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Les lignes bougent dans le monde du Cobalt

Les lignes bougent enfin dans le monde du Cobalt. M&B magazine a rencontré à Kinshasa Jean-Dominique Takis, Directeur Général d’Entreprise Générale du Cobalt. Au cours d’un long entretien à notre publication, il a dévoilé sa stratégie. Initiative originale de l’État, Entreprise Générale du Cobalt synthétise l’ambition de la République Démocratique du Congo d’améliorer le sort de ses mineurs artisanaux tout en reprenant la main sur une part substantielle de sa production nationale de cobalt.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Jean Dominique TAKIS. Je suis né à Kisangani en février 1960, à une période où beaucoup de choses se sont passées… L’indépendance a suivi peu de temps après ma naissance. Les conflits, les problèmes dans lesquels ce pays s’est rapidement retrouvé ont amené mes parents à nous expatrier. Je me suis retrouvé en Belgique à l’âge de trois ans.

Trois ans ?

Oui, trop jeune ! J’ai fait ma maternelle et tout le primaire à l’internat. On a été bien, très bien formés, même si c’était un peu à la dure. Ensuite, j’ai quitté la Belgique pour la Suisse où j’ai fait mes études secondaires et universitaires et j’ai rejoint les États-Unis où j’ai fait un MBA en finances à l’Université Georges Washington.

Vous aviez l’idée de revenir au pays ?

Oui, il a toujours été clair dans mon esprit que j’allais rentrer au pays pour changer le monde et faire avancer les choses. On a plein de rêves à cet âge-là ! Mais on était déjà à la fin des années 80; la séquence politique qui est bien connue va nous amener à la fin de la deuxième République en passant par la Conférence Nationale Souveraine, le discours du Maréchal Mobutu du 24 avril 1990 ouvrant l’espace politique, puis malheureusement les pillages qui nous ont porté un sérieux coup. J’imagine que les personnes de ma génération ont ressenti un sentiment de frustration.

Vous avez fait de la politique ?

J’ai poursuivi cet engagement à travers un mandat électif et j’ai été élu dans le Haut-Uélé, d’où je suis originaire, à la frontière avec l’Ouganda et le Soudan du Sud. J’ai ainsi passé douze ans à l’Assemblée nationale de 2006 à 2018, années au cours desquelles j’ai eu réellement l’occasion de parcourir l’intérieur du pays pour rejoindre ma circonscription.

J’imagine que cette connaissance du pays profond va vous aider dans vos nouvelles fonctions… 

En effet, je pense que cette expérience m’est et me sera très utile dans le cadre du projet que nous initions aujourd’hui avec Entreprise Générale du Cobalt. J’ai beaucoup appris sur l’artisanat minier quand j’étais en politique, parce que dans le Haut-Uélé, il y a aussi des artisanaux. Ce sont des orpailleurs ou des creuseurs à la recherche du diamant. Ce ne sont certes pas les mêmes minerais, mais c’est le même destin, le destin des gens qui sont obligés de sacrifier beaucoup de leur santé pour donner à manger à leur famille. Pour bien comprendre ce pays, il faut être allé très loin dans les profondeurs de la République Démocratique du Congo. Je me rappelle en 2006 avant la campagne, à Dungu dans le Haut-Uélé, combien ce territoire était enclavé. C’était des jeunes gens qui permettaient le désenclavement à vélo sur la frontière ougandaise pour ramener les biens de première nécessité : de l’eau, du sel… et de la bière. Et je peux vous dire que ces jeunes qui avaient à peine 25 ans, on leur donnait plus de 45 ans tellement c’est éprouvant. Combien ont perdu leur vie sur ces chemins avec les pluies torrentielles, douze casiers de bières à l’arrière du vélo, l’instabilité, les glissades, la malaria ? Voir cette souffrance a été une des raisons qui m’ont amené à la révision du code minier à l’Assemblée nationale. On a adopté cette révision qui a fait tellement de bruit pour pouvoir rééquilibrer les choses : rééquilibrer les partenariats industriels qui sont engagés dans l’exploitation des minerais, entre les investisseurs, mais aussi les communautés locales et les mineurs. Avec EGC, nous sommes donc aujourd’hui engagés dans ce travail pour faire en sorte que les artisanaux qui exploitent le cobalt artisanal puissent le faire dans la dignité.

