles, j’y en ai construit un. Puis nous avons évolué dans les services des hôtels avec l’idée, un jour, d’en faire une marque.
Et aujourd’hui, le groupe en possède combien ?
Dans le groupe, on en a au moins 4.
Le Groupe Ledya s’est construit par l’intégration des activités auxquelles je recourrais dans l’exercice de mon commerce général du départ. Lorsqu’il n’y avait pas de déclarants en douane ou de transporteurs pour mes marchandises importées, il a fallu créer cela. Toutes nos activités se sont faites par intégration des services. C’est ainsi que je garde encore précieusement mon premier camion Man. C’est le n° 1 de notre charroi et je l’ai surnommé MAN 00.
Cela a été une intégration verticale pour pallier au vide et rester compétitif sur le marché concurrentiel. C’est de là qu’est parti le réseau de services intégrés dans le Groupe Ledya.
Vous êtes un des rares conglomérats congolais à avoir une telle histoire. À votre avis, pourquoi n’y a-t-il pas plus de plus de Congolais entrepreneurs de ce calibre ?
Ils y avaient beaucoup de dames commerçantes qui avaient beaucoup d’affaires. Également pour beaucoup d’hommes. Mais ils n’ont pas pu résister à la concurrence déloyale des étrangers qui exercent dans le commerce de détail. C’est la diversification des activités qui m’a fait réussir. Et je dois aussi saluer et remercier l’accompagnement que j’ai reçu des banques locales qui n’ont cessé de me soutenir.
Et les Mines ?
Quand le gouvernement a libéralisé le secteur minier avec la Gécamines, j’étais presque le seul Congolais à signer un contrat au Katanga de l’époque. J’avais cependant des concessions des mines de Manganèse à Luozi et de Calcaire à Kimpese dans le Kongo Central.
La Multinationale BHP Billiton m’a découvert dans son intérêt sur le manganèse. En vue de partenariat avec eux, BHP BILITTON a engagé la société PASCO RISK MANAGEMENT de Johannesburg pour conduire de dues diligences sur ma personne et le Groupe Ledya.
C’était la première fois que je subissais un tel exercice dont je n’avais pas l’habitude. Grâce aux bons résultats de ces dues diligences de Pasco Risk Management que le Groupe Ledya a été agréée comme Partenaire local de BHP Billiton en RDC. Ce fut mon premier partenariat avec une société multinationale.
Cette notoriété a fait suivre mon second partenariat avec la multinationale LAFARGE. Lafarge s’est associée à moi comme Partenaire local dans le projet de la cimenterie (importations pour aboutir à la production). J’ai donc commencé mon partenariat en participation avec ces deux-là comme sociétés multinationales.
Et avec BHP Billiton, comment ça s’est passé ?
Il y a eu un contrat signé avec BHP BILLITON, mais ils croyaient que les manganèses allaient se constituer en filon continu. Là-bas, ils avaient vu que le manganèse à Luozi est clairsemé et dont la quantité ne correspondait à leur taille de besoin. Le fait d’être admis comme partenaire local de BHP
Billiton dans le manganèse a heureusement créé un appel d’air pour Lafarge.
D’où est venu le problème avec Lafarge ?Par apport de ma concession de calcaire, Lafarge est venue à moi et nous avons créé une société ici qu’on a appelé Lafarge Ciment Congo, où j’avais 40% et Lafarge 60%. C’était, entre autres, pour monter une cimenterie à partir de « green field ».
Malheureusement, Lafarge a aussi voulu acquérir la Cimenterie Nationale qui existait, mais ne s’est pas accordée avec le Gouvernement.
Est-ce que vous avez des mines en production ?
Non, pas encore.
Depuis 2004, nous avons commencé des activités minières de Tondo vers la ville Lubumbashi, puis de Shomberwa vers la ville de Likasi, puis de Nyoka dans la ville de Kolwezi, pour ne citer que celles-là. Avec le concours des experts, nous avons entamé des travaux des recherches en explorations :
D’abord à TONDO, près de Lubumbashi. Nous y avons fait construire des routes, jeter des ponts, mais le manque d’électricité nous a donné des résultats, en ce moment-là, pas attrayants. Puis à NYOKA. Avec SRK Consulting, nous venons de totaliser 7 ans d’explorations géologiques et des recherches. Nous avons contracté avec des sociétés de forage expérimentées.
Nous avons obtenu le Rapport technique Jorc : usage de laboratoire international AELS d’Afrique du Sud pour les analyses des échantillons. Nous avons reçu le rapport technique des ressources déterminant notre mine en classe mondiale. Nous sommes en train d’effectuer les études de préfaisabilité dont les rapports sont attendus en novembre 2023. Nous sommes déterminés à aller jusqu’à la production et ainsi commencer la qualification des Congolais producteurs miniers. Nous allons ainsi inciter les autres compatriotes à devenir réellement miniers.
