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Albert YUMA, PCA de la Gécamines

Mining and Business Magazine a rencontré Albert Yuma, PCA de la Gécamines. Il livre dans un entretien à cœur ouvert ses vérités. Interview.

MINING AND BUSINESS : Albert YUMA, on parle beaucoup de vous, mais on vous connaît mal. Qui êtes-vous ?

AY : J’aurai bientôt 63 ans. Je suis né à Kongolo le 30 juillet 1955 au Tanganyika, en RD Congo. J’ai passé la plus grande partie de ma scolarité en Belgique où j’ai également fait des études universitaires et suis diplômé de l’Université catholique de Louvain en Économie, en Sciences du Travail, et en Gestion Financière.

Ensuite, j’ai commencé ma carrière au groupe TEXAF dont je suis toujours président et dont je fus Directeur général. TEXAF est aujourd’hui une société financière Congolaise dont je suis actionnaire ; elle fut société de production textile par le passé, mais a cessé cette activité à cause de la concurrence chinoise. J’ai depuis repris à titre personnel, via ma société, TEXICO, l’activité de confection.

Depuis 14 ans maintenant, je suis Président du patronat congolais et je mène une carrière internationale dans les affaires. J’ai dirigé pendant quatre ans la CPCCAF, je suis administrateur au BIT, où je représente les employeurs de l’Afrique Centrale et, depuis 2017, Président de « Business Africa », qui est le groupement de tous les patronats africains. Je suis également Président du comité d’audit de la Banque Centrale du Congo depuis 14 ans.

MINING AND BUSINESS : Vous êtes pourtant connu dans le monde entier pour vos fonctions à la Gécamines !

AY : Non ! Non ! Je suis d’abord le patron du secteur privé en RDC. Si j’ai été appelé par le Président Kabila, c’est pour imprimer à la Gécamines une gestion de type privée : c’est très clair ! Et je le martèle sans relâche : je n’ai pas vocation à rester à la Gécamines. J’y suis venu pour la réformer, faire renaître la société minière qu’elle n’était plus. La Gécamines était considérée comme morte, on n’en parlait même plus ! Moi, j’ambitionne de la remettre sur le devant de la scène. En avril 2010, la Banque mondiale avait sorti un rapport, qui recommandait au Gouvernement congolais de fermer la Gécamines. C’est à ce moment-là qu’on a fait appel à moi. J’ai accepté la mission, mais ai refusé la direction générale ; pour être PCA. Ma mission consiste à donner l’impulsion, structurer, donner une vision, mais pas à être un opérationnel !

Bref, les gens se trompent ! Moi, je suis d’abord un opérateur privé… de passage à la Gécamines.

MINING AND BUSINESS : Vous avez annoncé à la DRC Mining week une réorganisation de la Gécamines. Que va-t-il se passer ?

AY : La Gécamines a trois priorités : un, se réformer. Nous avons commandé un audit organisationnel de la société. Deux, pouvoir enfin réellement tirer profit des partenariats et donc les renégocier. Trois, inventer de nouvelles formes de collaboration dans nos futurs partenariats, en développant le système de partage de production qui vient du secteur pétrolier. La Gécamines ne fera plus de joint-ventures minoritaires comme aujourd’hui, c’est terminé. Ce sont là, les trois axes en rappelant que cette orientation stratégique fait suite aux résultats de trois années d’Audit et de modélisation économique et financière des résultats de toutes nos JV.

MINING AND BUSINESS : Pourquoi avoir pris de tant de temps ? Ça a pris trois ans ?

AY : Oui, trois ans. D’abord, il y a eu des résistances des partenaires majoritaires qui ne voulaient pas donner accès à la documentation (sourire) ; on a dû forcer et pousser. Et, vous avez vu, dans le cas de KCC, nous sommes allés jusqu’à la procédure judiciaire suspendue suite à leur décision de vouloir négocier. J’ai commencé cet audit parce que, je vous l’ai dit, la Banque Mondiale avait recommandé de fermer, mais, indépendamment de cet avis, il fallait liquider la Gécamines !

