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A qui profite l’or de contrebande ?

Selon le dernier rapport de la CNUCED, chaque année, les flux financiers illicites (FFI) sont évalués à 88,6 milliards de dollars en Afrique, soit plus que l’aide publique au développement (48 milliards de dollars) ou les Investissements Directs Etrangers, IDE (54 milliards de dollars). L’industrie extractive est l’un des pans de l’économie qui souffre le plus de ces transactions illégales, indique le rapport qui estime à 40 milliards de dollars au moins la part du secteur minier dans les FFI. Ainsi, l’or avec 77 % de ces transactions illégales liées à l’industrie extractive vient-il en tête des minerais, objets de contrebandes.

La RDC, premier pays producteur de minerais en Afrique, est au cœur de cette contrebande très lucrative du métal jaune. Dans son dernier rapport sur l’or de contrebande en RDC, l’ONG canadienne IMPACT retrace les filières occultes de l’or congolais. À qui profite le commerce illégal de l’or de contrebande ?

DES CHIFFRES AHURISSANTS 

Selon le rapport de l’ONG IMPACT, les flux illégaux d’or sont en constante progression sur la période 2016-2018 étudiée, à nos jours. Mais en réalité, le commerce d’or de contrebande compte ses beaux jours depuis le début des années 2010. En effet, selon le Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, 98 % de l’or dans le pays en 2013 en sortit illégalement. Et les chiffres collectés de plusieurs sources révèlent l’ampleur du fléau. À titre d’exemple, le groupe d’experts relevait qu’en 2015, 253,98 kg d’or ont été officiellement exportés du pays. Cependant, ce chiffre parait insignifiant comparé à la quantité d’or réellement produite dans le pays et que l’institut fédéral allemand des géosciences et des ressources naturelles (BGR) estime, quant à lui, entre 15 et 20 tonnes chaque année. Les provinces de l’Ituri, du Nord et du Sud-Kivu situées à l’Est du pays sont particulièrement touchées par la contrebande. Entre 2016 et 2018, la production aurifère de ces trois provinces serait passée de 122,16 à 74,07 kg. Le Sud-Kivu aura connu la plus forte baisse au cours de cette période (92,45 kg à 54,39 kg).

Sur le plan financier, le manque à gagner pour l’État congolais est colossal comparé aux statistiques minières publiées par les autorités en 2018. Il en ressortait que la valeur de la production aurifère réelle s’évaluait à 543 millions de dollars, un montant bien supérieur aux 2,2 millions de dollars équivalant à la production officiellement déclarée. Pis, le pays n’aura encaissé que 44 797 dollars cette année-là au lieu de 10,86 millions de dollars.

Plusieurs raisons expliquent le gap constaté entre la production réelle estimée et la production officielle. Parmi celles-ci, l’incapacité des autorités à recenser tous les sites d’exploitation aurifère artisanale. Ainsi, en 2019, indique le rapport de l’ONG canadienne, seuls 122 des 2 763 sites d’exploitation aurifères avaient été inspectés par des équipes de validation. Pis, 106 sites seulement avaient reçu leur certification conformément à la législation visant une meilleure traçabilité de l’or congolais.

DE LA RDC AUX ÉMIRATS, LES FILIÈRES SINUEUSES DE L’OR CONGOLAIS

La quasi-totalité des sites aurifères qui échappent au recensement de l’État congolais est exploitée par des sociétés tout aussi opaques. Le rapport de l’ONG canadienne relève en particulier deux cas, d’une part celui de la société CAVICHI Sarl et d’autre part celui de l’Établissement NAMUKAYA. Mais ces deux entreprises ne sont évidemment que l’arbre qui cache la forêt dense que représente la contrebande de l’or congolais. En effet, pour mieux comprendre le phénomène, il faut le voir sous deux angles : les filières internes (Ituri et Nord-Kivu) et les filières étrangères (Rwanda, Burundi et Ouganda).

Bien que la production d’or officiellement déclarée en Ituri a connu une augmentation de 2016 (25,57 kg) à 2018 (31,81 kg), après la forte baisse enregistrée en 2017 (12,73 kg), le secteur aurifère reste fortement tributaire des filières parallèles. Muungano na Maendeleo (MnM), l’un des rares comptoirs agréés de la province en a fait les frais après que certains de ses dirigeants aient souhaité fortement réglementer les procédures internes d’approvisionnements en or de l’entreprise. Le constat d’échec fut amer : il était quasiment impossible à l’entreprise de rester viable en s’approvisionnant d’or certifié. C’est dire combien l’or de contrebande est plus compétitif sur le marché. Une réalité qu’avoue Joanne Lebert, Directrice exécutive de l’ONG IMPACT : « Beaucoup d’efforts ont été faits pour renforcer le commerce artisanal responsable de l’or en RDC. Mais tant que ces intermédiaires louches opèrent en toute impunité, tous ces efforts sont vains ». La situation n’est pas plus reluisante au Nord-Kivu. Dans cette dernière province, l’on a en effet constaté d’énormes différences entre les quantités d’or régulièrement déclarées par Glory Minerals, seul comptoir agréé de la province et les quantités exportées (6 kg contre 45 kg en 2016).

En réalité, s’il existe d’aussi grandes différences entre les quantités déclarées et celles supposées réellement produites, c’est parce que l’or congolais pour une part importante est exporté dans nombre de pays du Moyen-Orient (Émirats Arabes Unis et Dubaï) via les pays limitrophes que sont le Rwanda et le Burundi. Par exemple, un rapport récent révélait qu’en 2018, environ 300 kg d’or étaient acheminés chaque mois de Bukavu (Sud-Kivu) vers le Rwanda. Un chiffre confirmé par les statistiques officielles du Rwanda d’après lesquelles le pays aurait exporté près de 3 000 kg d’or (2 163 kg) à destination de Dubaï alors même que ce pays voisin de la RDC ne produit pas d’or.

Ce commerce illicite et très fructueux alimente en grande partie les conflits armés qui rongent le pays depuis de longues années. Amnesty International révélait récemment que ces conflits sont les plus mortifères qu’ait connus le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Le rapport de l’ONG IMPACT fait des recommandations visant à mieux réglementer le commerce de l’or en RDC. Il propose ainsi des solutions applicables tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays : « La crise engendrée par le COVID-19 a accentué l’emprise des intermédiaires louches sur les creuseurs et l’ensemble de la filière. Il est important que l’État central renforce les mesures répressives contre ces filières parallèles », suggère Joanne Lebert dans le rapport. Vœux pieux ? 

PAR MICHÉE DARE, JOURNALISTE ÉCONOMIQUE

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