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Géopolitique par Henri N’zouzi

« La paix par la force », nouvelle arme de persuasion massive des États-Unis

La Pax Americana n’est pas qu’un vestige de la Seconde Guerre mondiale : elle se réinvente aujourd’hui en un projet de « paix par la force », où la puissance militaire, économique et diplomatique converge pour façonner un ordre mondial à l’image des intérêts américains. Comment cette stratégie s’est-elle imposée ? Quels en sont les mécanismes et les effets ? Cet article explore les ressorts de cette nouvelle forme de persuasion massive.

Dès 1945, les États-Unis ont posé les bases d’un leadership global : institutions multilatérales, bases militaires échelonnées sur tous les continents, et doctrine de l’« équilibre des forces ». Cette hégémonie visait à recréer un monde stable après le chaos, mais surtout à y garantir l’accès aux ressources et marchés indispensables à l’essor américain.

« La paix par la force » : du principe à la doctrine

Au cœur de ce renouveau stratégique se trouve l’idée que la seule démonstration de force – ou sa menace crédible – suffit à discipliner les acteurs récalcitrants. Les cas récents d’Israël, de l’Iran, de la RDC et du Rwanda montrent à quel point l’Amérique de Trump n’hésite pas à recourir au chantage et à l’intimidation pour parvenir à ses fins :

  • Dissuasion élargie : capacité à financer et diriger des coalitions de faiblesse graduelle (drone strikes, interventions spéciales).
  • Guerre économique : sanctions ciblées, embargo technologique et menaces sur les exportations de matières premières.
  • Diplomatie coercitive : conditionner l’aide militaire et l’accès aux accords commerciaux à des concessions politiques (démocratisation, reconnaissance d’alliés, pactes stratégiques).

Les instruments de persuasion massive déployés par les États-Unis

La puissance militaire favorisée par le budget le plus élevé de l’histoire, la présence de nombreuses bases à l’étranger, la supériorité aérienne et spatiale. Le recours à des opérations spéciales pour neutraliser des chefs de réseaux terroristes ou briser des insurrections.

L’arme financière permettant l’exclusion du réseau SWIFT, le blocage des avoirs à l’étranger, le gel des investissements. Pression accrue sur les banques étrangères pour qu’elles se conforment aux sanctions US sous peine d’amendes colossales.

Les alliances-instrumentalisation ont abouti à une Union européenne fragilisée, une OTAN revisitée : désormais, chaque État membre est sommé de contribuer davantage, sinon de risquer l’isolement. Des coalitions ad hoc ont vu le jour (coalition maritime contre la piraterie, coalition antiterroriste) : flexibilité et rapidité, au détriment de la légitimité onusienne.

Cas pratiques et zones de friction

  • Irak et Afghanistan : invasion justifiée par la lutte contre le terrorisme ; retrait hâtif ayant laissé des espaces d’influence à la Chine et à la Russie 
  • Israël : soutien massif aux opérations militaires de Tsahal
  • Iran : maximalisme des sanctions et frappes préventives sur les sites nucléaires
  • Chine : nouvelle frontière de la Pax Americana ; mer de Chine méridionale, guerre commerciale, alliances dans l’Indo-Pacifique pour contenir Pékin
  • Russie : redéfinition de la guerre froide 2.0 ; cyberattaques, ingérences électorales et course aux armements stratégiques
  • RDC/Rwanda : Imposition d’un Accord de Paix assorti d’un accès privilégié des USA aux ressources minérales et aux minerais critiques de la République Démocratique du Congo

Impacts et retournements de la nouvelle Pax Americana

La posture « messianique » et unilatéraliste de Washington suscite des réactions souvent hostiles se traduisant de plus en plus par :

Une polarisation géopolitique où se multiplient les appels à la création de blocs concurrents (BRICS), la quête d’une Union européenne cherchant désespérément une autonomie stratégique, développement de l’axe Indo-Pacifique.

Le rejet du multilatéralisme avec comme conséquence, le désengagement de traités (Paris, Iran, Transpacifique) ; affaiblissement de l’ONU, de l’OMC et de l’OMS.

Des effets boomerang observés notamment dans la radicalisation des populations visées, et par un agrandissement des zones grises où prospèrent djihadistes et narco-états. Des réévaluations des doctrines nationales sont également relevées dans certains pays qui relancent la conscription, investissent massivement dans la défense ou migrent vers des partenariats alternatifs (Chine, Russie, Turquie).

Des critiques et résistances dénonçant l’« impérialisme néo-classique » et appelant à un retour à la diplomatie préventive.

Les opinions publiques lassées par des conflits sans fin, qui plaident pour une réorientation des budgets vers le social, le climat, la recherche.

Des acteurs régionaux, tels que l’Inde, l’UE, certains pays d’Afrique et d’Amérique latine qui cherchent à diversifier leurs alliances pour ne plus dépendre du bon vouloir de Washington.

Vers un ordre multipolaire ?

La Pax Americana de « paix par la force » aiguise les rivalités et force les États à reconstruire leurs stratégies. La montée en puissance de la Chine, le retour affirmé de la Russie, l’avènement de puissances régionales (Turquie, Iran, Brésil) dessinent un futur où aucune hégémonie unique ne pourrait à elle seule gouverner la planète. La « paix par la force » américaine fonctionne comme un levier de pression sans précédent : armes de « persuasion » ou « coercition » massive, sanctions financières, coalitions dynamiques… Mais chaque exercice de cette domination suscite résistances, contrepouvoirs et fragmentation du système international. Face à l’épuisement de la stratégie coercitive, une question s’impose : existe-t-il une voie médiane, combinant dissuasion et engagement diplomatique ? Et surtout : avons-nous la capacité collective de la construire ?

Henri Désiré N’ZOUZI

Analyste géopolitique, producteur du JT diplomatique : strategy.diplomacy@ymail.com

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