Malaïka est une école modèle en RDC. Chaque été, des enseignants du monde entier viennent coopérer avec les enseignants et les élèves de Malaïka. Depuis 3 ans, François vient à Kalibuka pour apporter son expertise. Une occasion aussi de mettre en perspective le système d’enseignement congolais dans cet entretien avec M&B.
François Latouche, pouvez-vous nous expliquer votre mission en RDC ?
Je viens du lycée français Marie Curie de Zurich en Suisse. Je suis proviseur adjoint de ce lycée. Je suis chargé du secondaire et également de la pédagogie numérique. Je suis ici avec quatre autres enseignants et venir ici à Malaïka donne encore plus de sens à notre mission. La vie nous a donné beaucoup, personnellement et professionnellement, et ce, beaucoup méritent d’être partagé, parce qu’il donne sens à nos missions d’éducateurs. Ici, nous avons véritablement le sentiment d’être dans un vrai partage avec les filles et aussi avec les enseignants. Qui dit partage, dit échange. Ils nous apportent beaucoup dans leur envie, leur implication, la bienveillance qu’ils ont vis-à-vis des filles. Nous tentons de leur apporter ce qui constitue l’essence même de nos systèmes éducatifs. Et le système français, il est fait pour, avant tout, apprendre aux élèves à interroger la règle, à s’interroger, à prendre du recul, à devenir des citoyens libres.
Des citoyens qui ont appris avec une base académique forte. C’est ce qu’ont les jeunes filles ici, une base académique très forte.
Parlez-nous de ce socle académique
Cette base académique doit leur permettre de se libérer, de devenir des citoyennes actives, avec un esprit critique, un sens de la réflexion, un recul, un esprit créatif. Et cet esprit créatif, ce recul, cet esprit critique ne peut pas se développer si les jeunes filles ne font que répéter. Et c’est ce que nous apportons quelque part aux enseignants ici, en leur disant, regardez un peu de côté. Vos filles ont des bases académiques très fortes, amenez-les à réfléchir encore davantage, à s’interroger, à confronter pour construire de nouvelles compétences, les compétences du XXIe siècle.
Avez-vous vu une différence depuis 2019 depuis vos premières missions ?
Depuis 2019, à Malaïka, nous étions dans une structure, d’enseignement très vertical. L’enseignant dit, l’élève répète et il y a ces allers-retours à sens unique. Nous, maintenant, ce que nous observons, c’est une forme d’horizontalité. Les jeunes filles se parlent entre elles, se confrontent, progressent, réfléchissent et s’interrogent. On leur pose de véritables problèmes sans leur donner la solution, et elles sont amenées à la trouver elles-mêmes et à s’aider pour trouver ces solutions face à ces problématiques. Ce qui est important, c’est que maintenant, ces jeunes filles vont pouvoir, face à une problématique, trouver des solutions, et non attendre que la solution leur soit donnée par un enseignant. Et cela, c’est le point vraiment crucial, et c’est la grosse différence que nous pouvons observer.
Nous l’observons à travers les travaux de groupe, les problématiques qui sont posées, le fait que les élèves discutent en classe et que cette discussion ne soit pas prise comme du bruit, mais comme de vraies situations de communication positive, de communication source d’apprentissage. Ce sont les grandes différences que j’ai pu observer depuis 2019.
En tant que proviseur d’un lycée français à l’étranger, leur conseilleriez-vous de poursuivre leurs études en France ?
Je reprendrais la base du système français ; plus vous serez éclairés, plus vous serez libres. Le système français est un système qui permet vraiment de se poser des questions et de devenir créatif en se fondant sur des capacités académiques très fortes.
Et les jeunes filles ont ces capacités académiques très fortes. Donc, elles sont faites pour le système français qui va leur apprendre à utiliser ces capacités académiques pour développer de nouvelles compétences et devenir encore plus créatives.
Malaïka, c’est un projet extraordinaire, une révolution. Mais ce n’est pas qu’un projet d’école, c’est un projet global. Et moi, je suis véritablement impressionné par la capacité de ces filles à se révéler et à l’envie qu’elles ont de sortir d’elles-mêmes et sortir aussi de leur environnement pour pouvoir y revenir et y donner quelque part le maximum de ce qu’elles ont appris.
Donc, il faut venir, il faut soutenir Malaïka. Tout le monde y a sa place.
Quel est le rôle de Malaïka en tant que modèle pour l’enseignement congolais ?
Je pense que les inspecteurs et les gouverneurs doivent venir regarder ce qu’il se passe dans les classes de Malaïka pour prendre exemple, j’ose dire même modèle. Parce qu’avec très peu de moyens, on arrive à accomplir de très grandes choses, quand les moyens sont utilisés de façon pertinente. Parce qu’on éduque de jeunes filles, mais au-delà de ça, on éduque toute une nation. Donc, venez voir parce que, quelque part, on est dans un effet démultiplicateur de petits moyens permettant d’accomplir de très grandes choses.
Pouvez-vous différencier les deux systèmes d’enseignement ?
Créer des citoyens, ce n’est pas que créer des citoyens qui répètent. Ce sont les citoyens qui créent, qui construisent, qui s’investissent. Et si on n’est que dans la répétition, on ne crée pas, on ne s’implique pas, on ne développe pas. Pour ces jeunes filles, l’éducation doit les libérer, elle ne doit pas les enfermer. C’est très important. ■