Puis à SHOMBERWA. Nous sommes en train d’effectuer des travaux des recherches en régie pour les recherches géologiques.
Vous êtes à la recherche de partenariats ?
Pour autant que nous ne nous détournions pas de notre ambition d’aller à la production, nous ne sommes pas fermés aux offres de partenariat. Néanmoins, les études de préfaisabilité attendues incessamment nous conduiront aux études de faisabilité pour cerner le processus préalable aux dossiers bancables –Project Implementation Memorandum PIM – pour lever des fonds devant nous conduire au développement de notre mine pour l’exploitation. Si maintenant, il y a un partenaire qui vient, nous connaissons déjà notre véritable potentiel.
Nous sommes donc mûrs pour accueillir un bon partenaire, le cas échéant. Petit à petit, vous êtes en train de faire confiance à vos enfants. Expliquez-nous quel est le processus. Sur le site de votre groupe, vous annoncez que vous allez prendre du recul en 2025.
Racontez-nous comment vous allez vous réorganiser.
Moi, je suis vraiment un bon élève. (rire) Je ne veux pas attendre de mourir pour transmettre mon business. Mes modèles sont certaines sociétés européennes qui ont 100 voire 200 ans. C’est l’idée pour que ça puisse continuer, s’assurer la pérennité, car j’aurai bientôt 70 ans, si Dieu le veut.
Comment s’est réorganisée la société ?
Il y a Glend, un de mes enfants, qui est choisi et accepté par ses frères et sœurs, comme Vice-Président, lancé pour me succéder aux commandes du Groupe Ledya. Les autres enfants sont impliqués dans différentes fonctions dans les sociétés du Groupe Ledya. Chaque dimanche, ils viennent à la maison pour échanger avec moi de façon informelle, pour voir comment est l’organisation. Ça va prendre un peu de temps, car on a commencé à bâtir le groupe avant ma majorité d’âge en tant qu’autodidacte.
Mes enfants, bien qu’ayant étudié, je les mets maintenant dans mon école pour la transmission de mon ADN des affaires dans la pratique professionnelle pour assurer la pérennité de nos affaires dans le Groupe Ledya.
Vous vous êtes donné encore 2 ans pour lever le pied, c’est bien ça ?
Oui. C’est peut-être un peu tard que j’ai décidé. D’ailleurs, Monsieur Mazhar RAWJI de Rawbank m’a dit qu’il avait fait sa passation quand il avait 60 ans. Mon partenaire de ICTSI m’a conseillé dans le même sens.
Avez-vous un pôle logistique chez Ledya ?
Oui, effectivement.
SOCOPPE SA ; Dans l’industrie por-tuaire, nous avons commencé par le port SOCOPPE pour les navires des surgelés et d’autres cargos en conventionnel. TICOM ; Ensuite, mon entrepôt sous douane des conteneurs pour désengorger les ports de transit qui font les accos-tages des navires.
LEREXCOM PETROLEUM SA ; Et puis, non seulement l’exploitation d’un port pétrolier pour les tankers, mais aussi pour l’acheminement et livraison des produits pétroliers auprès des stations-services et grands consommateurs locaux, autant que le transit de ces produits pétroliers vers Brazzaville et Bangui. ICTSI DR CONGO SA ; Et mon partenariat en participation avec la société multinationale ICTSI (International Container Terminal Services Inc.), partenaire philippin, dans le port maritime MGT à Matadi.
C’est cette expérience réussie qui amène des gens à me demander de faire la même chose pour des aérodromes. Mais je voudrais me focaliser pour terminer du côté mines et renforcer notre pôle logistique avec des ports, des entrepôts et les moyens d’entrepreneur local devenant maintenant un investisseur pour l’extérieur.
Glend, vous êtes vice-président du Groupe Ledya. Vous avez assisté à l’entretien, avez-vous des choses à ajouter ?
Oui, je vous remercie.
Je me rends compte que j’ai beaucoup de chance. Je travaille au quotidien avec un grand visionnaire, un ami, qui m’apprend à intégrer la sagesse dans nos affaires. Et cette personne, c’est mon père !
Mon père est un cas rare au Congo. Il crée de la richesse, il développe l’emploi et ne cède pas aux tentations, comme beaucoup. À l’époque, il suffisait d’obtenir une concession minière pour aller la renégocier le lendemain. C’est pour cela qu’il vous a parlé des 7 ans de recherches et explorations de ses carrés miniers.
Maintenant avec le rapport technique et les résultats d’analyses, nous sommes prêts à discuter avec des partenaires, car nous avons du concret à proposer.