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Retour sur les échanges du « Makutano Talk » avec Monsieur le Ministre des Mines

Par Romain Battajon, Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete

Le 25 novembre 2025, à Kinshasa, Monsieur Louis Watum Kabamba, ministre national des Mines, s’est prêté, pendant plus de trois heures, à l’exercice des questions (non préparées) d’un panel, invité par le Réseau d’affaires Makutano, composé d’une cinquantaine de représentants du secteur privé et du secteur public, des ambassades et institutions internationales, des médias ainsi que de quelques avocats experts du secteur minier, dont votre humble serviteur.  

De nombreux sujets ont pu être évoqués, sans langue de bois ni excès de protocole, en passant des plus stratégiques (accords alors en discussion sur la situation dans l’Est du Congo, géopolitique des minerais critiques, concurrence internationale…) aux plus pratiques (envahissements massifs des sites miniers, nouvelles règles d’exportation du cobalt, contrôles intempestifs et multiples…). Sans oublier les questions récurrentes sur la corruption, la lourde fiscalité et parafiscalité, ou encore les carences en énergie. Autant de préoccupations que Monsieur le Ministre des Mines n’a pas esquivées.

Ainsi, face aux craintes exprimées de perte de souveraineté territoriale et économique dans les provinces occupées à l’Est (riches en minerais), Monsieur Watum Kabamba a martelé avec assurance qu’il ne fallait pas céder au défaitisme et que la République Démocratique du Congo retrouvera bientôt la pleine maîtrise de son autorité sur ces territoires. 

S’agissant des enjeux géostratégiques entre les USA et la Chine, au sujet, notamment, de l’exploitation des ressources minières congolaises, le ministre des Mines est resté ouvert à toutes les options, en se félicitant que les USA veuillent maintenant rattraper le retard perdu au cours des années passées dans ce secteur. Tout en rappelant que, s’il y a certes des critiques légitimes à faire sur les mauvaises pratiques de divers opérateurs privés chinois, c’est tout de même grâce aux grandes compagnies minières chinoises (qui sont venues quand les autres partaient ou hésitaient) que la RDC est devenue le 2e producteur mondial de cuivre et le 1er producteur mondial de cobalt.    

Questionné sur les grands projets de corridors, ferroviaires et routiers, pour l’exportation des minerais, le ministre des Mines a encouragé tant le projet du Corridor de Lobito (en Angola), que celui (plus intéressant, selon lui) devant relier Sakania (au sud du Haut Katanga) à Banana (futur port en eaux profondes situé sur la côte Atlantique congolaise).

Il a d’ailleurs été évoqué l’énorme potentiel minéral, encore inexploité, du Kongo Central (cuivre, or, fer, manganèse, marbre, etc.), alors que cette province présente notamment les avantages d’être plus proche des ports de l’Atlantique, de la centrale d’Inga et aussi de la capitale.

Pour rester sur les projets miniers autres que ceux du Grand Katanga, le ministre des Mines a annoncé avec fierté un grand projet « structurant » d’exploitation de 20 milliards de tonnes de fer dans la Grande Orientale, avec instauration prévue de zones économiques spéciales, de chemins de fer et de centrales électriques, en vue de fabriquer localement de l’acier. 

Dans le même registre optimiste de la volonté et de l’action, le ministre des Mines a annoncé que, malgré toutes les carences évoquées, qu’il n’a pas niées, il venait d’inaugurer, le 21 novembre, le lancement de la plus grande (et plus écologique) fonderie de cuivre d’Afrique, opérée au Lualaba par la compagnie Kamoa Copper. 

Revenant aussi sur l’affaire « CDM », compagnie minière chinoise suspendue suite à un grave accident environnemental, le ministre des Mines a assuré l’auditoire que les rapports d’enquête seront bientôt terminés et que des poursuites judiciaires rigoureuses seront engagées contre toutes les personnes responsables, à quelque niveau que ce soit, y compris du côté des services administratifs qui auraient été défaillants. 

Il s’est montré tout aussi déterminé en évoquant le drame de la mine de Mulondo, où des dizaines de creuseurs ont récemment péri par suite, semble-t-il, d’un éboulement de terrain. Dans une formule marquante, le ministre a rappelé qu’il n’y a pas un « général 4 étoiles » qui est au-dessus de la loi… sous-entendant ainsi l’implication possible dans ce drame de hauts gradés de l’armée congolaise. Le ministre n’a pas épargné non plus les probables négligences, voire complicités de bon nombre d’agents de l’État. 

Relancé sur le sujet des creuseurs artisanaux, le ministre Watum Kabamba a pu exprimer d’une part son respect et son admiration pour ces jeunes gens courageux et prêts à mourir pour… survivre ! D’autre part, il a prôné la formation professionnelle et l’encadrement des artisans miniers, afin qu’ils puissent soit être embauchés formellement dans l’industrie minière, soit se reconvertir dans d’autres emplois.

Questionné plusieurs fois sur le comportement violent et illégal de bon nombre de creuseurs qui envahissent manu militari des sites industriels, parfois soutenus par des opérateurs illégaux semi-industriels et des militaires, le ministre des Mines a admis que l’État doit pouvoir réinstaurer l’ordre et l’état de Droit. Il a rassuré les représentants d’entreprises minières que ce problème, dont souffrent beaucoup d’entre elles, fait partie de ses priorités, et que des actions seront menées bientôt, même s’il ne pouvait pas donner plus de détails. 

Entre-temps, le ministre des Mines a sollicité du conseil des ministres le feu vert pour mener une longue et forte campagne d’actions répressives destinées à ramener l’ordre et le financement permettant d’instaurer plusieurs dizaines de nouvelles zones d’exploitation artisanale bien encadrées. 

Il reste à espérer que l’éthique, le patriotisme et la volonté sans faille dont le ministre Watum Kabamba a, encore une fois, fait preuve lors de ce « Makutano Talk » ne seront pas trop freinés, voire annihilés, par tous ceux, corrompus (et parfois puissants), qu’il a fustigés, ni par une forme d’« État profond » qui risque de ne pas vouloir se laisser bousculer dans ses mauvaises pratiques.

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