Lors d’une audition devant la Commission économique et financière (ECOFIN) de l’Assemblée nationale, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), André Wameso, a reconnu que l’appréciation actuelle du franc congolais par rapport au dollar américain entraînera une diminution des recettes de l’État. Il a néanmoins présenté un ensemble de « mesures correctrices » destinées à atténuer cette crise économique.
Une appréciation « spectaculaire », mais « artificielle »
Selon le rapport de Guy Mafuta, président de la Commission ECOFIN, cette « appréciation spectaculaire » du franc est le résultat d’une mesure prudentielle de la BCC, qui impose aux banques commerciales des réserves obligatoires plus strictes en monnaie nationale. En d’autres termes, la BCC a volontairement réduit la liquidité sur le marché local en francs congolais, entraînant ainsi une hausse mécanique de sa valeur face au dollar.
Bien que la BCC se soit félicitée de son « succès monétaire », elle ne peut plus ignorer les effets secondaires : réduction des marges fiscales, contraction des recettes publiques et pression accrue sur les opérateurs économiques. Pour faire face à cette situation, André Wameso a proposé plusieurs mesures pour maintenir la stabilité du franc, notamment la suppression progressive des exonérations fiscales, l’espoir d’une augmentation de la TVA grâce à une hausse de la consommation, et une compensation par la montée des prix des matières premières, comme le cuivre et le cobalt.
Une BCC dans le déni économique ?
Ces explications n’ont pas convaincu beaucoup d’économistes, dont le professeur Godé Mpoy, qui a exprimé de vives critiques.
« La BCC admet enfin une baisse des recettes de l’État, mais propose malheureusement des demi-mesures pour compenser cette perte. Compter sur la suppression des exonérations, l’augmentation de la TVA par la consommation et la hausse des prix du cuivre ne suffira pas », a-t-il averti.
Il dénonce une analyse superficielle des mécanismes économiques. Selon lui, la suppression des exonérations ne fera qu’étouffer les entreprises bénéficiaires, tandis que l’espoir d’une augmentation de la TVA est illusoire dans une économie duale où la dollarisation et les paiements irréguliers des agents publics entravent toute expansion de la consommation. En ce qui concerne la dépendance à la hausse du cuivre, le professeur Mpoy rappelle que cette volatilité a déjà coûté cher au pays : « En mai 2024, la tonne se négociait à 10 800 dollars, mais nos recettes n’ont pas dépassé 9 milliards. L’émotion ne doit pas remplacer la raison », a-t-il souligné.
Une politique monétaire sans coordination budgétaire
Ce débat met en lumière un problème fondamental : l’absence de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire. En forçant l’appréciation du franc sans simulation préalable, la BCC a fragilisé le cadrage macroéconomique du budget 2025, a noté le professeur Mpoy, surtout que les recettes fiscales sont calculées en fonction du taux de change. Une baisse rapide du dollar entraîne donc une diminution automatique des montants collectés par les régies financières.
Les conséquences sont prévisibles : ralentissement des rentrées fiscales, difficultés à payer les salaires publics et tensions dans les provinces, qui dépendent également de taux de change désormais défavorable.
Face aux critiques, André Wameso a tenté de rassurer, en garantissant la « pérennité » de ses mesures et en affirmant la nécessité de revaloriser la monnaie locale. Cet optimisme est jugé déconnecté par certains analystes, qui estiment que cette politique d’« appréciation forcée » profite surtout à une minorité d’importateurs et de détenteurs de francs, tout en pénalisant les exportateurs et les acteurs du marché du dollar.
Un virage risqué pour la stabilité économique
La BCC semble s’engager dans une stratégie monétaire aux effets incertains, privilégiant l’affichage d’un franc fort au détriment d’une vision à long terme. L’audition du gouverneur a confirmé les craintes de nombreux observateurs : sous l’apparence d’une monnaie « stabilisée » se cache une économie vulnérable à des déséquilibres budgétaires et sociaux majeurs.
À moins d’une réorientation rapide et coordonnée entre la BCC et le ministère des Finances, la République démocratique du Congo risque de subir les conséquences coûteuses de cette appréciation « fortuite », symbole d’une politique monétaire qui mélange volontarisme et improvisation.
Source Jean-Baptiste Leni, Deskeco.com