Revenons sur votre retour au Congo. Vous avez quel âge quand vous rentrez au pays ?

J’avais 27 ans quand je suis revenu au pays et j’ai d’abord travaillé à l’OZAC, aujourd’hui OCC où on rajeunissait les effectifs… C’est comme ça que j’y ai travaillé pendant deux ans. J’y ai notamment travaillé sur l’installation du système informatique. C’est grâce à cette expérience que je me suis mis à mon compte dans l’informatique en collaborant avec ASYST.  

Et pendant combien de temps ? Jusqu’au pillage ! Il a fallu d’abord évacuer la famille en 1991 parce que la situation s’était complètement détériorée à Kinshasa qui culminera avec les nouveaux pillages de 1993. C’est à ce moment que je suis rentré dans un cabinet politique où je suis devenu directeur adjoint de cabinet. Puis j’ai rejoint une société privée à capitaux belges en tant que directeur financier puis directeur général jusqu’à l’arrivée de Kabila père. Et là une nouvelle fois, une histoire de rupture et de difficultés.

Vous avez été obligés de renvoyer votre famille en Belgique ? L’histoire s’est donc répétée.

Absolument! Il a fallu que quelque chose se stabilise pour qu’ils reviennent. Pour des questions personnelles, à partir de 1999, j’ai passé près de quatre ans en Europe pour un de mes enfants qui avait un problème de santé. Cela nous a amenés à passer pas mal de temps à l’extérieur, mais on a pu reprendre le cours de notre vie kinoise en 2004.

Revenons à EGC. Vous avez dû être au centre des discussions pour la création de l’entreprise. Comment cela s’est passé ? 

J’étais administrateur de Gécamines, j’ai passé dix ans comme administrateur au côté du Président du Conseil d’Administration, Albert Yuma Mulimbi. Lors des contacts avec nos partenaires, des traders, nous avons perçu l’évolution de la demande sur le cobalt, avant 2018. Nous avons souhaité pouvoir profiter de ce momentum, stimulé par la demande de cobalt qui allait en augmentant année après année avec bien sûr l’arrivée des véhicules électriques, les smartphones, tous ces objets ou véhicules qui sont les plus gros utilisateurs de batteries au cobalt. L’idée était de savoir comment capitaliser sur cet engouement alors même que Gécamines n’avait pas une production de cobalt importante. Les grands producteurs industriels sont connus, certains sont partenaires de Gécamines, notamment KCC. 

Mais comment de façon autonome, pouvait-on avoir une présence sur le cobalt? En 2018 nous avons assisté à une multiplication quasi exponentielle du nombre d’artisanaux, qui suivait l’augmentation des cours du cobalt et qui à l’époque creusaient, qui dans leur cuisine, qui dans leur jardin, qui dans les permis des industriels. Dès qu’il y a eu ces problèmes d’envahissement dans les permis miniers appartenant aux industriels, mais aussi, et peut-être surtout dans ceux de Gécamines, nous avons compris que le cobalt artisanal pouvait être et devait être, encadré et que cela ne pourrait se faire qu’à l’initiative des Autorités publiques. Alors, le Président du Conseil a défendu cette approche et il a réussi à convaincre les Autorités. Les autorités avaient bien compris l’intérêt de cette proposition, mais de nouveaux éléments sont venus nous aider et ont accéléré le processus d’adoption d’un nouveau cadre réglementaire.

Lesquels ?

Les difficultés rencontrées avec les acheteurs finaux à cause des conditions dans lesquelles était produit ce cobalt, avec la présence d’enfants et de femmes dans les mines artisanales. L’image du pays en a été très affectée et l’État a eu conscience qu’il fallait au plus vite remettre de l’ordre.

Avec 3 matières qui deviennent stratégiques pour la RDC et en créant EGC ?

Oui, on commence par trois minerais stratégiques : le cobalt, le coltan et le germanium

À terme, vous allez aussi gérer ces deux autres minerais ?