À l’époque, la société comptait près de 12 000 travailleurs pour une production de 10 000 tonnes par an ! Elle avait un passif de 1 milliard et demi de dollars… Ce n’était plus une société, c’était un musée ! Un musée parce que les derniers investissements avaient été faits il y a plus de 45 ans. Il n’y a plus une seule entreprise minière en Afrique ou dans le monde qui utilise ce type d’équipements. La mine, ce n’est pas la cuisine : ce n’est pas dans les vieilles casseroles qu’on fait de la bonne soupe ! Musée également parce que la moyenne d’âge du personnel était de 59 ans ! Avec ce cocktail, vous ne pouviez pas espérer conduire une entreprise en RDC.

En novembre 2010, au moment de ma nomination, l’État Congolais  allait prendre en charge le passif financier, mais ne l’a finalement pas fait. Il n’avait pas les moyens et je ne le condamne pas. Donc, on a dû trouver le moyen pour survivre en attendant de récupérer les revenus qui nous avaient été promis.

En prime, les bailleurs internationaux avaient dit à l’État congolais : « Donnez vos gisements aux partenaires étrangers, ils sont plus qualifiés que vous pour les gérer et vous aurez des dividendes pour les bénéfices »

MINING AND BUSINESS : Donc, ils vous disaient : « transformez la Gécamines en société du Portefeuille » ?

AY : Exactement  ! Arrêtez la production de cuivre et de cobalt, vous n’êtes pas capable et vous n’avez plus ni équipements ni gisements. Et c’était en fait une vérité ! À partir des années 2000, la CGM a cédé plus 32 millions de tonnes de cuivre et près de 3,5 millions de tonnes de cobalt dans des partenariats. Gécamines n’a gardé que deux vieilles mines qui avaient un maximum de potentiel de 500 000 tonnes. C’est un miracle qu’on soit encore vivants ! Avec en plus un avenir qui se dessine très clairement. Et si j’ai accepté cette mission, c’est parce que, moi aussi, j’étais révolté qu’on ait dit à un État souverain comme la RDC de liquider le fleuron minier qu’était la Gécamines, et qui représentait 70 % de ses recettes. C’est le Chef de l’État qui a refusé et qui m’a demandé si je pouvais accepter cette mission de redresser l’entreprise.

MINING AND BUSINESS : C’est en effet utile de refaire un peu l’historique !

AY : Les travailleurs avaient près de 14 mois d’arriérés de salaire. On les payait 3 ou 4 fois par an. Aujourd’hui, ils sont payés tous les mois et nous n’avons plus que 6 mois d’arriérés en payant tous les mois et en apurant progressivement les arriérés.

MINING AND BUSINESS : Vous avez combien d’employés aujourd’hui ?

AY : Environ 8700. Car, en parallèle, nous avons lancé un plan social, avec l’accord des syndicats, pour réduire les effectifs. 2279 personnes ont déjà quitté l’entreprise avec, pour la première fois dans une entreprise du Portefeuille, l’indemnité totale prévue et par la loi et par la convention collective.

MINING AND BUSINESS : Cela a été fait quand ?

AY : Depuis 2015 et ce fut financé intégralement par la Gécamines, soit aujourd’hui 42 millions d’USD, sans assistance de l’État ni de qui que ce soit. Je rappelle que sous la conduite de la Banque Mondiale, la Gécamines avait déjà proposé un départ volontaire à 10 000 personnes avec des forfaits, mais on ne leur a jamais payé leur décompte final légal…

MINING AND BUSINESS : C’était un financement Banque mondiale ?

AY : Oui, mais c’était des forfaits et les décomptes finaux n’ont pas été payés. Il y a d’ailleurs un procès contre la BM. Certaines personnes sont parties avec 41 mois de retard… On leur a dit : nous, on ne sait plus vous payer… La Banque Mondiale vous donne un paquet pour partir. C’est à prendre ou à laisser !

