Menu
in

Ruée des Chinois et des Américains vers le lithium congolais

La ville de Manono, dans la province du Tanganyika, abrite les plus importantes réserves mondiales de ce minerai stratégique.

Le soleil vient à peine de se lever que, déjà une multitude de mineurs artisanaux, on les appelle les creuseurs ici, s’active dans le dédale de trous de la carrière de Kitololo. Chaussés de bottes en caoutchouc ou de simples sandales, armés d’une bêche et d’une barre à mine, les centaines d’hommes, de femmes et parfois d’enfants fouillent désespérément le sous-sol à la recherche de traces de coltan ou de cassitérite. « La carrière s’étend tous les mois, indique Floribert, 21 ans, un de ces forçats de la terre. L’année dernière, il y avait des champs ici, on y cultivait du riz et des patates douces. Mais les gens préfèrent creuser, puisqu’on est payé tout de suite à la revente du minerai. Les bonnes journées, on peut gagner plus de 35 000 francs congolais (10 euros) ». À un kilomètre, au pied de la cathédrale de Manono, au centre de cette ville d’environ 150 000 habitants, l’abbé Moïse Kiluba, très engagé dans la défense des droits de ses paroissiens, fait un état des lieux de la situation. « Les minerais font rêver beaucoup de personnes. La demande est forte pour le coltan et la cassitérite, composants essentiels de la révolution numérique qui s’est installée avec la généralisation des téléphones portables. Et on parle de plus en plus de notre gisement de lithium, qui attire les grandes puissances mondiales. D’abord, la Chine et maintenant les États-Unis. »

Dans le sud-est de la République démocratique du Congo, la ville de Manono (environ 180 000 habitants), a été un important centre minier au XXe siècle. Avant de s’enfoncer dans une léthargie profonde à partir de 1982, quand les cadres belges de l’exploitation d’étain sont partis en abandonnant leurs demeures cossues, leurs usines de transformation et quelques gigantesques terrils. Les infrastructures de l’ex-ville modèle se sont progressivement dégradées, la pauvreté s’est installée, les habitants se sont raccrochés au coltan et à la cassitérite, qu’ils arrivent encore à glaner artisanalement dans les anciennes carrières de ce filon stannifère. Et puis une lueur d’espoir a recommencé à briller en 2020, lorsque la compagnie australienne AVZ Minerals a révélé que la cité était bâtie sur plus de 44 millions de tonnes de lithium concentré à 1,65 % (soit 16,5 kilos de minerai pour une tonne de terre), ce qui en faisait la plus importante réserve connue de lithium de roche au monde. Au moment où ce composant des batteries des panneaux solaires, des smartphones ou des voitures électriques confirmait sa place essentielle à l’accomplissement de la transition énergétique (dont le projet est de remplacer les énergies fossiles par des énergies décarbonées), Manono revenait sur la carte des négociations mondiales. Et aiguisaient les appétits des grands groupes miniers.

C’est d’abord la Chine qui se manifeste, par l’intermédiaire du groupe Zijin (déjà présent en RDC, notamment à Kamoa-Kakula, la plus grande mine de cuivre du pays située à Kolwezi). En 2022, le groupe signe un contrat d’exploitation, crée une filiale, « Manono lithium », dédiée à l’exploitation de ce nouvel or blanc, entame les travaux de réfection de la route qui mène à la grande ville de Lubumbashi, 600 km au sud, en ouvre une autre qui gagnera le lac Tanganyika, à la frontière avec la Tanzanie, 300 km à l’est, restaure une première turbine de la centrale hydroélectrique de Mpiana-Mwanga, qui était à l’arrêt depuis 1998, et commence la construction d’un gigantesque complexe industriel destiné à l’extraction. « Nous prévoyons de débuter l’exploitation dès juin 2026, annonce Jian Heyuan, le directeur général, dans son bureau aménagé dans un container posé au fond du terrain qui accueillera bientôt les locaux administratifs et décisionnels. Nous ouvrirons alors le premier projet congolais d’extraction de lithium. »