Le décret a mis en place une entreprise commerciale dont les actionnaires sont l’État et Gécamines, c’est EGC. Son objet est justement la gestion à travers le mono – pole concédé par l’État de l’achat et la commercialisation de ces substances minérales stratégiques. L’appellation EGC, Entreprise Générale du Cobalt, sert à démontrer que le cobalt est notre priorité. Bien sûr, le modèle que nous mettons en place, est un modèle dynamique, en expansion, qui a vocation à s’étendre aux autres minerais stratégiques et, demain peut-être d’autres minerais qui pourront être mis sur la liste de minerais stratégiques.

Le monopole concerne donc le cobalt artisanal. On estime qu’il y a entre 150000 à 200000 mineurs artisanaux. Si vous prenez en compte les familles, les personnes qui dépendent de l’artisanat minier, vous arrivez à plus d’un million. D’où, la nécessité de pouvoir s’assurer de la mise en place d’un cadre qui permette à ces personnes de pouvoir exercer ce travail à haute pénibilité dans des conditions de sécurité garanties, mais aussi de pouvoir évoluer vers d’autres activités dans le cadre d’une éventuelle reconversion.

Si on compare l’artisanat et l’industrie actuellement, quel est le pourcentage des deux ?

L’année dernière où le prix des matières avait fortement chuté et l’artisanat avait bien baissé, la production artisanale s’est placée entre 7000 et 10 000 tonnes. La production mondiale était de 120000 ou 130000 tonnes. La RDC en a produit près de 70 % soit environ 94000 tonnes. On estime que lorsque le cours était élevé, la production artisanale s’est située entre 20 000 et 25 000 tonnes en 2018. Suite à l’envahissement des permis miniers, des zones d’exploitation artisanales furent confiées à des coopératives par les Autorités comme celle de Kasulo à Lubumbashi. Nous pensons qu’il y a un vrai potentiel pour combler le déficit du marché qui va arriver à court terme. Le marché sera déficitaire vers 2024/2025 et à moins qu’il y ait d’autres projets industriels d’envergure qui viennent sur le marché, les usines existantes n’ont pas une élasticité infinie pour rencontrer la demande des fabricants de batteries, notamment celles des véhicules électriques.

En 2019, les cours se sont écroulés peu de temps après avoir déclaré le Cobalt mineral stratégique. Des laboratoires ont depuis réussi à ne pas utiliser du cobalt dans le processus de fabrication des batteries.

Il y a eu beaucoup de discussions sur ce sujet, beaucoup de choses ont été essayées avec des promesses qui ne se sont pas réalisées. Le cobalt est un minerai qui stabilise les batteries en leur évitant la surchauffe. On se rappelle ce fameux Smartphone que l’on avait interdit dans les avions parce que les batteries explosaient. C’est justement parce qu’ils avaient cherché à réduire le pourcentage du cobalt dans la batterie. Les industriels de la batterie ne sont pas prêts à renouveler cette expérience.

À propos des objectifs de EGC, l’entreprise publique produira environ 8 000 tonnes de cobalt sous forme d’hydroxyde en 2021, c’est bien cela ?

Oui, les 8 000 tonnes sont l’objectif pour cette année parce que nous allons mettre en place un système global de nature à respecter les meilleures normes d’approvisionnement dans le respect des travailleurs et de l’environnement. Une fois que nous aurons fait cela, étant donné que l’année est déjà bien entamée, notre objectif sera de passer ensuite l’année prochaine à 15000 tonnes, car nous aurons plusieurs sites en exploitation.

Quel est votre modèle économique ?

Notre modèle économique est fon – dé sur une approche de profit-sharing entre tous les acteurs : les mineurs évidemment qui extraient le minerai, l’État qui a mis en place le système et à qui l’exploitation des ressources doit profiter et EGC qui exécute cette politique publique pour le compte des Autorités. L’idée est que la marge réalisée revienne principalement à la RDC et pas à un système peu scrupuleux, qui ne paie pas ce qu’il doit, ni aux artisanaux, ni à l’État. 

Et Trafigura ?

