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Les nouveaux rapports de force politiques avant les élections de 2023

La reprise en main du pouvoir institutionnel par le Président Félix Tshisekedi a bouleversé le paysage politique congolais. Candidat à sa propre succession, le chef de l’État semble avoir toutes les cartes en main pour briguer un second mandat. Mais au Congo, aucun scénario n’est écrit d’avance.

Un peu plus de deux ans avant les élec­tions générales de 2023, c’est un nou­veau Félix Tshisekedi que l’on découvre à la tête de la République démocratique du Congo. Un chef de l’État habile et fin politique, qui a réussi en quelques mois à rompre avec la coalition FCC et à prendre le contrôle de l’As­semblée nationale et du Sénat en débauchant les élus pro-Kabila.

Beaucoup plus stratège que certains ne le pen­saient, le président Tshisekedi a également placé ses hommes à la Cour constitutionnelle et tente de se composer une Commission élec­torale (CENI) à sa main. L’objectif de toutes ses manoeuvres ne dupe personne. Il s’agit de verrouiller l’ensemble des institutions à l’ap­proche des élections de 2023 pour briguer un second mandat. Au printemps, en tournée dans l’ex-Katanga, une province électorale-clé, Félix Tshisekedi n’avait pas caché ses intentions de vouloir «continuer» sa mission pour «voir ce pays se transformer».

«Si on regarde la situation aujourd’hui, on voit que le président possède toutes les cartes dans ses mains pour rempiler en 2023», analyse le politologue Alphonse Maindo. Félix Tshisekedi et son nouveau gouvernement travaillent à pré­senter un bilan acceptable à la population. Gra­tuité de l’enseignement, lutte contre les groupes armés avec l’instauration de l’état de siège à l’Est, retour des aides financières du FMI, baisse du prix des billets d’avion…

Le chef de l’État sait qu’il a intérêt à bénéficier du soutien de la population et de ses partenaires occidentaux avant les échéances électorales. Si le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde ne ménage pas ses efforts pour afficher sa volonté de réforme, pour l’instant, le bilan est bien maigre. L’état de siège n’a pas encore réussi à juguler l’insécurité et les caisses de l’État sont encore vides, ce qui limite très fortement les marges de manoeuvre du gouvernement pour changer la vie des Congolais.

Vers un front anti-Tshisekedi ?

Mais sur le plan politique, la toute-puissance affichée du camp présidentiel pourrait bien être un handicap à l’approche des élections. «En reprenant le contrôle de plusieurs rouages du pouvoir, Félix Tshisekedi s’est attiré de nom­breux ennemis», tempère Alphonse Maindo. «Le président a ouvert plusieurs fronts à la fois et on risque d’assister à la création d’une coali­tion TST “Tout Sauf Tshisekedi”, un peu comme avec Kabila en 2018.

Contre lui, il va retrouver les membres du FCC qui l’accusent de ne pas avoir tenu ses enga­gements. Il y a le camp de l’UNC, dont le lea­der Vital Kamerhe est toujours en prison. Il y a les militants de Martin Fayulu, qui sont très mobilisés contre Tshisekedi. Sans compter les membres d’”Ensemble” de Moïse Katumbi, qui pourraient voir leur président écarté des élec­tions avec le projet de loi Tshiani. Il y a aussi les attaques de l’UDPS contre l’église catholique qui pourrait se mobiliser contre Tshisekedi. Enfin, et surtout, les promesses non tenues du président font également de nombreux mécontents. Le front anti-Tshisekedi pourrait être important en 2023.

Pour contrer ces oppositions, le président Tshisekedi pourra compter sur certains de ses nouveaux alliés de l’Union sacrée. L’AFDC-A du président du Sénat, Modeste Bahati, a déjà désigné l’actuel chef de l’État comme son futur candidat pour 2023. Les députés frondeurs du FCC, qui ont rejoint Tshisekedi, devraient également appuyer la candidature présidentielle, même si personne ne sait si cette coalition avec les ex-kabilistes résistera à l’épreuve du temps. D’autant que les autres membres de l’Union sacrée comme le MLC de Jean-Pierre Bemba ou le partie “Ensemble” de Moïse Katumbi risquent de se désolidariser de Félix Tshisekedi à l’approche des élections.

