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DR. Jean-Élie MALKIN

Médecin conseiller santé et gestion des risques épidémiques, fait le point sur la Covid 19 en RDC.

Bonjour docteur, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, je suis le docteur Jean-Elie Malkin. Je travaille actuellement à l’Ambassade de France à Kinshasa, comme conseiller santé et gestion des risques épidémiques. C’est un poste qui a été créé spécifiquement dans le cadre de la coopération médicale franco-congolaise. Ce n’est donc pas un poste institutionnel comme les conseillers régionaux de santé qu’on peut trouver dans certaines ambassades. Mon poste a été créé suite à la rencontre entre les présidents Tshisekedi et Macron, en novembre dernier. À cet effet, une feuille de route franco-congolaise a été établie dans le cadre de l’épidémie d’Ebola qui sévissait dans l’est du pays.

Pour résumer votre poste? 

Ma position consiste à gérer, superviser et faciliter, dans le cadre de cette feuille de route franco-congolaise, toutes les activités développées par les mécanismes de coopération française, en lien avec les autorités nationales et les partenaires internationaux.

On peut parler de cette feuille de route?

La feuille de route établie à l’époque couvre plusieurs thématiques, comme le renforcement du système de santé en particulier à l’Est, dans la province du Nord Kivu qui a été l’épicentre de l’épidémie d’Ebola. C’est aussi le renforcement des liens avec les bailleurs, et un appui aux opérateurs français, notamment aux ONG, pour améliorer le fonctionnement des structures de santé. Les interventions mises en œuvre par les opérateurs français sont financées par l’Agence Française de Développement, Expertise France (qui est la structure regroupant l’expertise française notamment en matière de santé) et également par le Centre de crises et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui intervient plus spécifiquement en cas de crises humanitaires.

Donnez-nous des détails, s’il vous plait

De nombreuses activités sont financées par la coopération française telles que la réhabilitation et le renforcement des infrastructures de santé, l’appui à la gestion des établissements de santé, la formation des professionnels de santé, la prévention et le contrôle des maladies infectieuses qui est un aspect très important en contexte épidémique. J’ai donc pour mission de dynamiser cette feuille de route, de la faire vivre, de l’orienter sur des sujets d’actualité en essayant de trouver des réponses innovantes et de faciliter la coordination avec les institutions nationales et les partenaires, notamment les agences des Nations Unies, et les ONG internationales.

Vous parlez d’appui aux opérateurs. Notamment la Croix-Rouge française, récemment ? 

La Croix-Rouge française est l’un des opérateurs qui bénéficient des financements en particulier du centre de crise du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Elle travaille en collaboration avec la CroixRouge congolaise et a mis en place pendant l’épidémie d’Ebola, à l’est, des interventions sur l’isolement des malades. Plus récemment, elle est intervenue à Kinshasa dans le cadre de la riposte contre l’épidémie de Covid-19.

En cette fin octobre, où en est-on avec Ebola? 

L’épidémie à l’Est est terminée depuis le mois de juin 2020. Une autre épidémie d’Ebola a débuté il y a plusieurs semaines dans la province de l’Équateur et, heureusement, ne semble pas être de la même ampleur que celle de l’est. Il n’y a plus d’Ebola à l’Est, mais attention, il y a toujours un risque de résurgence qui, il faut le rappeler, a atteint dans l’est 3 000 personnes dont 2 000 sont décédées. En Équateur, la bonne nouvelle est que ça fait maintenant un bon moment qu’il n’y a pas eu de nouveaux cas identifiés même s’il y a eu énormément de problèmes dans la gestion de la riposte. Il semble que les enseignements tirés de la riposte dans l’est n’ont malheureusement pas été utilisés pour rendre la riposte en Équateur plus opérationnelle.

C’est-à-dire?

On sait gérer une épidémie d’Ebola sur le plan opérationnel, mais on ne sait absolument pas gérer la gestion de l’épidémie ! Techniquement parlant, on sait ce qu’il faut faire sur le plan opérationnel. Par exemple organiser le système des alertes, investiguer le plus rapidement possible, faire le cerclage de tous les contacts et vacciner. Par contre, la gestion de l’épidémie pose problème. Il y a beaucoup d’argent mobilisé par les bailleurs et l’utilisation de ces fonds n’est pas toujours optimale. Cela fait partie d’un problème plus global qui touche à la gouvernance : savoir qui fait quoi, avec quels moyens, de quelle manière, quelle est la chaine de décisions, quelles sont les procédures logistiques, quels sont les personnels impliqués… Tout cela demande également une coordination efficace entre tous les partenaires, c’est-à-dire les institutions nationales chargées de mettre en œuvre la riposte, les bailleurs multilatéraux comme la Banque mondiale, les bailleurs bilatéraux comme la coopération française, les agences des Nations Unies comme l’OMS et l’UNICEF et les ONG petites ou grandes. Cette coordination est un défi permanent qui demande à être notoirement amélioré.