Trafigura est notre commissionnaire. Ils travaillent avec nous sous forme d’un mandat, et ils percevront une commission à la vente. Ils n’agissent pas comme un trader traditionnel qui achète un produit et en fait ce qu’il en veut ensuite. Trafigura a pour mission de nous proposer des clients et des contrats, les plus bénéfiques possibles, car ce sont des experts des marchés et qu’il s’agit d’un produit stratégique. Ensuite, il y aura bien entendu des discussions au ni – veau de EGC, pour déterminer notre stratégie de vente vis-à-vis de tel ou tel acheteur final comme les constructeurs automobiles qui cherchent à s’assurer la fourniture de cet élément indispensable à leur développement. Mais il pourrait aussi y avoir des discussions, au niveau national, d’État à État avec tel ou tel pays dans le cadre des relations de la RDC avec ses partenaires. N’oubliez pas qu’on parle d’un minerai dont la RDC est de très très loin le premier producteur et exportateur mondial et où l’immense majorité des réserves connues sur la planète sont localisées, c’est pour cela qu’il est stratégique.

C’est pour ça que vous avez gardé cette marge de sécurité de 50 % pour vendre en direct ?

Pas vraiment, car même sur les 50 % que Trafigura commercialisera pour notre compte, c’est EGC qui, in fine, décidera à qui on vend.

Trafigura a été choisi. Il y a eu un appel d’offres international ?

Oui bien sûr, il y a eu un appel d’offres restreint. Lorsque Son Excellence, le Président de la République, Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo dans son discours sur l’État de la Nation en décembre 2019, a parlé de l’initiative prise par la RDC en matière de cobalt, il y a eu des manifestations d’intérêt auxquelles nous avons répondu. Trafigura avait déjà une expérience forte avec le projet pilote de Mutoshi avec la société Chemaf. C’était donc des arguments importants en leur faveur et pour la recherche des clients finaux, ce sont des traders qui connaissent tous les clients potentiels. Mais nous gardons 50 % pour pouvoir justement nous ouvrir à d’autres partenaires.

Le contrat est public ? Je peux le voir ?

(Rires) Nous avons eu des discussions à ce sujet avec l’ITIE sur la publication du contrat. J’ai dit : « je n’ai pas de problème, car c’est un bon contrat ». Notre cabinet ASAFO, des anciens d’Orrick Rambaud Martel l’ont très bien ficelé. Mais nous avons expliqué qu’il s’agissait d’un contrat commercial et que dans un contrat commercial il y a des clauses qui relèvent du secret des affaires, des clauses auxquelles la concurrence n’est pas astreinte, ce qui est inéquitable, sauf à penser qu’un acheteur qui achète à un industriel privé ne doit pas publier ses contrats, et que celui qui achète à EGC devrait le faire. D’autre part, je rappelle que le Congo a exporté 1500000 tonnes de cuivre en 2020 et près de 100000 tonnes de cobalt, où sont les contrats commerciaux? Personne ne demande leur publication alors qu’ils portent sur, au bas mot, des chiffres d’affaires compris entre 10 et 15 milliards de dollars.

Mais EGC s’est quand même engagée à être un modèle de transparence, non ?

Absolument! Mais la transparence doit être symétrique vis-à-vis de tous les acteurs pour être équitable. Nous avons rappelé aux responsables de l’ITIE que les 1500000 tonnes de cuivre et 100000 tonnes de cobalt sorties de ce pays le sont souvent dans le cadre de contrats qui unissent le producteur basé en RDC avec des filiales de leur société mère à l’extérieur. Si vous cherchez à savoir pourquoi la RDC ne bénéficie pas autant qu’elle le devrait de la commercialisation de ses matières premières, il faudrait peut-être aussi chercher dans ces contrats les clauses qui prévoient des prix favorables à l’acheteur.. Il a été décidé qu’ils nous inviteraient à revenir vers eux pour leur présenter le contrat, en leur montrant les clauses que nous souhaitions ne pas divulguer pour préserver les intérêts commerciaux de nos partenaires et de nos futurs acheteurs. 

Vous avez indiqué que de 8 000 tonnes en 2021, vous viserez 15 000 tonnes en 2022. Un doublement de la production avec le seul site de Kasulo à Kolwezi ?

