John Kanyoni est vice-président de la Chambre des Mines de la Fédération des Entreprises du Congo. Opérateur dans le secteur minier, mais aussi dans le secteur de l’énergie, il nous livre son analyse de la situation en RDC. Interview.
M&B : Vous pouvez nous parler de vos deux sociétés ?
JK : À travers Metachem, nous opérons dans le Nord-Kivu où se trouve notre siège social. Nous opérons aussi dans la province du Maniema où Metachem travaille avec la Sakima. Nous avons des assets que nous sommes en train de développer au niveau du Sud-Kivu dans la fi lière de l’étain, du tungstène et du colombotantalite. À travers notre entreprise Tembo Power, nous sommes aussi présents dans la province du Lualaba où nous développons un projet de barrage hydroélectrique d’une puissance de 66 MW couplée avec 33 MW de solaire. Nos études ont été approuvées par le gouvernement et nous sommes déjà très avancés dans les négociations avec des groupes internationaux comme Eiff age comme EPC (Ingénierie, Approvisionnement et Construction)
M&B : Ce barrage sera construit où exactement ?
JK : À Lubudi, dans la province du Lualaba pour desservir les mines. Les entreprises avec lesquelles Tembo Power discute sont parmi les majors de la RDC, mais nous approvisionnerons aussi les communautés riveraines.
M&B : Vous êtes depuis dix ans Vice-Président de la Chambre des Mines de la Fédération des Entreprises du Congo, la FEC. Quel message pour INDABA 2020 ?
JK : Le message est très simple : la RDC reste le pays de prédilection en termes de potentiels et d’investissements. Nous sommes aujourd’hui le premier producteur de cuivre d’Afrique : un million de cathodes de cuivres, nous avons les plus grosses réserves de cobalt au monde, mais aussi de lithium, de germanium et de coltan. Autre exemple, Ivanhoe a découvert des gisements qui auront une durée de vie de 100 ans, ce qui est exceptionnel. Cependant, nous avons un grand défi : Le Congo n’arrive pas à fonctionner en pleine capacité du fait du défi cit d’énergie. Pour y pallier, trois projets privés sont en cours ; notre projet Tembo Power, Kipay Energy et Great Lakes.
M&B : Et le code minier ?
JK : Pour le code minier, tout n’est certes pas parfait. Surtout la parafiscalité, la question de la clause de stabilité a été aussi au cœur du débat lors de l’examen par le parlement. Si le volet parafiscal ne faisait pas exploser notre taux de la redevance minière à payer, je dirais avec fermeté que nous ne sommes pas aussi mal outillés par rapport aux autres pays africains. J’espère qu’avec le nouveau leadership, ces questions pourront être résolues ; il serait judicieux de faire une évaluation de la loi minière, d’en relever les défis qui affectent l’industrie minière dans sa fiscalité et parafiscalité avant d’envisager son amendement.
M&B : Avec l’adoption du nouveau code, il y a eu une crise entre les géants miniers implantés en RDC et la Chambre des Mines. Où en est-on aujourd’hui ?
JK : Je peux vous rassurer : Nous en avons déjà deux, parmi les sept qui sont revenus ; Ivanhoe et MMG. Nous sommes en pourparlers avec les autres, je ne doute pas que l’année prochaine, la grande famille des miniers va être réunie. La chambre reste le cadre privilégié pour faire des plaidoyers et pour être le syndicat des entreprises minières.
M&B : Banro a cessé ses activités en RDC. Vous avez un commentaire là-dessus ?
JK : Banro est établi dans les deux provinces à l’est de la RDC, à travers sa mine de Twangiza, au Sud-Kivu. Mais Banro a été surtout heurté à de vrais problèmes au niveau de Namoya dans le Maniema. Je dois avouer que le nouveau management a hérité d’une mine avec un passif financier lourd, mais aussi avec des défis sécuritaires majeurs. Nous espérons qu’en travaillant étroitement avec le gouvernement, le cas de force majeure évoqué par Banro pourra être levé et permettre une reprise des activités. La mine a un formidable potentiel et cela serait dommage que cette mine-là ne continue pas à fonctionner.
M&B : La RDC peine à diversifier son économie. La RDC a-t-elle vraiment pris conscience du caractère épuisable de ses ressources minières ?