Katumbi de nouveau hors-jeu ?

Dans le camp de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, la rupture paraît imminente. “Ensemble” paie un positionne­ment des plus flous avec Félix Tshisekedi. Ni opposant déclaré comme Fayulu ni allié affirmé comme Bemba, Moïse Katumbi n’a pas réussi à faire entendre sa petite musique d’une «oppo­sition républicaine» au président Tshisekedi. Toujours populaire, le riche homme d’affaires peine toutefois à imposer son nouveau parti sur l’échiquier politique congolais.

Mais depuis quelques mois, un projet de loi proposé par Noël Tshiani pourrait l’empê­cher de se présenter en 2023. Porté par un député pro-Tshisekedi, ce projet voudrait limiter les candidatures à l’élection présiden­tielle aux seuls Congolais nés de père et de mère d’origine congolaise. Une loi qui barre­rait la route à Moïse Katumbi, né d’une mère congolaise… mais d’un père grec. Véritable «déclaration de guerre» du camp Tshisekedi pour les pro-Katumbi, les membres d’”Ensemble” et des partis alliés menacent de quit­ter l’Union sacrée dont ils représentent un peu moins de 20% des effectifs à l’Assemblée.

Déjà privé de candidature en 2018, le camp Katumbi compte bien imposer son poulain en 2023 et annonce préparer «une riposte». Mais pour l’ins­tant, l’épée de Damoclès qui pèse sur l’an­cien gouverneur fragilise son positionnement pour 2023. Certains prônent une rupture d’alliance rapide avec la plateforme présiden­tielle pour afficher une candidature d’alter­nance claire à Félix Tshisekedi. Mais une fois de plus, l’avenir politique de Moïse Katumbi semble suspendu au bon vouloir du pouvoir en place : Kabila hier, Tshisekedi aujourd’hui.

MLC : un plan B… comme Bazaïba

Du côté du MLC de Jean-Pierre Bemba, on a décidé de jouer clairement le jeu de l’Union Sacrée et du soutien au président Tshisekedi. Il faut dire que le chairman n’a guère le choix que de se tenir au plus près de celui qui détient le pouvoir. Libéré par la Cour pénale internationale avant les élections de 2018, Jean-Pierre Bemba reste condamné pour subornation de témoin par la justice et avait été privé de participation à la dernière prési­dentielle. Une condamnation qui devrait éga­lement l’écarter de la course pour 2023. Dans ce contexte, le patron du MLC a deux priori­tés. Tout d’abord, se refaire une santé finan­cière. Il souhaite récupérer ses biens auprès de l’État congolais et veut régler au mieux ses problèmes d’héritage avec ses frères.

Mais surtout, Jean-Pierre Bemba a peur d’être rattrapé par la justice pour crimes de guerre, notamment après l’arrestation de l’ex-re­belle Roger Lumbala en France début 2021. Le soutien de Bemba à Tshisekedi est donc «très intéressé». Pour Alphonse Maindo, «Le MLC pourrait se maintenir au sein de l’Union sacrée jusqu’à l’année prochaine, avant de prendre ses dispositions pour 2023». La secrétaire générale du parti et actuelle ministre de l’Environnement, Eve Bazaïba, constituerait alors le plan B du MLC pour une possible candidature à la présidentielle… «À condition que le chairman donne son feu vert», précise le politologue.

Kabila en quête de successeur

Difficile de savoir quelle sera la stratégie du FCC pour 2023, et même de savoir si la plate­forme sera toujours active pour les prochaines élections. Vidée d’une partie de ses députés venus rejoindre l’Union sacrée, la coalition kabiliste fait pâle figure après la rupture avec le président Tshisekedi. Sans candidat naturel pour 2023 et en l’absence de toute déclara­tion de l’ancien président Kabila, le kabilisme serait-il mort ? «On aurait tort de tirer un trait sur Joseph Kabila», prévient Alphonse Maindo. Comme pour le mobutisme, certains regrettent aujourd’hui le kabilisme.