Kasulo est le premier site pilote si l’on peut dire. Kasulo dont vous parlez est situé sur un permis Gécamines et n’est pas un secret, Gécamines est la maison mère à 95 % de EGC et 5 % appartiennent à l’État. Avec notre maison mère, nous sommes en train de discuter pour mettre les conditions en place pour qu’EGC puisse développer sa présence sur l’artisanat minier en coopération avec Gécamines. Vous avez peut-être suivi que la plupart des industriels avec «Fair Cobalt Alliance» ou «Global Battery Alliance» sont en train de s’ouvrir à l’artisanat. Rappelez-vous, il y a 3 ou 4 ans, ils ne voulaient pas en entendre parler. Le discours a désormais évolué. Disons que pour les grands producteurs qui étaient seuls sur le marché du Cobalt, voir que la RDC met en place une compagnie qui va être présente et qui va parler au nom du premier producteur mondial, ce n’est pas peut-être ce que tout le monde voudrait… Du coup, les arguments qui étaient tout le temps servis comme «les artisanaux sont ingérables ou il y a des risques pour notre image» sont mis de côté. Maintenant, c’est : « Il y aura des formations, on va aider les gens, on est positifs.» Et l’industrie se mobilise à travers un grand nombre d’initiatives. En outre, on peut penser que la création de EGC ne fera pas plaisir à certains acteurs qui étaient engagés dans cet artisanat du cobalt, et qui ont été largement stigmatisés par de nombreuses ONG ces dernières années. Quand vous avez une production de 25000 tonnes en 2018, il faut bien qu’elle soit partie quelque part. Nous pensons que la cohabitation entre industriels et artisanaux est possible. Il y a des pistes de solutions qui peuvent être développées, si on prend l’expérience de Chemaf qui a un permis minier, un gisement, une usine, il y avait le potentiel artisanal, avec des artisanaux qui envahissaient. Pour régler ce problème, ils ont pris Trafigura, ils ont pris l’ONG PACT pour encadrer toute cette activité. Pour nous, c’est une piste. Il y a donc un potentiel artisanal chez chacun des grands industriels qui pourraient s’ils le souhaitent travailler avec, car EGC a le monopole. L’idée de base est que tout le cobalt sorti de l’artisanat passe par EGC et que l’origine RDC devienne propre.

On parle de creuseurs ou de mineurs artisanaux. Cela signifie pelles et pioches. Allez-vous les aider avec un minimum de mécanisation ?

Oui, tout à fait. La mécanisation des artisanaux commence au moment où nous assurons la découverture des sites pour une production artisanale dans des conditions dignes et sécurisées en minimisant la pénibilité et en maximisant la sécurité du site et des opérations. Il s’agit aussi évidemment de la fourniture d’équipements de protection mais aussi la mise en place de tout ce qui est nécessaire aux premiers soins, mais également des toilettes, faciliter la restauration, sécuriser le site et les abords. Nous avons un engagement à faire la découverture. La loi dit que l’on n’a pas le droit de descendre à plus de 30 mètres dans les galeries, mais nous avons décidé d’aller au-delà des normes, c’est-à dire que nous utiliserons des pelleteuses et nous referons de la découverture pour que les puits ne dépassent pas 10 mètres de profondeur. Quant aux tunnels, ils seront formellement interdits et chaque coopérative qui vendra son cobalt à EGC devra respecter les normes de EGC en la matière, sinon elle ne pourra pas vendre son cobalt.

Vous allez donc utiliser des sous-traitants congolais ?

Oui, on va utiliser la loi sur la sous-traitance, pour mettre des équipements à disposition. L’idée est que les Congolais puissent s’investir dans le secteur minier. Quand j’étais député, j’ai milité pour que la sous-traitance soit congolaise avec tous les gens qui étaient dans ce combat. Il faut tout faire pour favoriser la sous-traitance congolaise ce qui va permettre aux gens de s’approprier les activités de ce secteur et peut-être un jour de créer de nouveaux millionnaires. On réfléchit d’ailleurs à des solutions innovantes, préservant les droits des industriels, mais qui leur permettrait d’amodier partiellement certains carrés de leurs concessions pour permettre de créer des ZEA qui attireront des entrepreneurs congolais.

Intégrité et transparence. Une des promesses de EGC. La transparence, c’est une grande première, non ? Quelles sont les garanties pour le peuple congolais ? Qui va faire les audits ? 