Mais déjà les États-Unis se positionnent pour accéder eux aussi à ce filon prometteur. Après avoir essayé de mettre la main sur les sous-sols groenlandais puis ukrainiens au cours des premiers mois de son nouveau mandat présidentiel, Donal Trump s’est montré soudainement intéressé par le continent africain et les opportunités de « deals » qu’il pouvait y mener. Avec une ambition assez lisible : repositionner son pays dans cette partie du monde où l’Empire du Milieu s’est rapidement installé au cours des trente dernières années, réduire la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine dans le secteur des véhicules électriques et plus globalement y sécuriser l’accès aux minéraux critiques pour que les États-Unis restent concurrentiels dans l’économie de la transition énergétique. Le 27 juin dernier, le locataire de la Maison-Blanche arrachait son premier succès diplomatique en obtenant la signature d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda – les termes du traité peuvent se résumer par un accès aux ressources naturelles du Congo contre une aide militaire destinée à mettre un terme à ce conflit vieux de trente ans. Un premier pas pour rouvrir la voie aux investissements américains dans le domaine désormais stratégique de l’accès aux minerais, alors que le gisement de Manono fait partie des sites visés en priorité par les Américains en RDC (avec la mine de coltan de Rubaya dans le Kivu du Nord et le « corridor de Lobito », longue route ferroviaire qui a pour objet de faciliter l’exportation des minerais par la façade atlantique de l’Angola, c’est-à-dire en direction opposée à la Chine). Au mois de mai, la société minière californienne Kobold Metals annonçait qu’elle était prête à mobiliser plus d’un milliard de dollars (852 millions d’euros) pour développer l’extraction du lithium à Manono. Le 17 juillet, elle confirmait ce premier engagement en signant un accord de principe pour y démarrer l’exploitation du lithium et, plus globalement, installer un programme d’exploration à grande échelle en RDC, en utilisant notamment l’intelligence artificielle pour identifier les filons les plus prometteurs.

Au Bureau des mines de Manono, une pièce poussiéreuse aux fenêtres condamnées, le relai local du ministère des Mines Jean Kimbasenga essaie d’être philosophe. « Pour le moment, on attend l’arrivée des exploitations industrielles, avance ce quadragénaire jovial coiffé d’un chapeau de cow-boy. Tant qu’elles n’auront pas commencé, le chômage continuera de battre son plein. » À 300 mètres, dans sa cathédrale de briques rouges, l’abbé Moïse Kiluba se montre moins optimiste. Il s’avoue circonspect vis-à-vis de la politique gouvernementale, qui « ne répond toujours pas aux attentes de la population, à commencer par l’accès aux infrastructures de base que sont l’école, les soins médicaux, l’eau, l’électricité et les routes ». Il condamne aussi la corruption et le clientélisme des dirigeants, qui ont, selon lui, « clairement favorisé » l’arrivée de la société Zijin, en citant par exemple un rapport de 2021 publié par l’Inspection générale des finances, qui déplore « des actes de bradage » des actifs appartenant à la RDC lors de cette cession. L’institution publique congolaise avait évalué la perte, pour l’État congolais, à plus de 120 millions de dollars (102 millions d’euros). 

Dans la cour de la radio locale Trait d’union, le journaliste Dieumerci Kabila (sans lien de famille avec l’ancien président de la République, Joseph Kabila) est lui aussi inquiet : « Manono risque d’être impactée négativement par l’exploitation industrielle. Les emplois que commence à proposer Manono Lithium sont rémunérés en dessous du salaire minimum congolais, qui est de 14 500 francs par jour (4,30 euros, NDLR). Et le cahier des charges, le document qui recense les engagements sociaux et environnements des compagnies vis-à-vis des communautés locales n’a toujours pas été produit, alors qu’il aurait dû être rendu public depuis plus d’un an, selon le code minier. Les politiciens s’accaparent tous les bénéfices de l’exploitation minière, la société civile est mise à l’écart. »

La conquête du lithium congolais se joue aujourd’hui dans ce contexte qui pourrait rappeler la ruée vers l’or au XIXe siècle, alors que les pourparlers visant à ramener la paix à la frontière avec le Rwanda se montrent chaque semaine plus compliqués à mettre en place. Si Manono se situe à 700 kilomètres de ce conflit vieux de trente ans, la ville est au cœur d’une autre bataille : celle que mènent deux superpuissances pour contrôler les minerais les plus stratégiques du moment. 

La guerre du lithium à Manono

Par Guillaume Jan (pour Mining & Business)

Quitter la version mobile