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DE LA VIOLATION RÉPÉTÉE DU PRINCIPE DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES DANS L’ORDRE JURIDIQUE CONGOLAIS

Par ROMAIN BATTAJON – Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete

Dans un État de Droit, comme la République démocratique du Congo, le principe fondamental de la hiérarchie des normes est l’un des plus importants que le législateur et le gouvernement doivent respecter dans leur travail de rédaction de textes juridiques. Il organise la hiérarchie de ces textes pour qu’un texte inférieur respecte un texte supérieur, que les règles de compétences attribuées au pouvoir législatif (adoption des lois) et au pouvoir exécutif (adoption des textes réglementaires que sont, principalement, les décrets du Premier Ministre et les arrêtés ministériels) ou encore aux autorités de régulation ne soient pas outrepassées ou contournées.

Pourtant, force est de constater que de plus en plus de textes congolais ne respectent pas cette hiérarchie.

Pour illustrer ce constat, nous pouvons citer par exemple la loi du 8 février 2017 sur la sous-traitance dans le secteur privé, y compris le projet de loi la réformant tel qu’adopté le 6 juin 2025 par le Conseil des ministres. En effet, nous avions, dans un article publié en janvier 2021, défendu l’idée (non contestée à ce jour), que l’article 6 de cette loi, qui exige que les sociétés de sous-traitance, pour être éligibles à cette activité, doivent être détenues en majorité par des Congolais, ne sont pas conformes aux règles internationales, donc supérieures à la loi congolaise, prévues par le Traité du COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa), pourtant ratifié par la RDC.

Ce traité exige notamment que ses États membres suppriment toute restriction à la liberté d’investissement des ressortissants de l’espace COMESA (article 4, paragraphe 6, point e) et que les États membres permettent aux citoyens des autres États membres d’acquérir librement des actions ou d’investir dans des sociétés enregistrées sur leur territoire (article 81).

Un autre exemple plus récent est celui des dispositions adoptées en février 2025 suspendant temporairement l’exportation du cobalt. Il s’agit du décret n° 25/06 du 21 février 2025, modifiant et complétant le Décret n° 19/16 du 5 novembre 2019 portant création, organisation et fonctionnement de l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Marchés de Substances minérales stratégiques (ARECOMS), qui a notamment ajouté à cette instance la compétence « d’adopter, en cas de circonstances affectant la stabilité du marché, toutes mesures temporaires de régulation, et de contrôle de la production, de la commercialisation ou de l’exportation des substances minérales stratégiques, y compris des mesures de suspension à l’exportation ».

Et ce décret a justement été suivi de la décision n° 001/ARECOMS/2025 du 22 février 2025 de suspendre l’exportation du cobalt pendant quatre mois. Décision renouvelée en juin 2025, avec l’objectif de faire remonter les cours du cobalt, jugés trop bas par le Gouvernement.

En effet, l’article 64 bis, point d) du Code minier (qui est une loi, donc supérieure au décret et à la décision de l’ARECOMS) dit que le permis d’exploitation permet à son titulaire, « sans limitation, de disposer, transporter et commercialiser librement ses produits marchands provenant du Périmètre d’exploitation ». Et l’article 108 octies du Code minier dispose que « le titulaire d’un Permis d’exploitation peut vendre ses produits aux clients de son choix au prix juste par rapport aux conditions du marché ». Enfin, l’article 273, point g) de ce même Code prévoit, au bénéfice des titulaires des droits miniers et de carrières, « la liberté de disposer des produits sur les marchés internes, d’exporter et de disposer sur le marché externe, sous réserve des dispositions du présent Code » (et non des dispositions d’un autre texte).

Ainsi, ces trois dispositions légales sont illégalement violées par un décret et une décision de l’ARECOMS. Le fait, comme le Gouvernement l’a justifié, que l’article 7 bis du Code minier, visé par le Décret n° 25/06, prévoit que « L’accès, la recherche, l’exploitation et la commercialisation des substances stratégiques sont régis par des dispositions réglementaires particulières », ne permet nullement aux autorités réglementaires de contredire, dans ces dispositions réglementaires particulières, les règles légales supérieures prévues par le Code minier.

Rappelons par ailleurs que la RDC est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et que l’article XI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 interdit par principe les prohibitions et restrictions à l’exportation « autres que les droits de douane, taxes ou autres impositions », ou encore par voie de « contingents, de licences d’importation ou d’exportation ».

Pour aller plus loin, nous avons analysé les quelques exceptions prévues par les textes de l’OMC (« situation critique due à une pénurie de produits alimentaires ou d’autres produits essentiels », « conservation des ressources naturelles épuisables »), et il apparaît clairement que les textes réglementaires congolais de février 2025 ne peuvent pas être considérés comme entrant dans le cadre de ces exceptions.

L’autre Décret adopté le 21 février 2025, n° 25/05, modifiant et complétant le Décret n° 19/15 portant sauvegarde des activités relatives aux substances stratégiques d’exportation artisanale, et la Décision consécutive n° 002/ARECOMS/2025, du 22 février 2025, méritent la même critique, car ces textes réglementaires fixent, entre autres, des règles de coexistence entre les artisans miniers et les titulaires de permis d’exploitation qui dérogent à celles posées par l’article 30 point e) du Code minier.

Au lieu de prendre des textes inférieurs illégaux, il eût été préférable de demander au législateur de modifier l’article 30 e) du Code minier, comme cela est globalement réclamé depuis longtemps par toutes les parties prenantes du secteur minier au vu des graves problèmes que pose cette disposition légale.

Il en va de même, pour prendre un dernier exemple parmi d’autres, des divers arrêtés du ministre du Commerce extérieur qui ont suspendu temporairement les importations de certains biens (sacs et emballages de minerais et de ciment, divers matériels et intrants en matière électriques, etc.) le 15 janvier 2025 et le 16 avril 2025. Alors que les textes de l’OMC, encore une fois, prévoient qu’un État ne pourra appliquer une mesure de sauvegarde (comme une restriction/interdiction d’importation) qu’après avoir mené une enquête, selon une procédure précédemment établie et rendue publique conformément à l’article X des Accords OMC/GATT, et après avoir démontré que le produit sur lequel la mesure de sauvegarde est appliquée est importé en quantités tellement accrues, dans l’absolu ou par rapport à la production nationale, et à des conditions telles, que ce produit cause ou menace de causer un « dommage grave » à la branche de production nationale de produits similaires ou directement concurrents.

Or, aucun de ces motifs n’a été invoqué et démontré en amont des arrêtés précités. Ce constat étant fait, nous appelons les pouvoirs législatif et exécutif congolais à revenir à de meilleures pratiques de production de textes juridiques, notamment en dialoguant plus en amont avec les représentants du secteur privé, et en se rassurant de la conformité des projets de textes avec le principe de la hiérarchie des normes.

André Wameso Nkwaloki, un défenseur du Franc congolais à la tête de la Banque centrale du Congo