Aujourd’hui, nous travaillons avec les syndicats et convenons d’une échéance de paiement. Tous les travailleurs ont été payés intégralement ; quant aux cadres de niveau supérieur, on procède par tranche, mais on paye plein pot au regard de la convention collective.

Pour ce qui concerne les salariés susceptibles de partir à la retraite, ils peuvent et doivent désormais partir, c’est légal. Mais les autres sont désormais moins tentés de quitter la société malgré les incitations, car ils voient qu’elle se restructure et que nous payons les salaires avec d’avantage de régularités.

MINING AND BUSINESS : Toujours lors de ce discours de la DRC Mining week, vous avez expliqué avoir un programme ambitieux pour faire passer la société de 8500 employés à 3200. C’est bien cela ?

AY : Oui, mais sans casse ! C’est le résultat d’un audit organisationnel réalisé par EY qui a conclu que la structure Gécamines est totalement inadaptée à la compétition internationale à cause de son sureffectif, de ses équipements obsolètes et son modèle de gestion. Personnels âgés, structure trop hiérarchisée, lourdeur administrative qui empêchent l’efficacité, etc. Nous allons transformer cette entreprise — et c’est une révolution ! — en une entreprise moderne en supprimant des échelons hiérarchiques et en rapprochant réellement les décideurs de la production. Nous allons créer des business units et supprimer les directions inutiles.

Les auditeurs ont interviewé une centaine de cadres. Ils ont travaillé avec tout le monde, y compris les syndicats. L’originalité de la démarche, c’est que nous ne gardons que 3200 personnes en opérationnel, 2000 dans ce que nous allons appeler les activités sociales (écoles, dispensaires, hôpitaux…) qui pourront d’ailleurs éventuellement être cédées, et 3000 dans une réserve opérationnelle.

MINING AND BUSINESS : C’est quoi une réserve opérationnelle ?

AY : La réserve opérationnelle, ce sont des travailleurs qui n’auront plus de place dans le nouvel organigramme, mais qui sont encore en âge de travailler et qui probablement peuvent être intégrés dans les futurs projets, comme le projet de Deziwa par exemple.

Cela fait partie des accords avec nos partenaires. Dans cet accord unique, Gécamines récupérera l’intégralité de la société de gisement sous dix ans. Dès lors, le partenaire doit recruter en priorité dans la réserve opérationnelle de la Gécamines. Donc sur les 3000, on est quasiment sûr que les deux tiers retrouveront un emploi industriel dans les 24 mois.

MINING AND BUSINESS : Quel type d’emplois est-ce ? Des techniciens ? Des ingénieurs des mines ?

AY : Oui, mais aussi beaucoup de personnels d’exécution des usines de Kolwezi qui ont été fermées par exemple, et aussi de l’administration liée à notre ancienne organisation, mais qui n’ont plus leur place dans la nouvelle structure. On supprime des échelons hiérarchiques, et nous ne gardons que ce qui sera comparable à la plupart des entreprises, à la taille de Tenke Fungurume Mining (TFM), ou de KCC par exemple. Or, là, on a plus au moins 5000 personnes de trop, dont 2000 que nous sommes obligés de garder, car nous avons une obligation sociale historique. Savez-vous que tous les hôpitaux du Katanga appartiennent à la Gécamines  ?

MINING AND BUSINESS : Ça, vous n’avez pas prévu à terme de le privatiser ?

AY : Il y a trois options sur la table. Soit on en fait une fondation autonome dans laquelle on met les fonds initiaux — en espérant qu’elle aura des apports extérieurs pour la faire fonctionner. Soit, nous recherchons des partenaires privés intéressés à reprendre une partie de ces activités. Dernière option, nous nous sommes rapprochés avec les deux gouvernorats du Lualaba et du Haut Katanga pour voir dans quelle mesure ils peuvent reprendre ces activités. D’ici, deux ans, la question sera tranchée.