Pour ce qui est de nos activités, il y a les rendez-vous classiques des actionnaires, Gécamines et l’État congolais. Nous avons un commissaire aux comptes, bien entendu, et un auditeur externe. En outre, nous travaillons avec l’ONG PACT, avec laquelle nous avons signé un accord pour nous accompagner. Cette ONG américaine qui est spécialisée dans l’artisanat minier depuis de nombreuses années, va nous apporter son expertise pour nous aider à améliorer nos pratiques, mais aussi sa crédibilité pour renforcer notre initiative. Parallèlement, nous travaillons également avec KUMI consulting, un cabinet d’audit international, spécialisé dans la logistique d’approvisionnement responsable des minéraux, qui trimestriellement réalisera un audit de nos opérations pour savoir si nous agissons de manière conforme à nos engagements et aux normes et règlements. C’est important pour nous, afin que nous ne cédions pas à une quelconque complaisance, mais c’est aussi important pour les acheteurs qui doivent aussi être certains que le cobalt qu’ils achèteront est bien propre. Enfin, nous travaillerons à renforcer nos relations avec un forum d’ONG locales principalement, mais aussi internationales pour s’assurer de la fluidité de la communication. Pour le contrôle de l’État, les choses sont assez simples même si on attend que l’Autorité de Régulation et de Contrôles des Marchés des Substances Minérales Stratégiques, l’ARECOMS soit mise en place, car elle constituera le pendant réglementaire de l’action de EGC.

Parlez-nous de cette autorité de régulation ? 

L’Autorité de Régulations des Marchés des Substances Minérales Stratégiques a pour principale mission de mettre l’ordre dans le système c’est-à-dire veiller à ce que les producteurs de cobalt artisanal respectent les normes imposées par l’État congolais notamment ou toutes autres normes auxquelles il aurait adhéré et qu’aucune vente de cobalt artisanale ne puisse avoir lieu en dehors de EGC. Nous espérons une mise en place rapide de l’ARECOMS, car nous en avons besoin pour travailler, pour les creuseurs, leurs familles, l’État congolais, les provinces. La fraude continue chaque jour que nous ne sommes pas en action. 

Je reviens au Conseil d’Administration d’EGC. Comment ont été désignés les membres ?

Je suis un administrateur et vous me posez la question, je ne sais pas. Il faut demander aux actionnaires. Ce sont eux qui ont choisi lorsqu’ils ont adopté les statuts. Cela part du ministre du Portefeuille et de Gécamines. Comme vous le savez, Gécamines appartient à l’État.

Repartons sur le terrain. Nous voulons découvrir la séquence, comment cela va se passer concrètement sur le terrain ? On parle d’une ZEA. Quand sera-t-elle opérationnelle ?

Kasulo est déjà une ZEA opérationnelle. Il y a une société qui est active sur cette ZEA à laquelle nous souhaitons succéder. À EGC, nous avons d’ores et déjà établi un plan de transition, que nous devons soumettre au Ministre provincial des mines avant qu’il nous cède le site en gestion. En effet, il faut arrêter les opérations du précédent exploitant, engager des travaux de découverture qui n’ont pas été réalisés depuis longtemps, former les creuseurs aux normes que nous voulons appliquer, leur donner des équipements de sécurité ou mettre en place une unité de santé par exemple. Ce plan qui a été validé par nos différents partenaires, Trafigura et PACT notamment. C’est donc la première étape avant d’envisager d’intervenir sur le site, ensuite nous aurons 14 jours de transition, idéalement nous souhaiterions pouvoir commencer les opérations début mai.

Et pour le planning des ouvertures après Kolwezi ? Combien de ZEA ?

Pour le moment, nous sommes en discussion avec Gécamines pour avancer sur ce sujet afin de préciser un calendrier pour savoir où commencer. Cela devrait aller plus vite parce que c’est notre maison mère et que ce sont ses PE (Permis d’exploration, NDLR). Tant que l’ARECOMS ne sera pas en place, il faudra s’assurer avec le ministère des Mines que tout cela est légalement constitué.

Dans vos documents, vous parlez de normes de travail approuvées, de quoi s’agit-il ?

