in

Quitus fiscal : cas type d’une idée louable, mais dévoyée par un système qui « refroidit » le climat des affaires congolais

Par Romain Battajon, avocat au barreau de Kinshasa/Matete

En République Démocratique du Congo, le quitus fiscal a été instauré par la loi de finances du 31 décembre 2021 pour l’exercice 2022, instaurant un nouvel article 82 bis dans la loi n°004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales. Ce mécanisme a récemment été significativement amendé par l’article 44 de la loi de finances n°24/011 du 20 décembre 2024 pour l’exercice 2025, complété par l’arrêté ministériel n°027/CAB/MIN/FINANCES/2025 du 9 avril 2025 fixant les modalités pratiques de délivrance du quitus fiscal. 

L’objet de la présente chronique est de montrer que cet outil censé renforcer le civisme fiscal risque fortement de ne pas atteindre son objectif et de plutôt réussir à « gripper » l’écosystème déjà fragile des affaires.    

En synthèse, retenons que toute personne physique et morale en RDC doit démontrer qu’elle détient un quitus fiscal comme préalable, notamment, à la soumission à une offre de marchés publics ou à un partenariat public-privé, à la création d’une entreprise par des professionnels ou l’acquisition par des professionnels de parts ou actions d’une société, à l’obtention par des professionnels de « certains documents administratifs et le bénéfice des services publics », à l’enlèvement des marchandises à l’importation consécutif aux opérations de dédouanement, à l’exportation des marchandises, aux paiements effectués par les entités publiques, au bénéfice de subventions ou exonérations, à l’éligibilité à la sous-traitance, au renouvellement du visa d’établissement pour les expatriés, à l’obtention d’une carte de travail pour expatriés, à l’ouverture d’un compte bancaire pour un non-résident, au paiement de créances entre professionnels et/ou entre entreprises, à l’octroi d’un crédit bancaire à une entreprise ou un professionnel, et à la souscription d’une licence par une entreprise ou un professionnel. 

Ainsi, au lieu d’élargir l’assiette des contribuables pour que tous les citoyens congolais ou tous les résidents congolais respectent leurs obligations fiscales, le législateur, puis le gouvernement ont choisi d’ajouter un peu plus de lourdeur administrative dans le quotidien des entreprises et des professionnels. Ce qui est dommage à l’heure où Son Excellence, Monsieur le Président de la République a, de nouveau, instruit le Gouvernement de mettre en place un système plus attractif pour les investisseurs et d’améliorer le climat des affaires.  

Certes, il est compréhensible de vouloir renforcer le respect des lois fiscales, mais cela ne devrait pas se faire en compliquant la vie des affaires.

La Fédération des Entreprises du Congo (FEC) avait, depuis janvier 2025, constaté que, du fait de cette exigence nouvelle, plusieurs opérations n’avaient pu être exécutées faute de présentation du quitus fiscal, particulièrement le paiement des créances commerciales et les créances fiscales à travers le système bancaire. Par conséquent, les entreprises s’exposaient de plus en plus à des contentieux commerciaux pour non-respect des engagements, voire à des pénalités de recouvrement pour paiement tardif des impôts et droits. Il était aussi enregistré des retards dans le paiement des salaires, entrainant ainsi une perturbation du climat social au sein des entreprises. Depuis lors, l’arrêté d’application du 9 avril 2025 a été signé, sans qu’aient été pris en compte les problèmes concrets de son application exprimés par la FEC ou par d’autres professionnels et praticiens. 

Le quitus fiscal, qui est une bonne idée en soi, pourrait ne pas poser de problème si, d’une part, la procédure de son obtention, telle que fixée par l’arrêté précité, était appliquée strictement, et si, d’autre part, l’accumulation des contrôles fiscaux, à tous moments de l’année fiscale, n’était pas l’usage en RDC. 

Ainsi, il est prévu que la demande de quitus soit déposée auprès du Receveur des Impôts, au moyen d’un formulaire type avec des pièces justificatives (listées à l’article 4 de l’arrêté du 9 avril 2025) puis que le Receveur doive analyser le compte courant fiscal du demandeur et solliciter l’avis du service fiscal auquel le contribuable est rattaché, lequel doit répondre dans les 5 jours (article 5 de l’arrêté précité). Or ce délai n’est pas respecté, car le Receveur n’a pas le temps, en 5 jours, de procéder à l’analyse nécessaire et d’obtenir l’avis requis dans un si bref délai, vu, notamment, le nombre de demandes et l’absence de numérisation suffisante des données fiscales pour pouvoir traiter rapidement et automatiquement ces demandes. Pour les mêmes raisons, alors que le Receveur des Impôts doit répondre à la demande de quitus fiscal dans les dix jours de sa réception, ce n’est quasiment jamais le cas. 

Ensuite, bien que le même texte précise que, si le délai de 10 jours est dépassé, le quitus est « réputé accordé » et le Receveur « est dans l’obligation de le délivrer » au demandeur, en pratique, cette obligation est peu respectée et le contribuable doit attendre le temps que cela prendra pour que le Receveur lui délivre le quitus… En effet, faute de pouvoir présenter le document officiel établi par le Receveur, le contribuable sera bloqué face aux parties concernées (administrations, banques, partenaires commerciaux, etc.). À la rigueur, certaines banques font ainsi signer des décharges de responsabilité aux clients qui les pressent de procéder à des opérations bancaires.

Par ailleurs, dès lors que de nombreux opérateurs, notamment miniers, sont en situation quasi permanente de contentieux avec l’administration fiscale du fait des très fréquents contrôles opérés sur eux, le quitus pourra leur être refusé pendant le temps des contentieux, comme un moyen de pression éventuellement, avec, à la clé, des répercussions financières potentiellement graves.

Cette exigence nouvelle retarde aussi fortement les paiements de fournisseurs / sous-traitants par leurs clients, leur faisant ainsi courir des risques de cessation de paiements, voire de faillites.

Enfin, nous ne pouvons pas passer sous silence le fait que, comme souvent quand il faut obtenir un document administratif, mais qu’il est difficile ou trop long de l’obtenir normalement, les pratiques de « facilitation », pour ne pas dire de corruption, se développent.  

Ainsi, compte tenu de ces réalités, il serait souhaitable de trouver des solutions moins handicapantes, tout en promouvant le meilleur respect des règles fiscales. Par exemple, en prévoyant plutôt l’annulation de contrats publics, de licences, d’exonérations, ou en appliquant des pénalités sur les opérations effectuées en cas de refus ultérieur et définitif de quitus fiscal. De plus, il parait plus logique de limiter l’exigence du quitus fiscal aux opérations qui supposent l’intervention de l’État (marchés publics/PPP, octroi de licences/autorisations/exonérations, paiements par les personnes publiques), mais pas à celles qui sont de nature purement privée (paiements de créances entre professionnels, création d’entreprises, ouverture de compte ou l’octroi de crédits bancaires, par exemple). Au risque, déjà avéré, d’asphyxier une bonne partie du faible nombre d’entreprises formelles qui existent en RDC.   

Visa US : 15 000 USD de caution pour certains ressortissants africains