LE METOREX, QUI MESURE LA TENEUR DE COBALT, AU COEUR DES CONFLITS
ENTRE VENDEURS ARTISANAUX CONGOLAIS ET ACHETEURS EXPATRIÉS.
Lorsqu’il arrive dans la cour du dépôt de vente à Likasi, Ibra, 21 ans, n’a toujours pas reçu de paiements. Pourtant, quelques jours plus tôt, ce conducteur de camion Howo a fait entrer des dizaines de tonnes de « produit ». Le produit, c’est le cobalt, minerai indispensable dans la fabrication des batteries lithium-ion des smartphones, des ordinateurs portables et autres véhicules électriques. Avant d’arriver chez les grands constructeurs occidentaux, il passe par les mains d’acheteurs chinois, indiens, libanais ou parfois congolais.
Dans la cour du dépôt, plusieurs sacs jonchent le sol et des journaliers remplis- sent un camion. Sans aucune protection ou matériel de levage, ils sont haletants et la poussière saupoudre leurs corps.
Le gestionnaire chinois du dépôt est installé sous une construction en tôles. Pourtant, selon la loi, aucun étranger ne peut posséder de comptoir. Son regard, qui bascule entre les factures collées au mur et sa calculatrice, se pose parfois sur le vendeur en face de lui. Les deux échangent en swahili et après une for- malité, Ibra perçoit son argent à travers une ouverture dans le filet qui sépare les deux interlocuteurs.
« La balance est un robot »
« Vous voyez la machine à côté du patron chinois, c’est le Metorex », me glisse Ibra. Du doigt, il me montre sur un mur en tôles, les prix d’achat. Ils sont fixés en fonction de ce que le Metorex aura indi- qué. Pour une tonne de cobalt avec une teneur de 15%, le vendeur peut espérer jusqu’à 6500USD. Le spectrophotomètre ou le fameux Metorex se trouve souvent au cœur des tiraillements entre les vendeurscongolais et les acheteurs chinois. Les premiers accusent souvent les seconds de mauvaise foi et de trucage de l’outil pour réduire la teneur de leur produit. Au comptoir, « il y a un vrai problème de balance et de teneur. Avant, pour dix sacs, on gagnait 100 000 francs congolais (36USD). Aujourd’hui, ce n’est plus que 30 000 francs congolais (10USD), se plaint un creuseur artisanal. Les Chinois disent que les prix ont baissé, mais pourtant la balance c’est un robot, elle ne bouge pas. » Cette pratique suscite de nombreux conflits, entraînant des changements fréquents de maisons d’achat, mais également une recrudescence d’affaires criminelles.
Le Metorex
Le Metorex n’est pas à la portée de toutes les bourses, il peut coûter jusqu’à 4 000USD sur Alibaba. Chaque creuseur ne pouvant se l’offrir individuellement, il doit s’organiser. À Midingi ou Miringi, selon les creuseurs, à 210 kilomètres de Lubumbashi et 90 km de Likasi, les négociants locaux se sont organisés en associations. On peut accéder à la mine artisanale après deux heures de moto par un raccourci creusé entre deux collines par une société chinoise. Pourtant les négociants congolais n’ont pas droit accès à cette route réservée à l’entreprise chinoise.
« Quel est le résultat ? » s’enquiert Mafuta, venu examiner la teneur de son produit. « Des déchets » lui réponds papa Deo, barbe hirsute et cheveux en bataille, un talkie-walkie en main gauche et son Metorex en main droite. Pour client d’après, « c’est bien » ou « c’est promet- teur ». Après le passage dans le hangar, si la teneur varie entre 2,5 et 5%, « c’estle gros lot », chuchote un négociant que nous avons suivi. Ingénieur en Géologie, seul propriétaire d’un Metorex à Midingi, Papa Deo maitrise le fonctionnement de l’outil et gagne sa vie grâce à ce service. Quand il passe le cobalt ou le cuivre sur sa machine, on a plus de certitudes. 1 ou 2%, c’est une perte. 2,5 ou plus sont pro- metteurs pour les vendeurs. « Je ne peux pas affirmer que le Metorex soit truqué par les acheteurs. L’outil n’est pas exact à 100%. Lorsque l’usine achète le cobalt, elle cherche à établir une marge de sécu- rité entre le poids et la teneur » confie papa Deo. À l’époque de l’exploitation minière par les Belges, les métaux extraits devaient dépasser l’indice de 4 pour ne pas être considérés comme des déchets. « Avec l’hydrométallurgie par électrolyse, pour produire des cathodes, on peut descendre maintenant jusqu’à 1% » explique-t-il.
Quête du juste prix
« Les creuseurs descendent à de grandes pro- fondeurs pour extraire le minerai. Une fois leur travail terminé, les « salisseurs » pren- nent le relai et remontent les sacs de produit à la surface. Là, les négociants congolais sont déjà présents pour discuter le prix en fonction de la qualité du minerai afin de procéder à l’achat » m’explique Héritier. Alors que le soleil se couche sur Kol- wezi, les derniers camions s’apprêtent à quitter la carrière artisanale de Kasulo, des dizaines de sacs sont acheminés vers un dépôt d’acheteurs chinois. Les creuseurs juchés sur leurs lourds sacs transportent à moto jusqu’au lieu de vente, mais souvent les plus gros négoci- ants viennent eux-mêmes les prendre dès la sortie de la mine.
Sur place, après un marchandage bien rodé, le « produit » peut enfin être expédié vers le hangar des acheteurs. Selon le site, les négociants s’assurent de la qualité de leur minerai avant qu’il ne soit contre- expertisé par un acheteur secondaire.
« Une fois l’accord conclu avec les creu- seurs, les négociants prennent le produit et les revendent aux maisons d’achat tenues par des acquéreurs étrangers. Mais, certains avertis vont directement vers ces acheteurs pour obtenir un meil- leur prix. Celui d’un négociant congo- lais étant souvent inférieur à celui des Chinois ou Indiens, témoigne Héritier, ex-gestionnaire de dépôt.
Avant d’aller au comptoir des Chinois avec le camion Howo de 60 tonnes, un dernier échantillon du produit est envoyé à un laboratoire de la Gécamines. C’est seulement ensuite, dans ces deals où l’on ne peut se fier à la parole, que les sacs seront vendus. Les acheteurs chinois livreront plus tard le cobalt à CDM, qui l’expédiera pour le raffinage peut être chez un sous-traitant chinois d’Apple ou Samsung.