Après la déroute de 2018 et l’échec du «dau­phin» Emmanuel Ramazani Shadary, dont l’impopularité n’a pas permis à Joseph Kabila de l’imposer, le PRRD, le parti de l’ancien pré­sident, s’est retrouvé orphelin. Un vide que certains se voyaient bien combler. À l’image de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. Mais très vite, l’homme à la cravate rouge s’est fait rattraper par la justice. «Ses différents dossiers judiciaires ont été saucis­sonnés pour mieux l’affaiblir. Cette technique du salami va servir Félix Tshisekedi pour éli­miner les candidats du FCC. C’est un message envoyé aux nombreux autres membres de la coalition pro-Kabila, qui sont tous suscep­tibles d’être inquiétés par la justice», explique Alphonse Maindo.

Comme au MLC, c’est peut-être une carte féminine qui pourrait sauver ce qui peut l’être du PPRD. L’activisme très médiatique de l’ancienne première dame Olive Lembe, l’épouse de Joseph Kabila, n’est pas passé inaperçu ces derniers mois. À la tête d’une ONG caritative, elle sillonne le Congo pro­fond, distribuant kits sanitaires et s’inves­tissant dans la construction d’écoles ou d’hôpitaux. Le PPRD pourrait jouer la carte Olive Lembe, quitte à faire alliance avec une autre personnalité politique.

Fayulu, l’opposant constant

En tête de pont de l’opposition au président Tshisekedi, c’est Martin Fayulu qui occupe pour l’instant l’espace politique. Candidat malheureux à la présidentielle de 2018, l’op­posant revendique toujours la victoire. Mais en 2023, l’équation sera plus complexe pour le leader de l’Ecidé, privé de ses “parrains” Bemba et Katumbi, qui avaient fortement par­ticipé à la réussite de la campagne de l’oppo­sant… notamment financièrement.

Allié avec l’ancien Premier ministre Ado­lphe Muzito, Martin Fayulu se cherche d’autres alliés. Il s’est notamment rapproché du leader d’”Envol”, Delly Sessanga, très impliqué dans le débat sur la réforme de la Commission élec­torale. Une alliance d’autant plus importante que l’Inspection générale des finances (IGF) pourrait se pencher prochainement sur la ges­tion erratique d’Adolphe Muzito pendant son passage à la Primature sous Joseph Kabila.

Le principal atout de Fayulu reste sa constance dans une opposition radicale à Félix Tshisekedi. Un positionnement dont il pourrait récolter les fruits en cas de fort mécontentement populaire. Dernier point fort de Martin Fayulu : son hostilité au Rwanda et à tout rapprochement avec Paul Kagame qu’il accuse de vouloir “balkani­ser le Congo”. Une position anti-rwandaise largement partagée dans l’opinion publique congolaise alors que Félix Tshisekedi vient de signer un accord contro­versé sur l’exploitation minière avec Kigali.

Glissement, le retour

À deux ans de la présidentielle, Félix Tshisekedi a fait place nette chez ses potentiels concur­rents. Vital Kamerhe, avec qui il devait par­tager le pouvoir, est en prison pour de lon­gues années. Bemba et Katumbi pourraient voir leurs candidatures invalidées. Matata Ponyo et les autres proches de Joseph Kabila sont menacés par de lourds dossiers judi­ciaires… Reste donc Martin Fayulu qui devra, lui, trouver les moyens financiers pour faire campagne.

Mais attention. En s’accaparant tous les pouvoirs par des méthodes qui rappellent étrangement celles de son prédécesseur, Félix Tshisekedi pourrait vite se retrouver plonger dans une crise pré-électorale inextri­cable. La bataille pour le contrôle de la Com­mission électorale (CENI) en est la parfaite illustration. Dans ce contexte, un nouveau glissement du calendrier est-il possible ?

«C’est fort probable. Personne ne semble se presser pour organiser les élections. L’argent nécessaire n’a pas encore été engagé. Pour la mise en place de la CENI, même les membres de l’UDPS (le parti présidentiel, NDLR) ne se précipitent pas. Si le camp présidentiel voit qu’il y a un risque de ne pas gagner les élec­tions à cause d’une trop forte pression, il jouera les prolongations pour gagner un an ou deux ans après», s’inquiète Alphonse Maindo. Un scénario déjà connu entre 2016 et 2018 avec son lot de manifestations, de répres­sions et d’instabilité.

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