JK : Originaire de l’Est, j’ai toujours pensé que le secteur minier ne peut servir que de locomotive pour booster d’autres secteurs. Et il est impérieux que nous puissions diversifier notre économie sur les domaines de l’agriculture, des services, du tourisme et des nouvelles technologies. Je pense aussi à l’agroindustrie avec nos quatre-vingts millions de terres arables. Il faut aussi investir dans l’éducation pour répondre aux défis ; ceux d’un pays sous-continent qui doit former ses cadres, sa main d’œuvre, réhabiliter et construire de nouvelles infrastructures de communication. Si l’on n’intègre pas ces éléments, nous serons confrontés à de grands défis majeurs remettant en cause le développement de la RDC.
M&B : À propos d’éducation, le nouveau code prévoit la création d’un fonds pour les générations futures. Votre avis ?
JK : Il faudrait que la RDC s’inspire de l’exemple du fond norvégien. Ce fond doit permettre aux prochaines générations de bénéficier du boum minier. Il ne faut pas oublier aussi que le code minier a innové et a permis à la province, au territoire et même à la chefferie de recevoir des fonds.
M&B : Ce code a été voté lorsqu’il y avait des niveaux des cours impressionnants. Ce qui n’est plus le cas. Pour 2020, faites-vous partie des rares optimistes ?
JK : Le cobalt a connu une chute. Cela montre que le cobalt ne peut plus être considéré comme une substance stratégique. C’est aussi le cas pour le coltan. Pour l’or, les cours d’or ont flambé, donc les entreprises qui ont investi dans la filière vont bien se retrouver malgré le volet parafiscal qui plombe de manière générale les entreprises. Pour l’étain, cela été aussi une année très difficile. Il y a beaucoup d’éléments qui ne relèvent pas malheureusement de nous, mais d’une compétition entre la Chine et les États-Unis.
M&B : D’après les chiffres de la banque mondiale, la seule mise en arrêt des activités de Glencore fera perdre deux points de PIB à la RDC en 2020. Un commentaire ?
JK : Comme vous le savez, Glencore aujourd’hui, rien que pour le cobalt, détient le tiers de la production mondiale à travers Mutanda Mining et a produit 20 % de la production mondiale en 2018. J’espère que l’année prochaine, la situation sera moins difficile.
M&B : Vous avez déclaré sur RFI que les Congolais devraient faire leur introspection avant de se déclarer victimes des enjeux internationaux. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ?
JK : Les questions réelles concernent la bonne gouvernance, l’amélioration du climat des affaires, la sécurité, la corruption. Ce sont de vraies questions que l’on devra débattre pour attirer les investissements. Ces questions doivent impérativement être résolues par nous les Congolais pour ne pas toujours dire que les autres sont à la base de nos problèmes et pour laisser tomber cette culture du bouc émissaire.
M&B : Quelques voix s’élèvent pour attaquer vos origines rwandaises, alors que vous occupez une fonction éminemment stratégique pour la RDC. Comment réagissez-vous à ces attaques ?
JK : Je me dis que malheureusement, ces gens sont ignorants. Je suis Congolais, et je suis très fier de mes origines de l’Est. Ces gens qui ne connaissent pas bien notre histoire et sa diversité. Ma nationalité congolaise, c’est ça aussi la richesse de notre pays, car c’est un pays très différent du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Ceux qui me connaissent savent bien que je suis Congolais rwandophone. Je suis fier d’appartenir à notre patrimoine commun : la RDC.
M&B : Pour finir, quelles sont les raisons d’espérer malgré ce contexte mondial un peu morose ?
JK : Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins vers transition énergétique mondiale. Nous restons un pays avec un potentiel hydrologique exceptionnel. Nous sommes un pays avec des gisements qui ne sont pas encore exploités au vrai sens du mot. Je reste donc convaincu que nous restons le pays de prédilection dans le secteur minier. Nous avons encore du travail en améliorant notre climat des affaires pour attirer les investisseurs. C’est vraiment un pays béni, mais il faut travailler dur pour y arriver et nous en avons les moyens humains et les ressources naturelles.
Propos recueillis par Olivier Delafoy
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