MINING AND BUSINESS : Revenons à l’avenir du personnel versé dans la réserve opérationnelle ? Ils seront tous engagés à terme dans une JV ?

AY : Une JV ou une société nous appartenant, comme Kingamyambo qui sera la première usine neuve construite par la Gécamines.

MINING AND BUSINESS : Avec une direction générale chinoise, par exemple, est-ce que ces personnes devront se mettre aux normes chinoises ? Que va-t-on faire d’eux s’ils ne sont pas performants ?

AY : Nous n’allons rien imposer à nos partenaires, d’autant que c’est nous qui récupérons l’entreprise à terme, donc on doit lui donner la chance de réaliser ses objectifs. C’est très clair, le partenaire prendra, je m’excuse du terme, les meilleurs… Et ceux qui ne pourront pas être pris auront leur décompte final.

MINING AND BUSINESS : Donc il y aura quand même un peu de « casse » ? Et c’est déjà négocié avec les syndicats ?

AY : Les syndicats ont été les seuls qui ont été associés au processus ! Et les trois délégués syndicaux principaux ont toujours assisté aux conseils d’administration.

MINING AND BUSINESS : Je reviens sur ce qu’il s’est passé avec KCC. Vous étiez vraiment prêt à aller jusqu’au bout ?

AY : Si on n’avait pas trouvé d’accord, on allait à la dissolution. Ils ont eu peur, mais finalement, KCC a compris son intérêt.

MINING AND BUSINESS : Vous avez donc cogné très fort en commençant par le plus gros ! Et ils vont tous y passer ?

AY : Je pense que ça se fera de façon amiable et volontaire, mais on va en effet les revoir tous, parce que les résultats des audits sont là et il est clair qu’aucun partenaire ne s’est bien comporté avec la Gécamines.

Une des plus grandes réformes que nous faisons, c’est la nouvelle Direction des participations de la Gécamines. Nous voulons que la Direction des participations soit l’interlocutrice pour faire respecter les accords et les partenariats. Le premier geste symbolique en ce sens, c’est la construction d’un nouveau bâtiment à Lubumbashi dont les travaux ont commencé. Nous allons recruter des cadres de haut niveau, des ingénieurs, des financiers qui disposeront d’un outil de travail à la mesure de nos ambitions.

J’ai reçu récemment une quarantaine de jeunes cadres congolais venant de tous nos partenariats pour leur parler de notre avenir. La plupart d’entre eux avaient quitté la Gécamines parce qu’il n’y avait plus d’avenir, les autres ayant commencé leur carrière directement dans le partenariat. Ils m’ont expliqué qu’ils avaient été attirés par de meilleures conditions financières et matérielles. Et qu’ils sont prêts à réintégrer la Gécamines si nous les rassurons sur ces deux points.

MINING AND BUSINESS : Vous êtes arrivé en 2010, et les premiers audits ont eu lieu en 2015.Pourquoi avoir attendu 5 longues années ?

MINING AND BUSINESS : Certaines ONG parlent de votre enrichissement personnel. Pourtant, l’argent ne vous impressionne pas trop, on dirait !

AY : Absolument pas. Tous les biens que j’ai, je les ai eus avant d’arriver à la Gécamines, car je viens d’une famille d’entrepreneur. Mon père, qui a 86 ans, a été le premier homme d’affaires privé zaïrois à avoir une compagnie aérienne, et fut membre du Parlement. J’ai étudié en Europe aux frais de mes parents…

Se lancer dans la réorganisation de la Gécamines quand on prend en compte l’état dans lequel se trouve l’entreprise présente un enjeu financier considérable. Le Plan de transformation ambitieux que nous avons établi et que nous mettons en œuvre permettra d’offrir un avenir à la Gécamines en la repositionnant sur l’échiquier des grands opérateurs miniers Africcains et  internationaux. C’est aussi un défi personnel pour l’intérêt général pour mon pays. Ce qui explique mon implication forte.

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