Tenez, les normes sont dans ce document. Voici une copie et elles sont disponibles sur notre site internet1 . Que ce soit avec les coopératives, les creuseurs, EGC, ou Trafigura, les Normes d’Approvisionnement Responsable de EGC s’appliqueront à tous. Nous détaillons toutes les choses en rapport avec le site ; la conduite des activités, les rapports quand il y a des incidents, la gouvernance, la gestion opérationnelle pour les coopératives pas seulement au niveau de l’encadrement, mais aussi de leur fonctionnement parce que l’on veut s’assurer que les creuseurs soient rémunérés conformément aux accords que nous allons signer avec les coopératives. On travaille déjà avec les opérateurs téléphoniques notamment Orange, Vodacom et Airtel sur des solutions qui nous permettent d’avoir des rapports afin d’avoir la preuve que tel creuseur, qui a une identité, un numéro dédié a eu son paiement.

Parlons écologie, quels types de déchets allez-vous enlever ?

C’est un sujet très important pour nous. C’est pourquoi, nous avons fait le choix d’avoir une direction opérationnelle, de plein exercice Hygiène, Santé, Sécurité et Environnement pour laquelle nous avons engagé un directeur de haut niveau qui s’occupait pour le compte de la République Démocratique du Congo des négociations sur le climat. Au niveau du Conseil également nous avons créé un Comité Responsabilité Sociale et Environnementale pour que nos Administrateurs soient aussi pleinement engagés sur ce sujet et ne laissent pas nos salariés gérer seuls ces sujets. Donc, je ne suis pas inquiet pour toutes ces questions de déchets comme vous le mentionniez, mais aussi pour le social qui est au cœur de l’engagement de EGC. Dès le début de nos activités, nous devrons préparer tant la reconversion des mineurs que celle des sites. Toute l’idée est là.

Vous y croyez, vous, à la reconversion ? 

Avec les redevances minières de 0,3 %, il y a de l’argent bloqué. Les industriels veulent que le process de l’utilisation de cet argent soit connu avec des cahiers de charge, qui doivent être mis en place pour que cet argent serve aux besoins d’infrastructures pour les communautés. J’ai le sentiment que beaucoup d’industriels éprouvent des difficultés à s’engager pleinement parce que trop souvent, on entend dire que cet argent se retrouverait dans les frais de fonctionnement des destinataires de fonds et pas dans les projets d’investissement ce qui devrait être sa destination principale.

Est-ce que les chefferies et les communautés sont bien formées pour élaborer ce type de budget ?

C’est pour cela qu’il y a les cahiers de charge! Nous, EGC, ne sommes pas une société minière. Nous sommes un opérateur économique congolais, mais nous allons porter un appui pour faire en sorte que ces communautés locales puissent développer quelque chose qui permette la reconversion des mineurs dans l’agriculture ou la pisciculture par exemple. C’est une des responsabilités sociales de EGC.

Parlons du paiement des creuseurs. Il y aura un marquage individuel, sac au sac grâce à la blockchain ?

Oui cette traçabilité est très importante. L’idée est que le creuseur amène son sac où son minerai bénéficiera d’une première estimation avec un testeur permettant d’avoir les teneurs rapidement et d’avoir une idée de ce qui devrait lui être payé par la coopérative. Ensuite, après analyse au centre de négoce par deux laboratoires certifiés présents sur site, le prix exact qui devra lui être payé sera connu. Il sera certain de ce qui lui est dû, fini la triche sur les teneurs et les quantités, et son paiement sera sécurisé et traçable, car très certainement fait via le mobile Banking ou par les partenaires bancaires présents sur site. Tout cela a évidemment un coût et nous devons être rentables pour pouvoir développer ce type d’activités, tout est donc analysé au plus près avec nos partenaires.

Qui va faire les analyses ?

Ce sont deux laboratoires certifiés ISO, SSM à Kolwezi et SGS la firme bien connue qui garantiront l’analyse de toute la chaine de valeur, depuis les artisanaux, en passant par les usines de transformation, jusqu’à l’acheteur final, car il s’agit quand même de notre principale richesse.

Le raffinage, vous avez la capacité pour le faire ?

