Depuis 30 ans, il a couvert tous les conflits, l’Afghanistan, le Liban, l’Irak, l’Ex Yougoslavie et tant d’autres mais aussi le Rwanda en 94 et la RDC en 1997. Il fait partie du club très fermé des grands journalistes-photographes de guerre. Il vient de publier un livre exceptionnel « Et Dieu créa la guerre » aux éditions Lammerhuber. Entretien avec un grand Monsieur, un grand témoin de la folie des hommes au cœur des ténèbres.
M&B : Pourquoi ce livre ?
Noël Quidu : J’ai voulu que ce livre existe pour m’insurger contre le fondamentalisme religieux qui emporte l’humanité à sa perte. Au nom de Dieu, on mène de nouvelles guerres de religion. Au nom de Dieu, on tue les « mécréants ». Au nom de Dieu, on justifie des actes terroristes ignobles de Paris à Kaboul, de New York à Mossoul, de Londres à Mogadiscio, de Berlin à Bamako. Au nom de Dieu, on massacre des innocents, on fait sauter des enfants sur le chemin de l’école. Dieu n’était qu’amour, m’avait-on appris dans ma plus tendre enfance. À moins que Dieu n’ait créé la guerre. Mes photographies restent un rempart contre le totalitarisme prôné par les nouveaux fous de Dieu. Chaque photo raconte une histoire tragique pour dénoncer, pour essayer de réveiller. Et j’ai toujours une pensée particulière pour les enfants.
M&B : Quelle est votre photo préférée ?
N.Q : Je n’ai pas de préférence dans la violence mais certaines photos me touchent plus quand la destinée s’empare d’un homme jusqu’à sa perte et que l’on ne peut rien faire. Comme ce jeune soldat russe en 95.
Je traversais le pays à pied à travers la forêt avec des Tchétchènes. Nous avons entendu des bruits de moteur. On s’est rapproché. Des soldats russes étaient là juste derrière une haie. On les entend parler. Ils étaient tellement près que si je rembobinais mon appareil, ils m’auraient entendu. D’un seul coup, j’ai vu un soldat russe arriver. Il avait une envie pressante. Deux rebelles tchétchènes arrêtent le soldat russe et l’emmènent.
Les autres combattants tchétchènes arrivent et là ça devient l’enfer.
Cette photo est émouvante, car le soldat est très jeune, il a peur et je sens qu’il a des soucis à se faire.
En effet, quelques jours plus tard, après d’incessants bombardements par l’aviation russe, la rébellion, en signe de vengeance, décida de tuer tous les soldats prisonniers. Un matin, on est venu me chercher pour que je fasse des photos de ces exécutions. Le soldat était parmi eux. J’ai refusé. On ne me convoque pas pour être l’assistant du bourreau, pour être le complice d’un assassinat.
M&B : Vous avez remporté de nombreux prix récompensant votre courage et votre talent. Parlez-nous de vos 3 prestigieux World Press Award.
Belgrade. Le poing levé devant le parlement. C’est le peuple qui provoque la chute de Milosevic
C’est à Bouaké en Côte d’Ivoire. C’est l’exécution sommaire d’un pauvre gars qui vient de voler un ventilateur.
La chute de Monrovia au Libéria. Ce gamin vient de recevoir une balle. Il va mourir quelques minutes après cette photo.
M&B : Quelle a été la réaction de votre famille en découvrant le livre ?
N.Q : Au-delà de toute autre considération, j’ai fait cet ouvrage pour mes enfants et en particulier pour mon fils Lou.
Il me disait toujours : « Papa, tu pourrais quand même faire un livre ». Il est mort à 21 ans, en allant secourir un ami qui était en train de se noyer dans l’océan atlantique. Cela fera 2 ans dans quelques jours. J’ai donc tenu ma parole. Je lègue ce livre à mes enfants et mes petits-enfants. Comme cela, le jour où je partirai, ils sauront que leur père a essayé de défendre la liberté, la dignité en allant voir lui-même.