Parlons de la Covid-19 et le bilan de votre implication

Tout d’abord, il faut comprendre que la Covid-19, ce n’est pas Ebola, ce n’est pas le choléra ni la rougeole. Et qui plus est, c’est une épidémie que le monde découvre et de laquelle la communauté médicale en apprend un peu plus chaque jour

Ça fait peur…

C’est vrai qu’on a eu très peur au départ vu la vitesse de propagation de l’épidémie en Europe et le niveau des infrastructures sanitaires en Afrique et en RDC particulièrement. Les prévisions, et notamment celles de l’OMS, en termes de nombre de personnes atteintes et de décès étaient très alarmistes.

Finalement, on s’en sort plutôt bien non pour l’instant ?

Oui, en effet ! Ça n’a pas été

la catastrophe annoncée. Et l’explication de cette situation, plutôt rassurante, n’est pas univoque. Le facteur principal est probablement la pyramide des âges de la RDC : ici, 80 % de la population a moins de 35 ans. C’est une tranche d’âge qui ne risque pas grand-chose et qui est très souvent asymptomatique… Le deuxième facteur qui joue un rôle important est qu’en RDC, les gens vivent beaucoup dehors et l’on sait que le virus se transmet beaucoup plus facilement en milieu clos. Le troisième facteur éventuel qui peut jouer est une possible immunité croisée avec d’autres coronavirus qui circulent en Afrique, mais ceci reste à démontrer.

Que dites-vous aux gens qui disent que la Covid-19 n’existe plus en RDC?

Ces gens ont tort ! En RDC, on est officiellement à plus de 11 000 cas et plus de 300 morts. Il est évident que ces chiffres sont sous-estimés et ne reflètent pas la réalité, mais encore une fois la majorité des cas sont asymptomatiques et échappent donc à la détection. Donc, dire que ça n’existe pas c’est nier la réalité. Le principal objectif de la riposte aujourd’hui est de protéger ceux qui sont vraiment à risque de développer des formes graves de covid-19 et d’en mourir, c’est-à-dire les personnes âgées, les personnes en surpoids et celles souffrant de maladies associées comme le diabète ou l’hypertension.

Pourquoi y a-t-il autant d’hypertendus et de diabétiques en RDC?

Pas seulement en RDC, ces 2 maladies sont en pleine expansion, et ce pour deux raisons. La première raison c’est que jusqu’à récemment on ne dépistait pas ces 2 maladies. Quand on commence à dépister, on trouve. La deuxième raison est liée probablement au phénomène d’urbanisation qui s’accompagne d’une vie sédentaire et de comportements nutritionnels qui sont des facteurs de risques.

Ce nouveau programme de riposte axé sur les personnes à risque est donc assez unique?

Oui, en effet. Sur tout le continent, je ne pense pas qu’un tel programme spécifique ait été mis en place.

Pouvez-vous détailler ce programme? Quel est le plan pour les personnes de plus de 50 ans présentant des risques ?

Après le plaidoyer, notamment par la France, auprès des partenaires, du Conseil consultatif de la riposte et de la Task Force présidentielle, l’OMS, en collaboration avec les programmes nationaux diabète et maladies cardio-vasculaires, a mis en place dans 10 structures de santé de Kinshasa, un programme de dépistage et de prise en charge du diabète et de l’hypertension, associée à un programme de prévention contre la Covid-19 qui ciblent cette population dépistée. Par ailleurs, de manière complémentaire, la France finance directement un projet pilote similaire mis en œuvre par Médecins du Monde dans 2 autres structures de santé. Dès les premières semaines, des centaines de personnes tous âges confondus se sont fait dépister. C’est donc une manière efficace de faire de la prévention ciblée contre la covid-19.

Pour conclure, vous restez optimiste? 

Oui, mais d’un optimisme relatif qui dépend grandement de la volonté de changement des autorités, mais aussi des partenaires. On en est à la onzième épidémie d’Ebola et l’épidémie de Covid-19 est arrivée, sans compter la rougeole, le choléra, etc. ! Le défi est maintenant de mettre en place une gestion des risques épidémiques plus efficace en terme à la fois opérationnel et de gouvernance.

Propos recueillis par Oliver Delafoy

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