Avoir de la capacité suppose avoir une usine, n’est-ce pas ? Normalement pour avoir une usine de traitement, il faut avoir un gisement, selon la loi. Les développements de dernières années ont créé des usines, des centres de traitement qui n’ont pas de gisement. Nous avons avec notre maison-mère Gécamines, la possibilité de faire le traitement à l’usine de Shituru à Likasi, mais le problème à court terme c’est que Shituru devrait faire quelques investissements pour pouvoir produire de l’hydroxyde de cobalt. Mais le temps que Gécamines engage ces budgets, mette en place cette ligne de production, nous allons devoir travailler avec les centres de traitement, c’est-à-dire avec les usines qui existent. Nous avons un monopole, donc logiquement ils ne devraient plus traiter autre chose que les minerais que nous amenons parce que le cobalt, ils ne peuvent pas le traiter ni l’exporter. C’est vrai, il y a eu de la résistance au début, mais, quand ils ont compris que les choses étaient en train d’avancer, alors il y a eu des retours positifs pour des discussions.

Vu d’où l’on vient en RDC, certains parlent d’objectifs trop ambitieux. Que répondez-vous à cela ?

Trop ambitieux, je ne pense pas, parce que le potentiel de l’artisanat existe. La contrainte n’est pas dans l’ambition du volume, elle est plutôt dans la mise en place du monopole, parce que vous commencez par les sites. Il y a ceux qui travaillent déjà tout en n’étant malheureusement pas dans les normes, mais le font pour gagner leur pain,. Nous avons donc 6 mois pour que tout le monde s’adapte à la nouvelle donne, artisanaux, coopératives, usines de traitement. D’ici là, nous aurons, multiplié les centres et fait aménager des sites afin qu’ils soient plus accessibles, sécurisés, mais aussi rentables pour les artisanaux. Car il y a un problème sur les sites qui sont alloués aux creuseurs ; certains creuseurs sont découragés parce qu’ils sont mis sur des zones où il n’y a pas toujours grand-chose à trouver. Il y aura sans doute des groupes de creuseurs, des coopératives qui vont pouvoir se déplacer pour venir sur les sites que nous allons mettre en place avec l’aide de Gécamines avec un vrai potentiel prouvé par un travail géologique. L’ambition ou le défi dans six mois est d’accélérer la mise en place des sites pour répondre aux besoins des creuseurs.

Mais vous n’allez pas rendre étanches les frontières du jour au lendemain ? 

On ne peut pas le faire, c’est l’ARECOMS qui devra exécuter cela. Mais, au moins, les sites illégaux sont visibles, les creuseurs sont des groupes de 1000, 2000 personnes parfois beaucoup plus. Ce n’est pas comme le diamant où l’on peut avoir de petits filons sur des sites très discrets dans la forêt.

Et si vous avez un prix attractif, le cobalt ne devrait plus sortir frauduleusement…

Mon plan attractif, c’est du cobalt responsable. C’est vrai, ils vont vouloir vendre leur production forcément parce que le prix proposé sera attractif; mais EGC ne pourra pas l’acheter parce que nous ne pourrons pas le commercialiser en raison de son origine inconnue ou douteuse. C’est pourquoi nous espérons, et nous sommes convaincus que ce sont les creuseurs qui vont devenir notre premier et meilleur allié, car lorsqu’ils verront comment on travaille sur nos sites, ce sont eux qui feront pression sur les autorités provinciales pour nous donner accès à tel ou tel site et pour créer une ZEA à tel endroit parce qu’ils voudront que nous soyons là pour la découverture, mieux les payer et accompagner leurs communautés. Ce sont eux qui vont jouer ce rôle au niveau social et politique. Cette année 2021 va être très intéressante dans le déploiement de EGC, parce que dans toutes ces coopératives, ces mineurs réclament de meilleures conditions de travail.

Un dernier mot ?

Oui, c’est un challenge qui vaut la peine de se battre pour pouvoir relever le défi de la mission que l’État et les Autorités nous ont confiée. De grands espoirs ont été placés en EGC pour toutes ces communautés de creuseurs et sortir de l’état inhumain qui est le leur aujourd’hui. C’est important pour tous nos compatriotes que nous réussissions, et nous allons nous y atteler fermement.

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Edito de Mining and Business Magazine N°36