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Le décollage africain s’est-il limité à quelques enclaves ?

sur 54 pays africains, seuls 27 comptent un PIB par habitant inférieur à 1 000 dollars avec une économie d’archipels et des zones de croissance limitées aux régions littorales et aux métropoles.

L’afro-pessimisme extrêmement marqué est allé de la fin de la guerre froide au 1er septembre 2001 : l’Afrique est alors le continent des famines, des guerres, des interventions humanitaires, du génocide rwandais…La situation va se retourner pour deux raisons : d’abord, une restauration sécuritaire va se mettre en place ; les USA s’intéressent de nouveau au continent dans la foulée des attentats de Nairobi et Dar es-Salaam en 1998.Ensuite, la montée en puissance de la demande chinoise va aspirer le pétrole et les matières premières africaines. La situation se retourne dès 2002-2004, mais les perceptions vont mettre un peu de temps à changer.

Entre 2005 et 2013, les taux de croissance sont très élevés, notamment à cause de l’explosion du prix des matières premières ; l’Afrique redevient une terre d’opportunités. Des gens comme Lionel Zinsou (ancien banquier, premier ministre du Bénin et candidat à la présidentielle) tiennent un discours très positif.Ce boom africain, éphémère, se retourne dès 2013-2014. L’épidémie d’Ebola met l’Afrique en quarantaine, alors que seuls trois pays sont touchés. Le ralentissement de la demande chinoise et la baisse du pétrole vont révéler la réalité d’un décollage très fragile, réduit en fait à quelques enclaves.L’explosion de la Libye et l’effondrement de la bande sahélienne vont menacer la perception de l’ensemble du continent comme pôle de croissance.

Mais Il faut rester réaliste : sur 54 pays africains, seuls 27 comptent un PIB par habitant inférieur à 1 000 dollars avec une économie d’archipels et des zones de croissance limitées aux régions littorales et aux métropoles.L’Afrique demeure donc cet endroit très risqué pour les investisseurs : les infrastructures, le climat social, le droit du travail, la sécurité juridique y restent hautement hypothétiques, la corruption paralysante.Le discours reste néanmoins positif et ambitieux sur l’Afrique, terre d’avenir, la réalité du terrain moins reluisante.Les Etats africains restent prébendiers, corrompus et prétoriens : les inégalités, le ressentiment des laissés-pour-compte (jeunes, ruraux, habitants des bidonvilles, minorités) et la tentation permanente à la violence persistent.Du point de vue démographique, l’Afrique reste globalement sous-peuplée, avec 40 habitants par km carré et une population inégalement répartie ; la croissance démographique est très rapide dans les campagnes, mais les techniques restent traditionnelles. Cette croissance pourrait être une force énorme si l’on menait des croissances inclusives avec la capacité à créer des emplois dans l’industrie qui reste embryonnaire et la formation peu adaptée.

La jeunesse, inventive et débrouillarde, est donc obligée de trouver des chemins de traverse dans l’économie informelle ou l’émigration. Connectée, elle a conscience des inégalités, ce qui alimente un ressentiment terrible. Les pays africains qui n’arriveront pas à créer des emplois se trouveront face à des révolutions, comme le monde arabe en 2011.La classe moyenne qui commence à 2 dollars par habitant et par jour, là où ailleurs dans le monde la barre est à 10 dollars, n’est en fait qu’un groupe de gens à peine sortis de la pauvreté et qui vivent dans la panique du déclassement.

Sur 300 millions, 200 millions vivent avec 2 à 4 dollars par jour, d’autres se situent entre 4 et 10 dollars. Ceux qui gagnent entre 10 et 20 dollars par jour ne sont pas plus de 60 millions. L’Afrique reste le continent de la pauvreté et même de l’extrême pauvreté.Avec ses 700 millions de téléphones portables en circulation, les gens n’ont de quoi s’acheter du crédit. L’envolée des matières premières a certes créé un effet d’aubaine, mais les pays bénéficiaires tels que l’Algérie, le Nigeria ou l’Angola, n’en ont pas tiré profit pour se diversifier. Aujourd’hui, la baisse des revenus est colossale contrairement à ces pays qui ont su s’industrialiser : l’île Maurice, l’Afrique du Sud, le Botswana, l’Egypte, le Maroc, l’Ethiopie, …

Au regard des grandes crises alimentaires récentes, l’Afrique francophone s’en sort plutôt bien par rapport à la « diagonale anglophone », qui va du Soudan du Sud à l’Afrique du Sud, en passant par la République démocratique du Congo et le Zimbabwe. Finalement, le franc CFA a créé un îlot de ­stabilité.L’irruption de la Chine a été positive en montrant que l’Afrique, avec ses immenses potentialités, valait le coût d’être équipée en infrastructures, que ses terres pouvaient être exploitées, que la classe moyenne pauvre pouvait former un marché du moment qu’on lui proposait des produits adaptés. La Chine a apporté des biens et des services bon marché, mais elle n’a aucune fibre humanitaire, contrairement à l’Europe. Elle a eu une logique purement intéressée.

La Baule de François Mitterrand, en 1990, qui conditionnait l’aide au développement à la démocratisation  ne sera en fait que l’abandon du continent, un abandon confirmé quatre ans plus tard quand le français Edouard Balladur déclarait : « Plus d’aide économique sans accord avec le Fonds mondial international. Les plans d’ajustement structurels lancés la décennie précédente, ont asphyxié les économies. (…) L’Afrique n’avait jamais connu la démocratie ni pendant la colonisation ni après les indépendances … ». En fait, la démocratisation a réveillé les pires démons. On dit qu’il y a la démocratie en Afrique, ça a plutôt conduit à des « démocratures » : le sortant accapare tous les moyens pour se maintenir au pouvoir. Le mode de fonctionnement des Africains, c’est le consensus par la négociation ; L’idée que 51 % l’emportent sur 49 % ne veut rien dire dans ces sociétés extrêmement hiérarchisées et codifiées.

Les seuls pays qui décollent sont ceux qui soutiennent l’agriculture et pratiquent la croissance inclusive ; Cela revient à donner aux foyers pauvres des sommes d’argent conditionnées à la scolarisation des enfants, au respect des programmes de santé, etc. Mais ça ne peut fonctionner que si le pouvoir d’achat des pauvres augmente et permet aux entreprises nationales de vendre leurs produits. Aujourd’hui, 65 % de ruraux sont très pauvres, soit 700 millions de personnes !

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